DEFENSE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- RECHERCHE HISTORIQUE EMMANUEL BLANCHARD – « LA POLICE PARISIENNE ET LES ALGERIENS
(1944-1962) »
La
police parisienne et les Algériens (1944-1962). Recherche historique de
Emmanuel Blanchard. Casbah Editions, Alger 2013. 448 pages, 870 dinars
Affaiblie par
l’épuration mais forte du prestige de « l’insurrection » d’août 1944
(contre l’occupant nazi)
et de ses 167 « martyrs » de la Libération de Paris, la
préfecture de police de Paris est devenue puis restée (jusqu’à nos jours ?) une sorte d’
« Etat dans l’Etat », auquel il était très difficile, sinon
impossible d’imposer des réformes. Entre 1947 et 1963, sa cible favorite a été
d’abord et surtout les
« Nord-africains », en particulier les « français musulmans
d’Algérie » (les Fna) arrivés, émigrés forcés ou volontairement, en
« métropole ». Les Algériens furent donc ciblés
,continuellement, soit comme des étrangers, soit comme des
« indigènes » que l’on pouvait discriminer en raison de la situation coloniale.Sous divers motifs étaient mis en place des
dispositifs qui empruntaient au traitement habituel des
« indésirables » . La marge de manœuvre fut élargie avec la nouvelle
configuration politique née du déclenchement de la guerre de libération
nationale et encore plus lorsque celle-ci déménagea une partie de son action en
« métropole » (ouverture rendue necessaire
d’un “second front”). On passa donc de l’ « indigène » au citoyen diminué puis à une nouvelle
clientèle policière .Les structures changèrent ainsi que les méthodes .La
mentalité, elle ,n’avait pas changé, avec « l’absence du vécu colonial des
gardiens de paix parisiens ».
Les
structures : Si au départ (années 20), on avait le Saina
(visant tous les colonisés), par la suite on a eu la Mona, la Bna,
les Ctam (1952),la Bav
(Brigade des agressions et violences, « une nouvelle police des
Algériens » créée à partir de 1953), le Samas
(1958) et enfin la Bac (Brigade anti-criminalité)…..mais
aussi les Civ, le Sat-Fma
(sorte de Sas/Sau) s’appuyant sur les Brs (Bureaux de renseignements spécialisés) ……….puis
le Gap (Groupe interministériel d’action psychologique) puis la Fpa (Force de police auxiliaire)…..Une
cascade d’organismes , d’approches et de sigles ……Puis vint Papon (15 mars
1958) … .Avec cet ancien Igame de
Constantine (1956-1958), ancien collabo anti-sémite des nazis occupant alors la France, ayant
fait ses « preuves » au Maroc
sous protectorat , un autre
grand tournant allait voir le jour , avec des méthodes de travail encore plus
radicales , dont l’aide de
« harkis » ramenés d’Algérie et organisés en « brigades
nord-africaines » (Bna) chargés spécialement d’
« éliminer » les « indésirables ». La « Bataille de
Paris » (sic !) allait commencer …et on alla jusqu’à créer en août 58
le Scaa (Service de coordination des affaires
algériennes directement rattaché au cabinet du préfet……une déclinaison
métropolitaine du Cra, Centre de renseignement et
d’action opérant dans l’est algérien faisant « travailler » ensemble
unités policières et militaires) :
Rafles gigantesques (dont certaines durèrent des semaines et des mois , avec
des regroupements dans des « centres de triage » rappelant l’époque
des nazis et ses policiers parisiens collabos y entassant le Juifs) ,raids, bouclages et blocus des quartiers, contrôles répétés
,opérations de type militaro-policier d’envergure, contrôle au faciès, banissement,
« brutalités » routinières, sévices et torture, internements (dans
les Cars ou “Camps d’assignation à résidence surveillée » en
métropole même : Thol, Larzac …) ,
limitations à la liberté de circulation,
« reconduites » « vers le douar d’origine »………et
même exécutions sommaires…….l’élimination physique étant devenue une modalité
d’action.Point d’orgue, les massacres du 17 octobre
1961 en plein Paris : une manifestation pacifique de 20 000
personnes (Ali Haroun évoque le chiffre
de 50 000…..avec beaucoup de femmes et d’enfants) contre un couvre-feu ciblant les seuls
Algériens qui entraîna …..12 000 arrestations en une seule
journée mais aussi des centaines de
morts par balles ou par étouffement (sous les corps) ou sous les coups de « bidule »
portés par les agents , et de disparus (dont plusieurs jetés dans la Seine),….un véritable « massacre
colonial » en pleine capitale…..auquel participèrent, dit-on (certains témoins interviewés trente ou
quarante ans après les faits) des pompiers, des machinistes de la Ratp mais
aussi de simples passants. La « ratonnade » généralisée…… Un « pogrom »
(Pierre Vidal-Naquet)
.
