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Langues- Assia Djebar (2000) (II/II)

Date de création: 26-02-2021 19:22
Dernière mise à jour: 26-02-2021 19:22
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CULTURE- OPINIONS ET POINTS DE VUE-LANGUES- ASSIA DJEBAR (2000) (II/II)

 

© www.algeriepatriotique , 7. février 2015 (Extraits)

III
Walter Benjamin, qui connaissait si bien Paris, qu’il avait découvert dès 1913 et où il vécut les années 30, en réfugié politique, disait qu’«à Paris, un étranger se sent chez lui parce qu’on peut habiter cette ville comme peut habiter ailleurs ses quatre murs...» Lui, le «flâneur de Paris» dans le sens le plus plein et qui écrivit le premier sur les «passages» parisiens, il entretenait, en fait, des relations rares et superficielles avec les Français : c’est Hannah Arendt, son amie jusqu’à la fin, qui témoigne. Pour ma part, installée désormais au cœur de l’ancien «Empire», je me mettais, moi aussi, à distance de la société française, dont je ne gardais que la langue ! Cette langue d’écriture devenue mon seul territoire, même si je campais plutôt sur ses marges. Comme si, repartie nue de chez moi, je m’enveloppais seulement de cette langue ! Elle, mon unique manteau !
Jusque-là, l’écriture française avait été, pour moi, une sorte de voile, du moins dans mes premiers romans, fictions qui, évitant l’autobiographie, ne hantaient vraiment que des lieux d’enfance, s’éblouissant de leur soleil ou s’approchant de la pénombre des maisons traditionnelles. Dorénavant, résolue avec détermination à écrire «devant» et «dedans» mon pays, dans une sorte de proche éloignement, j’avais besoin, comme le photographe qui recule pour ne pas écraser son sujet, de la perspective la plus vaste. Avec ou malgré la langue dite «étrangère», j’avais à poser, sur mon pays, toutes les questions, décidai-je ! Sur son histoire, sur son identité, sur ses plaies, sur ses tabous, sur ses richesses cachées et sur la dépossession coloniale de tout un siècle – et il ne s’agissait ni de protestations ni de réquisitoires. L’indépendance, nous l’avions payée au prix fort ! Il ne s’agissait que de mémoire, que de tatouages de la révolte et du combat, rendus ineffaçables dans nos cœurs et jusque dans l’éclat de notre regard, à devoir inscrire, à conserver, même en lettres françaises et alphabet latin ! Revenir au début des années 80 à Paris et écrire dans cette pulsion mémorielle, cela, certes, ne paraîtrait pas de brûlante actualité – si l’on se référait du moins aux «saisons littéraires» des cénacles parisiens. Face à une critique française, je dirais, traditionnelle – qui ne cherchait dans les textes des écrivains ex-colonisés que des clefs pour une interprétation sociologique immédiate – moi, qu’est-ce qui m’animait donc ? Un nationalisme à retardement ? Non, bien sûr, seulement la langue. Uniquement la langue française dans laquelle je m’immergeais la nuit, le jour. Mais pour mieux dire ma spécificité algérienne (par l’autobiographie que j’abordais enfin), il me fallait en quelque sorte alléger cette langue d’écriture de son poids d’ombre, de son passé équivoque et trouble en Algérie, elle au bénéfice de laquelle avaient été exclus autrefois des écoles et des lieux publics l’arabe et le berbère... Si je voulais faire sentir le trop lourd mutisme des femmes algériennes, l’invisibilité de leurs corps, revenue avec le retour d’une tradition rétrograde, j’avais d’abord – en tant qu’écrivain (le devoir de tout écrivain étant un devoir de langue) –, j’avais, pardonnez-moi cette métaphore, à me saisir de cette langue française entrée en Algérie avec les envahisseurs de 1830 et à l’essorer, à la secouer devant moi de toute sa poussière