POPULATION- FEMME- FEMINICIDES
2020
©Neila Benrahal/El Moudjahid, dimanche 31 janvier 2021
Les bilans des services de sécurité
pointent une nette augmentation des violences à l’égard des femmes par rapport
à l’année 2019.
En 2020, chaque mois une moyenne de quatre femmes sont mortes assassinées sous
les coups de leur mari ou ex-partenaire.
D’autres meurtres ont été enregistrés
au cours de ce mois de janvier, dont celui de la journaliste Tinhinane Laceb, victime d’une
violence conjugale sous les yeux de ses deux fillettes. Une autre femme, Warda
O., mère de 5 enfants, a été mortellement poignardée par son mari qui lui a asséné
également des coups de marteau à la tête.
Ce phénomène a pris des proportions des plus inquiétantes ces derniers mois,
les chiffres des services de sécurité montrent notamment une hausse des
féminicides durant le confinement sanitaire. Ces derniers ont traité l’année
dernière plus de 14.000 cas autant en milieu urbain que rural. Selon la
direction de la police judiciaire de la DGSN, 6.782 affaires ont été
enregistrées, dont 4.839 cas de violences physiques et 130 cas de maltraitance,
coups et blessures volontaires entraînant la mort et homicides volontaires,
outre 96 affaires de harcèlement sur la voie publique.
Par ailleurs 6.460 affaires de violence à l’égard de la femme ont été également
enregistrées en milieu rural par la Gendarmerie nationale durant ces neuf mois.
Les violences les plus fréquentes sont d’origine familiale et conjugale mais
les féminicides ont marqué l’année 2020 avec 54 femmes assassinées à travers le
territoire national, selon les cas médiatisés. Ce phénomène touche tous les
âges et toutes les catégories, selon le collectif «Algérie
féminicides». Ce chiffre ne reflète pas forcément la réalité, car dans la
majorité des cas, ces affaires ne sont pas rendues publiques. Le chiffre est
donc plus important.
Des crimes odieux
L’année 2020 ayant été marquée
particulièrement par des crimes odieux ayant suscité une vague d’indignation et
de consternation sur les réseaux sociaux. L’on cite le cas de la jeune Chaïma
de 19 ans, sauvagement assassinée à Boumerdes, par un repris de justice qui l’a
brûlé vive. Un autre drame a secoué la wilaya de Constantine avec le meurtre
d’une jeune fille de 27 ans poignardée à plusieurs reprises par son fiancé
après une violente dispute.
A Alger, une femme enceinte de sept mois, a été retrouvée égorgée par son mari
à Beni Messous le 8 août dernier. Le 1er août à
Guelma, un retraité a tué sa femme avec un fusil de chasse. Avant ces deux cas,
le 24 juillet, un policier de la Sûreté de wilaya d’Annaba tue sa femme avec
son arme de fonction au domicile de ses parents, dans la wilaya de M’sila, où
elle se trouvait après un conflit conjugal. Le 20 juillet dernier, une autre
femme âgée de 28 ans, enceinte et mère de deux petites filles, a été rouée de
coups jusqu’à la mort par son conjoint à Boukricha
dans la wilaya de Guelma. A Sétif, le corps partiellement calciné d’une jeune
fille de 32 ans a été découvert dans la forêt Faid Gharib. Le procureur de la République a précisé que le
décès était dû aux fractures causées par un objet contondant à la tête ou bien
par des chutes répétitives. Les raisons du crime auraient pour cause un
différend entre la victime et son tortionaire.
La femme est désormais exposée à la violence à l’intérieur de la cellule
familiale, en milieu professionnel et sur la voie publique. Les auteurs sont souvent
les époux ou des voisins. Selon la dernière enquête de l’Institut national algérien
de la santé publique, les femmes travailleuses sont les plus représentées
(30%). Cette étude précise que 52% des femmes agressées sont mariées, 30% sont
célibataires, 11% divorcées et 4% sont veuves. Plus d'un tiers des femmes
déclarent avoir été victimes de plus d'une agression et, contrairement aux
idées admises, ce sont les femmes instruites et autonomes financièrement qui
sont victimes d'agressions multiples.
