FINANCES- OPINIONS ET POINTS DE VUE- FINANCE
ISLAMIQUE- A.HADJ NACER (ENTRETIEN/EXTRAITS)(II/II)
© La Nation (quotidien)/Entretien
réalisé par M. Berrached et M. Khellassi
, samedi 13 février 2021
Ça, c’est le réel ou la
théorie ?
Je parle de la théorie, dans le
réel, nous sommes tous anti-islam.
Je dis, donc, nous
avions créé le dinar d’or pour que la Banque centrale ait les moyens
de devenir la banque de référence dans le monde pour les banques islamiques.
Pourquoi ? Supposons qu’on soit dans le cas d’une banque qui partage le risque,
un banquier qui se dit, moi je suis un bon musulman, donc je prends le risque.
Même lui, il ne peut pas le faire parce que l’argent doit toujours
circuler. Mais cet argent, je suis obligé de le faire circuler par la
Banque centrale. Une banque obligée de le faire circuler dans le monde. Toutes
les monnaies du monde, l’euro, le yen, le rouble…etc. transitent par le dollar.
Or l’étalon du dollar c’est le taux d’intérêt. Donc, tant qu’il n’y a pas
d’étalon international islamique, il ne pourrait y avoir de banques islamiques
puisque, de toute façon, il est régi par taux d’intérêt. Mais vous
pouvez me dire que le taux d’intérêt n’est qu’un prix, donc pas interdit.
Je dis : non, parce que si le taux d’intérêt était le le
fruit du marché, et bien, je vous dis que le taux d’intérêt n’est pas
antimusulman. Le riba et la spéculation sont
antimusulmans. Le problème est que le taux d’intérêt n’est pas régi par le
marché, mais par des interventions spéculatives en permanence. On le sait parce
qu’il y a eu différents scandales à Londres à ce sujet. Tant que la city gère tous
les flux financiers du monde entier, il ne peut y avoir de finance islamique.
L’idée pour nous, donc, était de
commencer à créer une monnaie alternative pour commencer à apprendre à gérer la
centralité d’un marché. Le marché islamique est énorme. Ceux qui l’ont compris,
les Anglais, en particulier, ont fait beaucoup. Et comme ils sont à l’origine
du wahabisme et du saoudisme depuis 1866. A
l’époque, c’était pour abattre l’empire Ottoman…etc. Lorsque le marché, grâce
au wahabisme est devenu un méga-marché, ils, les Anglais, ont créé dans les
années 1990 les islamiques Windows. C’est-à-dire, ils ont créé dans toutes les
banques une fenêtre islamique. La même banque classique vous vend un produit
islamique. Le produit islamique, vous l’auriez remarqué, est toujours plus cher
que les autres produits.
Si les Français avaient eu
l’intelligence de la situation, ils auraient dû sauter sur l’occasion et
s’associer à l’Algérie plutôt que de lui faire la guerre en permanence pour
pouvoir exister face aux Anglo-saxons. Il se trouve qu’ils sont médiocres en
matière de finance.
L’histoire du rééchelonnement,
versus reprofilage est aussi à interpréter dans ce sens. L’idée même
que les Algériens puissent penser autrement qu’eux n’effleure pas leur esprit.
C’est une insulte pour eux. Comment ils nous ont combattu ?
A l’époque, malheureusement, le
système n’était préoccupé que par sa propre survie qui, à ses yeux, passait par
la légitimation française et appliquait mécaniquement toute préconisation
parisienne. Il faut rééchelonner. Pourquoi ? Parce que la légitimité ne
vient pas du peuple, mais de la reconnaissance de l’étranger, et cet étranger a
dit qu’il faut rééchelonner.
Quant au Fis…il n’y a pas pire que
ces faux musulmans. Ce sont les plus grands suppôts de l’économie spéculative.
On est totalement à l’opposé de l’économie islamique qui est l’économie du
risque.
Mais c’est leur projet qui
passait ?
Bien évidemment. On n’est pas
indépendant, puisqu’on recherche toujours la reconnaissance par l’étranger.
Et du point de vue technique ?
Vous croyez que l’argent, c’est
technique. Il
n’y a rien de plus politique que l’argent. C’est quoi la source du pouvoir ?