compromettante... Pendant les quarante années violentes de la conquête – que j’appelle «la première guerre d’Algérie» –, cette langue s’était avancée autrefois sur des chemins de sang, de carnage et de viols. Il fallait, par elle et avec ses propres mots, la renverser en quelque sorte sur elle-même ! Puis, dans la soumission apparente qui suivit, ce qu’on appelait «l’Algérie pacifiée» des années 1920 et 1930, les mots, les figures et le rythme et toutes les diaprures de la langue, de la belle Langue – la transparente de Descartes, la pure et acérée de Racine, la virevoltante de Diderot et la somptueuse de Victor Hugo –, tous ces joyaux se mirent à pénétrer et à briller un peu dans les écoles, parmi lesquelles un petit nombre était réservé aux enfants dits «indigènes» dont la classe de mon père, instituteur dans un village de la Mitidja... L’Amour, la Fantasia est ainsi une double autobiographie où la langue française devient le personnage principal, prosopopée inattendue dont je me rends compte a posteriori. Je réveillais les scènes d’affrontement algéro-français oubliées, tout en livrant des éclats de mon enfance où les mots français se glissaient jusque dans les harems, tels des rais de lumière et de révolte... Avais-je fait sentir l’étouffement présent des femmes, plus lent, plus pernicieux que l’asphyxie, autrefois, des tribus rebelles, décidée par les conquérants, dans les montagnes proches de ma ville ? «Répondre, répétais-je, à toutes les questions !» Sinon, en faire sentir l’urgence ; pour moi, pour celles comme moi qui avaient dû partir, seulement pour l’oxygène de leur vie, mais aussi pour les autres femmes, les silencieuses, les humiliées qui étaient mortes, le cœur brûlé, parce que conscientes de tous les dénis. Ce fut dans ce corps à corps avec l’Histoire que j’écrivis L’amour, la Fantasia, puis Ombre sultane et la suite d’un quatuor romanesque d’Alger. Je n’avais pas prévu que, vivant ainsi comme une émigrée en banlieue parisienne, j’allais, les années suivantes, me confronter avec les sursauts, les fureurs, les délires puis... puis la violence et les meurtres, au jour le jour, que nous avons vu s’inscrire sur les pages des quotidiens et défigurer l’image de mon pays ! Quête solitaire et d’impuissance dans mes livres ; mes questions devenaient de plus en plus béantes.
IV
Langue de l’Autre à écrire et qu’on respire, mais mon oreille restait, reste toujours hors champ, hors la lettre. Comment d’ailleurs aurais-je pu infléchir le français, dans son rythme et son souffle premiers, si je ne gardais pas, même dans l’exil le plus distendu, l’ancrage dans des voix familières – voix de fureur et de douceur, barbares et gutturales, intimes, celles des lieux féminins de l’enfance, celles vociférantes et improvisées des visiteuses de sanctuaires, celles des lyriques ou des désespérées... Toujours, naturellement, hors – français, donc semblant ensauvagées, en tout cas, rebelles ; " «analphabètes», disait-on des inconnues autour de moi, fillette, parce que sans même l’alphabet arabe, excepté pour des amulettes qu’elles me pendaient au cou, sous ma chemise et avec des caresses, «pour me protéger à l’école», soufflaient-elles. Entendez, à l’école des Français. C’est ainsi que j’ai cru longtemps que toute navigation dans la nuit des femmes me ferait retrouver la force, l’énergie, la foi des aïeules inébranlables. Je rêvais qu’elles me transmettraient, elles, leur secret de survie, pour peu que je tente cet effort de remonter le courant, les eaux du reflux, disons ici de la dispersion dans l’oralité. On l’oublie souvent, Cervantès vécut esclave cinq ans à Alger, à partir de 1575. Pas encore romancier, mais guerrier intrépide, ayant perdu un bras à la bataille