« Dix ans après que la citoyenneté
française leur eut été octroyée , les Algériens
n’étaient donc toujours pas reconnus comme des individus dont l’action
politique pouvait s’expliquer par la défense de valeurs et d’intérêts, ou par
une trajectoire historique partagée par nombre de régions colonisées.Pour
la police parisienne , ils restaient enfermés dans le carcan d’une situation
coloniale fondée sur la criminalisation de toute remise en cause de ce rapport
de domination » (p 204). En plus d’être une terre colonisée, occupée,
l’Algérie allait devenir aussi une « colonie punitive », une
« terre de banissement » (le plus célèbre
des bagnes fut celui de Lambèse qui servit à la répression des militants
nationalistes jusqu’en 1962…en plus des autres camps de concentration, des
camps de regroupement ….et des
« livraisons » aux bourreaux locaux qui avaient multiplié les centres
de détention et de torture.
Bref, bien
qu’elle ne fut jamais en position de monopoliser les pouvoirs à la façon de
l’armée en Algérie, il n’en reste pas moins que les années 1958-1962 « ne
furent pas celles de l’Etat de droit, mais celles de l’ « Etat
de police » …..appuyé par le Général de Gaulle lui-même et son
premier ministre M. Debré ……
Après 1962……Aujourd’hui…..une parenthèse refermée ? Pas si sûr…..tant que la situation « coloniale » perdure
encore dans bien des esprits. A.Tebboune
et E. Macron, B.Stora et S.Chikhi
ont du « pain sur la planche » ! Face à des mémoires “inoubleuses”……et une “histoire” qui “bégaie”
L’Auteur :Maître de conférences en sciences politiques (Université de
Versailles-Saint Quentin en Yvelines, chercheur au Centre de recherches
sociologiques sur le droit et les institutions pénales ( Cesdip).
Recherches sur les polices en situation coloniale et sur la socio-histoire des
politiques d’immigration
Table des matières :Introduction/Partie I :La police parisienne aux
prises avec le nouveau statut des Algériens (1944-1947)/Partie II :
Innovations et adaptations d’une police des citoyens colonisés (1947-1956)/
Partie III : Les contributions de la préfecture de police à la définition
d’un « problème nord-africain » (1947-1958)/ Partie IV :
« Eliminer les indésirables » : nouveaux dispositifs et
radicalisation d’un répertoire d’action (1958-1962)/ Annexes (3)/Liste des
sigles et abréviations/Sources utilisées/Références citées/Index/Remerciements.
Extraits : « L’émergence d’une « histoire apaisée » de
l’Algérie colonisée apparaît plus comme un horizon que comme une
réalité »( p12), « L’Algérie fut un des territoires français qui
paya le prix humain le plus lourd aux combats de la Seconde guerre mondiale et
les immenses sacrifices consentis par l’ensemble des populations accentuèrent,
plus qu’ils ne résorbèrent, la fracture née du spectacle du suzerain colonial
défait » (p 21), « La figure de l’ « indésirable »
appliquée aux Algériens était donc tout à la fois sociale et politique et les
constituait en « ennemis de l’intérieur » dont les caractéristiques
étaient cependant loin de leur être propres » (p 198), « La solution
la plus simple consisterait à interner tous les Fma
compromis ou suspects… » (Préfecture de police. Extrait rapport du 29 juillet 1957, p291),
« A compter de l’automne 1958, les polices jouèrent en métropole le rôle
des militaires en Algérie… »(p 331), « Le 17 octobre 1961(à
Paris) , ce ne fut pas un service de
maintien de l’ordre qui fut mis en œuvre, mais une véritable « chasse à
l’homme » fondée sur des critères raciaux…..Un événement qui, par son
caractère unique dans l’histoire de la France métropolitaine du XXè siècle, est particulièrement difficile à
catégoriser » » (p 391
Avis :Un livre issu d’une thèse de doctorat……certes « refondue »
et dont certains chapitres n’ont pas été repris, heureusement pour le lecteur.
Toutes les parties sont passionnantes nous faisant découvrir
, faits à l’appui, le côté presque toujours obscur et souvent
criminel de la police parisienne !On
en perçoit bien des séquelles aujourd’hui encore . Suite et…pas fin !
l’auteur devrait présenter une autre thèse……de 62 à 2020.
Citations : « Le 1er mai 1945
a été le premier acte d’une affirmation collective et publique de la
revendication d’indépendance nationale » (p 23), « L’accentuation de
la misère de populations infériorisées ou construites en ennemis est un ressort
courant des acteurs administratifs , politiques ou médiatiques engagés dans les
luttes de définition d’un certain nombre de problèmes publics » (p 187),
« Dans le cas algérois, le terme « bataille » (d’Alger) était
destiné à anoblir l’action de régiments de parachutistes qui avaient effectué
de vastes « opérations de police » fondées notamment sur
l’usage massif de la torture (….) Pierre Vidal Naquet affirmait d’ailleurs
que si l’expression pouvait être utilisée à bon droit, c’était bien parce que
la police parisienne pouvait être comparée aux parachutistes du général
Massu » (pp 334-335)
. « L’histoire des « Français musulmans
d’Algérie » émigrés en métropole entre 19944 et 1962 est placée sous le
sceau d’une forte emprise des forces de l’ordre » (p 399)