Salim Aggar, journaliste et critique de cinéma, est directeur du
Centre algérien de la cinématographie (CAC) depuis le 20 décembre 2018. Le CAC
gère la cinémathèque algérienne et ses salles.
La numérisation est un axe central de la
modernisation de la cinémathèque algérienne. Quelles sont les actions que vous
menez actuellement ?
J’ai d’abord
établi un état des lieux global pendant une année, tracé ensuite une feuille de
route. Il s’agit justement de mettre le paquet sur la numérisation des archives.
Pendant longtemps, on a travaillé sur la programmation des films dans les
salles, or la mission principale de la cinémathèque est de sauvegarder les
archives. En arrivant, j’ai trouvé des archives dans un état lamentable. Nous
en avons sauvé une grande partie et voulons les
sauvegarder avec la numérisation.
Le CAC a
obtenu un budget pour acquérir un scanner et une essuyeuse de bobines (16 et 35
mm). Ces deux appareils sont coûteux mais essentiels pour la numérisation et la
restauration des films. Nous sommes en phase d’acquisition des
ces outils en passant par l’appel d’offres.
Quelle est la taille des archives que la
cinémathèque possède ?
La
cinémathèque algérienne est la plus ancienne et la plus grande en Afrique et dans
le monde arabe en matière de stockage de films, d’affiches de films et de
photos. La cinémathèque possède plus de 60.000 bobines de films, 9000 affiches
de cinéma et des milliers de photos. Ce patrimoine est stocké dans cinq
endroits : Bab el Oued, la bibliothèque nationale d’El Hamma, les salles de
Blida et de Béjaia ainsi qu’un local au niveau de la
wilaya d’Alger.
Ce patrimoine
a été acquis durant de longues années. C’est aussi l’héritage des institutions
de cinéma et de l’audiovisuel dissoutes comme l’ANAF, l’ENPA, le CAIC, mais de
tous les distributeurs étrangers qui étaient installés en Algérie. S’ajoute à
cela, les films récupérés par la cinémathèque en donation ou en dépôt légal (…)
La cinémathèque n’a jamais organisé d’exposition d’affiches alors que les
expositions figurent dans la liste de ses missions. Elle peut exposer les
photos, les documents, les lettres d’un cinéaste, par exemple.
La cinémathèque algérienne possède aussi un
centre de documentation…
Oui, le centre
de documentation de Debussy (Alger centre) avec une importante de collection
iconographiques (Photos, Affiches et articles de presse). Dans ce centre, il y
a une bibliothèque où on peut trouver des livres sur le cinéma et d’ anciennes revues (« Positif »,
« Première », etc). Il y a aussi des revues
algériennes comme « Deux écrans ». Le centre de Debussy est un centre
de référence pour les chercheurs dans le domaine du cinéma.
Ce centre est-il accessible au public ?
Il est
accessible, mais beaucoup plus pour les chercheurs, les journalistes et ceux
qui s’intéressent au septième art. Les personnes qui veulent consulter les
archives peuvent prendre rendez-vous par mail en précisant la demande pour
qu’on puisse préparer la documentation.
Nous pouvons
également faire des copies ou scanner des photos. La prestation est payante.
Nous avons dernièrement organisé une visite pour les étudiants de l’Ecole
supérieure de journalisme d’Alger à ce centre, à la salle de la cinémathèque et
la bibliothèque nationale où est stocké l’essentiel de nos archives.
On nous leur a
montré comment restaurer les bobines et lister la banque de données. Au 5e
étage de la bibliothèque nationale d’El Hamma, plus de 20.000 bobines de films
sont stockées.
Quel est justement le nombre de films
stockés par la cinémathèque ?
Nous avons
fait un classement des films: algériens, hindous,
arabes et des autres pays (Europe et Amériques). Même classement pour les
affiches. Nous avons des films de Cuba, du Mexique, de l’Argentine, des Etats
unis, d’Inde, d’Egypte, de France, d’Italie, d’Espagne…nous avons un énorme
stock de films russes, certains produits à l’ère soviétique durant les années
1960/1970.
Un recensement
des films a été dressé. Nous avons également 350 scénarios originaux, tous les
scénarios des premiers films algériens comme « La bataille d’Alger »,
« Chroniques des années de braise », « Leila et les autres »…nous sommes en train de les numériser page par page
pour les sauvegarder. Nous allons également numériser les affiches et les
photos.
Qu’en est-il des archives déposés
au niveau de la wilaya d’Alger ?
Les archives
se trouvant au niveau de la wilaya d’Alger sont dans un état lamentable. Nous
sommes en train de trier pour garder ce qui peut l’être. La destruction des
bobines dégradées et irrécupérables est une opération sensible, qui doit être
chapeautée par une commission constituée de représentants de plusieurs
ministères.
Il s’agit de
l’incinération de bobines contenant des produits chimiques. Nous ne voulons pas
que les bobines atteintes par le syndrome du vinaigre (dépolymérisation des
pellicules) contaminent les bobines en bon état.
Quelle est alors l’ampleur des archives
perdues ?
La perte
touche surtout les films étrangers. Mes prédécesseurs se sont occupés du fonds
algérien qui a été sauvé. Une bonne partie des films étrangers l’a été
également. Mais, près de 40 % des bobines ont été abandonnées, cela concerne
surtout les courts métrages et les documentaires.
A Blida, les
bobines ont été complètement détruites par l’humidité et l’infiltration d’eau.
Nous allons également déplacer les archives qui sont actuellement à Béjaïa.
Qu’est-il de l’ouverture des salles ?