de Lépante, il se fait capturer par des corsaires en Méditerranée. Il vivra longtemps chez moi dans un monde fonctionnant à l’exact opposé de l’univers chrétien. La «fugitive» qu’il imaginera plus tard dans son Don Quichotte pourrait être la première image littéraire d’Algérienne : elle que son père comblait de toutes les richesses, sauf de la liberté, elle fuit et fait fuir l’esclave chrétien, qui raconte leur aventure, dans une auberge, en Espagne. A la suite de cette Zoraidé du chef-d’œuvre espagnol, j’ai osé faire entrer ma mère dans mon roman Vaste est la prison. J’ai rappelé la trajectoire maternelle : elle vivant en citadine traditionnelle (une ville justement repeuplée d’Andalous expulsés en 1610), et cela jusqu’à près de quarante ans, elle trouva assez d’énergie, peu avant 1960, pour traverser la Méditerranée et sillonner la France, rendre visite, de prison en prison, à son fils, jeune détenu politique... L’audace de ces voyages, ce qu’ils impliquaient en courage silencieux, en secrète pudeur, pour une musulmane, il me semblait qu’ils réitéraient cette aura du personnage de Cervantès ! La transmission féminine s’est alors rééclairée pour moi, plus en arrière ; l’anamnèse s’est remise en mouvement ; ma grand-mère, que je ne voyais jusque-là qu’en aïeule conteuse de la geste tribale, a ressuscité sous ma plume, mais en adolescente descendant de la montagne pour être «donnée», à 13 ans, à un riche notable de la cité. Veuve peu après, elle retournera à la «zaouïa» première, se mariera deux autres fois, pour demander, en 1920, au juge-cadi la séparation conjugale, avec la gestion de ses biens, ce que l’islam permet aux femmes depuis des siècles. A partir de là, dans la cité au passé andalou où elle s’installe, elle va régenter, conseiller, servir d’arbitre pour les autres femmes, tout en élevant ses cinq enfants. A cette même période, entre 1880 et 1920 environ, voici l’une de ses contemporaines, mais en Egypte. Il s’agit de la grande Hoda Sha’rawi, issue de la haute bourgeoisie, elle qui va devenir la première féministe du monde arabe, plus exemplaire pour les Egyptiennes que, plus tard, Simone de Beauvoir pour les Françaises... Elle naît fille d’un très riche et influent personnage. Elle a passé son enfance dans un véritable harem, avec des eunuques (esclaves soudanais castrés). Mais elle reçoit, à domicile, en même temps que son jeune frère, une instruction de qualité. Elle apprend, outre l’arabe, le turc, langue de sa mère circassienne, et le français ; elle joue du piano. Mais, pour conserver dans la famille l’important patrimoine dont elle a hérité, on la marie à 13 ans à son cousin germain bien plus âgé... Dix mois après, elle fuit le mari, reprend son adolescence interrompue. Elle a soif de connaissances... En 1922, Hoda Sha’rawi, qui s’est déjà affranchie du voile en public, créera la première Union des femmes égyptiennes, fondera la première revue de femmes. Jusqu’en 1947, à sa mort, le mouvement des femmes, dans des manifestations politiques et culturelles, se groupera autour d’elle. Au Maghreb, ma mère, dans les années 30, rêvait avec ses amies de cette effervescence des Egyptiennes, des Syriennes, des Turques et des Iraniennes. Amnésie pourtant aujourd’hui sur cette dynamique de cette première moitié du siècle : ne surnage de cet oubli que le souvenir des cantatrices, Oum Keltoum et ses émules... Parole, chant et écriture : que serait notre «inspiration» si elle n’allait pas à la recherche de cette bouche obscure, si elle n’allait pas boire au flux souterrain de la mémoire anonyme, des paroles invisibles, fondues, imperceptibles parfois... Cris étouffés soudain fixés, parole et silence qui se mêlent, tout au bord de la dilution !