C’est quoi le pouvoir ?
Il y a plusieurs composants ?
On est dans un débat d’une banalité
affligeante, le reste c’est de l’idéologie. Qui détermine, est-ce que
c’est l’épée qui permet de s’enrichir ou l’argent qui permet d’acheter le
militaire. Cela ne va pas plus loin.
Pourquoi je m’enrichis ? Donc l’histoire de la banque islamique est
celle-là. Aujourd’hui, tant qu’on n’a pas réglé le problème de la capacité des
musulmans à, non pas seulement à fonctionner de façon autonome, mais créer une
centralité en leur sein, une vraie indépendance économique et financière. Tant qu’on est pas rentré dans un système multipolaire au sens
propre, la multiplicité de centre de pouvoir et donc la multiplicité de centre
d’argent… tant qu’on n’a pas cette multiplicité de monnaies qui dialoguent
entre elles, et dans laquelle il y a une monnaie islamique qui correspond à la
définition que donne l’islam à l’économie, à savoir le partage du risque.
Tout le reste n’est qu’une question de vocabulaire pour couvrir une spéculation
qui est beaucoup plus grave que celle des banques classiques.
Comment analyser l’action du
gouvernement qui accélère l’ouverture des guichets de finance islamique ?
C’est un problème de crédibilité.
Est-ce que l’Etat est suffisamment crédible, et les banques d’Etats
peuvent-elles convaincre l’Algérien de mettre sa confiance dans cette banque
et, ensuite que le produit qu’on lui vend est islamique. Moi, je pense que oui.
On a vu que quand les gens achetaient les voitures, par exemple, les produits à
consommation islamique se sont bien vendus. Et le citoyen ne te croie pas quand
tu lui dis que la voiture te revient plus chère si tu l’achète à travers ce
procédé. J’ai expliqué à des gens, à plusieurs reprises, qu’on est dans le
Haram. On m’a dit : vous avez raison mais…, aidez-nous à créer une banque
islamique.
Le Haut conseil islamique est
chargé de la fatwa et on trouve, au niveau de chaque banque, un
conseil de la fatwa
Parce que chaque conseiller est
payé. C’est quoi le capitalisme de connivence. Je crée une entreprise dans
laquelle je te nomme comme administrateur. De ton côté, tu crées ton entreprise
et tu me nommes administrateur. Aujourd’hui, tout est à vendre. Je vous dis que
ce que nous faisons est anti-islamique. Et s’il y a autant de fatwas, c’est parce
qu’il y a autant d’argent à gagner. C’est tout.
Pouvons-nous vendre quelque chose
que nous n’avons pas ?
Bien sûr.
Le problème, c’est que ces
banques ne possèdent pas de voitures, ni de maisons à vendre
Vous ramenez le logement et la
banque vous le vend en faisant un montage (Men lahyatek
ybakherlek) (il t’encense à partir de ta barbe).
C’est pour ça que je dis que c’est un montage garanti. L’AADL construit, la
banque n’a pas pris de risque avec l’AADL. Et vous lui dites :
J’ai envie d’acheter un logement chez l’AADL. Alors il l’achète à ta
place et vous lui versez le loyer. C’est ça la banque islamique. Et d’où lui vient
l’argent ? Et bien de la Banque centrale qui lui accorde des crédits. Et
la Banque centrale lui prête de l’argent avec un taux d’intérêt. Elle lui prête
à 5 % et lui, il vous propose l’appartement à 10 %. Et l’appartement n’est pas
en votre nom, mais en son nom à elle. Vous pouvez payer pendant sept ans et si
vous ne payez pas la huitième année, vous perdez l’appartement. Et on ne vous
rembourse rien du tout. Cela veut dire qu’elle n’a pris aucun risque. La vraie
fatwa, la seule, est de dire : l’intérêt est halal.
Ce problème a été résolu très tôt
chez les juifs ce qui explique leur maîtrise à ce jour des technologies et
instruments financiers. Il a fallu attendre le Moyen âge pour que les chrétiens
se libèrent progressivement et libèrent enfin leur capacité entrepreneuriale,
ce qui explique grandement la renaissance. À quand notre tour d’être enfin
libres et intelligents ?