Les salles
sont déjà ouvertes depuis le jeudi 18 février 2021. Les projections se font à
13h et 15h. Notre programmation est sur la page Facebook de la cinémathèque. Un protocole sanitaire
sera respecté pour éviter toute contamination à la Covid-19 comme le port du
masque. 50% de la salle sera utilisée seulement lors des projections. Et, après
la fin de la séance, la salle est désinfectée.
Nous avons
commencé par la projection de films sur la guerre de libération nationale. A
partir du mardi 23 février, commencera le cycle Federico Fellini. Une exposition
d’images et d’affiches sera organisée des films de ce cinéaste italien comme
« La strada » (1954), « La dolce vita » (1960). Six à sept longs métrages seront
projetés. L’Institut culturel italien va aussi mettre à notre disposition des
films.
Qu’avez-vous prévu pour le mois de mars ?
Nous avons
programmé du 3 au 10 mars, un cycle sur le cinéma féminin. Après, nous allons
organiser des cycles du cinéma mondial. Nous avons une programmation spéciale
pour le Ramadhan (en avril). Nous projetons aussi d’organiser un cycle consacré
au court métrage algérien et un autre sur le cinéma d’épouvante algérien avec
un débat avec les jeunes réalisateurs.
Combien de salles gère le Centre algérien
de la cinématographie ?
Actuellement,
la cinémathèque compte douze salles. La dernière salle ouverte est celle de
Batna. Au courant 2021, nous ouvrirons la salle de Constantine.
Au début, la
cinémathèque avait 18 salles. En raison de complications administratives, elle
a perdu quelques-unes. Certaines ont été récupérées par les directions de la
culture comme à Khenchela et à Mostaganem. Les
passations entre la cinémathèque et les directions de la culture ne se sont pas
faites. Donc, c’est toujours bloqué au niveau administratif.
La
cinémathèque de Bordj Bou Arreridj a été fermée à l’époque de l’ex-FIS (début
des années 1990), a été abandonnée après. Idem pour Chlef. Nous espérons
récupérer les salles de Khenchela et de Mostaganem
qui sont en bon état.
Les pouvoirs publics envisagent de créer le
Centre du cinéma algérien (CCA) qui va rassembler tous les établissements ayant
un rapport avec le cinéma. Cela concerne également le CAC. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement,
je suis contre la dissolution du Centre algérien de la cinématographie. Le CAC
a été créé par décret présidentiel le 17 mars 1967 pour gérer la cinémathèque
algérienne. Il a une longue histoire. Et, nous venons de fêter les 56 ans de la
création de la cinémathèque algérienne (23 janvier 1965).
Donc, il n’est
pas possible de réduire la cinémathèque à un département dans un Centre
cinématographique. Nous ne sommes pas contre sa création, mais la cinémathèque
ne doit pas être concernée par cette fusion. La cinémathèque est une
institution indépendante avec ses propres missions, histoire et patrimoine. Il
ne faut pas l’associer à une restructuration de l’industrie cinématographique.
Avez-vous expliqué cette position au
ministère de la Culture ?
Nous avons
exposé notre position au secrétaire d’Etat
chargé de l’Industrie cinématographique Youcef Sehairi. Il a dit que la
cinémathèque ne sera pas dissoute, mais sera sous l’égide du CCA. Comme
dans la plupart des pays, la cinémathèque est une institution indépendante, qui
fonctionne sous forme de fondation ou d’association et bénéficie de l’aide de
l’Etat. Nous voulons donc garder le statut d’établissement public pour protéger
la cinémathèque et son patrimoine.
Notre projet est de transformer la cinémathèque en musée du cinéma. Nous avons
entrepris un processus de revalorisation du statut. La démarche est bloquée à
cause du projet de restructuration. Je souhaite que le CAC ne soit pas dissout.
Il a besoin de stabilité. La cinémathèque est rentable. Nous avons des entrées,
pas en milliards, mais quand même, nous sommes la seule institution publique
qui fait entrer de l’argent.
Il y a une
différence entre l’action de la cinémathèque, la production de films et
l’organisation des festivals. Je suis quelqu’un qui a toujours défendu le
cinéma algérien. Le projet du CCA est important, mais il ne doit pas concerner
la cinémathèque algérienne.
Qu’en est-il de la restauration des salles ?
Depuis 2000,
une dizaine de salles ont été restaurées. Outre Alger, il s’agit de
Constantine, Tizi Ouzou, Batna, Tlemcen, Oran… Nous allons doter quelques
salles en système de projection DCP. Les salles d’Oran, de Béjaia
et d’Annaba sont déjà équipées de DCP. Nous projetons d’équiper celles de
Constantine et de Tizi Ouzou. J’ai trouvé anormal que la salle d’Alger, de la
rue Larbi Ben M’hidi, qui garde toute la mémoire de
la cinémathèque algérienne, ne soit pas dotée de DCP.
Nous avons obtenu 14 milliards de centimes pour restaurer la salle de Blida,
qui est l’une des plus anciennes de la cinémathèque. Un avis d’appel
d’offres sera bientôt lancé pour l’opération de restauration. La salle, qui n’a
jamais bénéficié d’opérations de ce genre, est située au centre
ville et a un public. Le cinéma a sa place à Blida. Je me donne comme
défi de rehausser la cinémathèque au niveau mondial dans un délai de cinq ans.
Pour cela,
nous devons gérer nos propres archives, avoir une plate-forme numérique. Nous
n’avons pas encore atteint ce stade supérieur, pas encore numérisé la totalité des archives pour passer à la diffusion digitale.