V
Octobre 88 à Alger. Une semaine d’insurrections dans la capitale par une jeunesse trop longtemps désoccupée, encadrée partiellement, ou infiltrée par des islamistes. Après plusieurs jours de désordre, le président algérien, affaibli, laisse l’armée tirer sur les manifestants désarmés. Le bilan est de plusieurs centaines de morts ! Tragédie dont le glas annonce un avenir sombre. Dès les premiers jours, je m’étais précipitée à Alger pour être auprès de ma fille, jeune étudiante. Bloquée dans un appartement des hauteurs, d’une terrasse, j’ai contemplé, durant plusieurs nuits d’insomnie, les tanks sillonner la capitale placée sous couvre-feu ! Sans m’imaginer en Cassandre, il m’était aisé de prévoir que, dans l’année qui suivrait, les intégristes reviendraient au centre de la sphère politique... Eux, certes, auréolés par ces morts d’innocents, mais résolus à imposer leur vision caricaturale d’un islam des origines. En attendant, les conséquences premières du terrible drame furent la fin du parti unique – «Front de libération» qui ne libérait plus rien depuis 26 ans –, mais aussi la légalisation d’un parti politique religieux, mesure en contradiction avec la Constitution qui garantissait un minimum de laïcité ! Je rentrai à Paris et, pour ne pas être brisée, je décidai de me confronter, armée de ma seule expérience d’historienne, à cet islam des origines... Je me mis, d’un coup, à vivre en 632 après J.-C. à Médine, au moment où le Prophète Mohamed va mourir : problèmes de la succession politique, germes déjà de la division, rôle des épouses et des filles du Messager, des Compagnons, du premier Calife et, surtout, irruption, sur l’avant-scène, de Fatima, fille du Prophète, en véritable Antigone avec sa voix de la douleur, de la colère lucide et amère, de la protestation. De la protestation véhémente de toutes les femmes, à travers elle ! Je me plongeai dans le déchiffrement, mot après mot, chapitre après chapitre, des chroniqueurs arabes Ibn Saad et Tabari. J’avais besoin d’entendre ainsi ma langue maternelle, dans son grain, son rythme et sa sobriété, dans ses trous aussi... Comme l’écrivait le grand Michelet pour sa vision de l’Histoire de France : «Il y eut un étrange dialogue entre lui et moi, entre moi, son ressusciteur, et le vieux temps remis debout.» J’écrivis donc Loin de Médine, narration à plusieurs niveaux, pour me rapprocher de ce «vieux temps remis debout», mais aussi des passions, de la parole libre et multiple des femmes de Médine, humbles ou connues, mais transmettrices et actrices de cette histoire islamique. Après presque deux ans d’écriture, je me souviens : dans la maison paternelle, à la mi-juin 90, tandis que j’écrivais le mot fin à mon manuscrit, je me réveillai d’un coup au présent d’Alger : trois jours après, en effet, les intégristes du FIS remportaient les élections municipales ! Mon rêve d’un islam ouvert et égalitaire s’était construit, me semblait-il, dans mes mots comme un château de sable ! Mon livre fut publié à Alger en même temps qu’à Paris (l’édition, elle aussi, commençant à se libérer de la tutelle d’Etat) ; j’allais le défendre dans plusieurs villes et universités algériennes.
VI
Comment, dès lors, vais-je parler de ces huit dernières années de transes algériennes qui ont suivi et, en écho, de mes livres écrits alors ? De ma vie désormais vouée à l’exil ? Même s’il s’agit d’un exil mouvant !... Pourrai-je résumer cette partie de mon parcours par le titre de ma postface au recueil de nouvelles Oran, langue morte, qui se veut chronique d’attentats, de peurs et d’alarmes rapportés par certains de mes proches, de mes amis perdus ou retrouvés ? J’y avais déposé – ou transmué ? – en ce printemps et cet été 1996 les paroles brèves de ceux-ci, rencontrés souvent au hasard des rues parisiennes : comptes-rendus haletants parfois sur la mort violente, ou sur l’angoisse, ou la sauvagerie (telle cette institutrice décapitée devant ses élèves, des enfants) – et en revivant, à mon tour, ces épisodes, j’ai soupiré d’impuissance, peut-être aussi d’étonnement devant ma persistance à fixer, à garder trace. Car je m’impatientais en effet : «Pourquoi toujours la mort ? Pourquoi écrire sur la mort ?» «Le sang, constaté-je donc, ne sèche pas dans la langue !» Et j’ai tourné et retourné cette métaphore, peut-être en vain. Pour sortir, à ma façon, du piège : non, décidément, l’écriture – je veux dire l’écrit de toute littérature, ainsi que la parole illuminante – n’est pas un faire-part de deuil ou de crime ; non, elle n’est pas une plaque funéraire bavarde, simplement projetée dans l’espace vide, le temps que circulent quelques milliers d’exemplaires de vos pattes de fourmi tracées sur papier, lancés comme un paquet-cadeau à la mort. Non, l’écriture à laquelle je me vouais dans ce malheur algérien, est-ce l’alarme, est-ce l’appel au secours (au secours de vous-même) ? Elle est le dialogue suspendu avec l’ami sur lequel est tombée la hache, dans la tête de qui sonné la balle, tandis que vous, vous survivez, tandis que vous, vous questionnez sur les tout-petits détails, juste avant celui – ou celle – que vous avez connu soit pétrifié en victime, en cadavre, en silence ! Votre écriture donc danse avec des fantômes et, tant que vous vivez encore, cette nécessité de la narration court en vous comme votre seule électricité – ce n’est même plus la langue, celle-ci pourrait devenir informe ou, pourquoi pas, langue des signes pour sourds-muets ; simplement vous soutient le fil de la continuité, de la volonté de dire ou du désir sauvage de ne pas oublier... Certains diraient : l’acier de la résistance. Edmond Jabès, arraché de son Egypte natale, au milieu de son âge, remarquait : «Les chemins d’encre sont des chemins de sang !» Il l’écrivait à Paris, et je dirais, presque à voix basse. Seule cette force-là, si peu visible, si impalpable, si peu propice aux projecteurs, me semble-t-il, devrait me redresser : la seule force, transparente ou friable, de l’écriture. Ou, dans mon cas, le poids, encore insoupçonné, du silence des musulmanes, en amont de cette écriture. Finalement, j’appellerai décidément ces dernières années de mon pays «les années de Joseph» ! Rappelez-vous : Joseph, injustement calomnié, est enfermé dans la prison du Pharaon, de longues années. On s’aperçoit qu’il sait interpréter les songes. C’est le don de prescience – ou d’interprétation – qui intéresse le Pharaon. Celui-ci envoie un messager pour le libérer et l’amener à lui. Alors (et c’est la version coranique que j’ai éclairée dans la nouvelle La Beauté de Joseph), Joseph refuse de sortir, par scrupule. «Allez d’abord, dit-il, demander aux femmes qu’elles m’innocentent !» Ce suspens de l’histoire – Joseph sur le seuil de la prison et qui attend – je l’aime particulièrement ; car le texte de la sourate 12 est d’une beauté littéraire troublante. Dans cette version, c’est le verdict des femmes (elles qui étaient dans le désir d’amour de Joseph et dans l’interdit de cet amour) qui rend à Joseph sa liberté et lui permet son ascension extraordinaire en Egypte, lui, l’étranger ! Contrairement à la Genèse, la sourate coranique ne nous rapporte pas une épouse de Putiphar calomniatrice et mauvaise. Au contraire, celle-ci, ainsi que ses compagnes, en innocentant Joseph et en invoquant «la miséricorde de Dieu», par leur parole de vérité, libèrent véritablement Joseph, ou Youssef en arabe. Ainsi, j’en ai l’espoir tenace : dans le sillage de cette sourate coranique, les femmes en Algérie, par leurs souffrances et leur parole de vérité, nous libéreront de l’étau de ces années terribles. Aujourd’hui, pour que la paix revienne bientôt, mais avec la justice et sans l’oubli, je dédie ce prix de la Paix 2000 que je reçois aux écrivains algériens disparus, le romancier Tahar Djaout, le poète Youssef Sebti et le dramaturge Abdelkader Alloula, tous les trois assassinés en 1993 et 1994. Je le dédie aussi au premier d’entre nous – nous, de la littérature du Maghreb d’aujourd’hui – Kateb Yacine, poète, romancier et dramaturge, mort en 1989, peu avant nos «années de Joseph» qu’il avait, je le sais, pressenties.»
Assia Djebar

 

 

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