Parmi les femmes agressées, 32% ont un niveau moyen, 19% ont un niveau
primaire, 17% ont fait des études secondaires, 11% sont universitaires et 6%
sont sans instruction.
Seules 17% des femmes agressées sont des femmes au foyer, précise le rapport.
L’agression s’est déroulée dans 21% des cas le soir c’est-à-dire entre 17h et
20h et au domicile dans 53% des cas ; les lieux publics sont en cause dans 33%
des cas et le milieu de travail dans 3%, les agressions en milieu scolaire
représentent 2% des cas. Les auteurs d’agressions ont en majorité un niveau
d’instruction. Selon la même source, 37% des agresseurs ont fait des études.
Les victimes évitent souvent de déposer plainte à cause des contraintes
familiales et sociales. En effet, dans 43.5% des cas le certificat médical n’a
pas été délivré pour la victime d’autant que 23% des violences faites aux
femmes sont causées par le mari.
Le confinement sanitaire
facteur aggravant de la violence conjugale ?
Selon une enquête rapide en ligne
réalisée par Nadia Ait Zaï, avocate et militante pour
les droits des femmes intitulée «Prise en charge des
femmes et des filles victimes de violence basées sur le genre durant la
pandémie du Covid», la pandémie a considérablement
impacté la vie quotidienne ,celle des femmes plus particulièrement. La cellule
d’alerte «Halte aux féminicides» a recensé 11 cas de
janvier à mars 2020 et 56 cas depuis mars (milieux rural et urbain confondus).
L’enquête a souligné que les données de la DGSN montrent une prédominance des
violences physiques (71,17%) une recrudescence des homicides pendant le
confinement (6 homicides volontaires de janvier à février 2020, 19 de mars à
octobre, soit 25 femmes tuées). Les coups et blessures ayant entraîné la mort
sont de l’ordre de 7 cas, soit 32 femmes assassinées. Les auteurs de violences
sur les femmes donnent un classement assez atypique.
«Les personnes étrangères sont presqu’aussi nombreuses que les membres de la
famille à agresser les femmes», souligne l’enquête.
Dans la famille, les époux prédominent dans la liste des agresseurs établie à
partir des chiffres mais ce qui est le plus frappant, c’est qu’ils sont suivis
de la catégorie «autres membres de la famille», ce qui
fait penser aux oncles, beaux-frères déplore la juriste.
Les victimes sont nombreuses à contacter les associations pour les aider. Me
Nadia Ait Zaï explique que «si les chiffres montrent
que les femmes s’adressent aux associations elles ne déposent pas plainte à
cause des contraintes sociales et des obstacles auxquels elles sont confrontées
: divorce éventuel, privation de logement, absence de travail, de revenus,
enfants à élever sans le père». Les associations
déclarent 34,25% de cas en moins que la DGSN pour ce type de violence, alors
que le différentiel sur l’ensemble des cas est de 40,69% en faveur des
associations. «Ceci est probablement dû à la peur des
victimes de déposer plainte, mais aussi à un phénomène de sous-déclaration»,
ajoute l’avocate.
La perte de revenus, effet direct du confinement dû à la pandémie est l’une des
raisons le plus souvent invoquées par les victimes de violence. L’exiguïté du
logement qui a abrité la victime et son ou ses agresseurs sans possibilité de
sortie représente une cause importante de violence. La difficulté de chercher
de l’assistance évoquée par près de 15% des femmes, démontre l’incapacité des
victimes de solliciter de l’aide et celle des associations d’y répondre. Me
Nadia Ait Zai plaide pour la création de mécanismes
de protection tels que l’ordonnance d’éloignement, des centres d’accueil, un
mécanisme de signalement des violences.
«L’état doit renforcer les services essentiels tels que les centres d’accueil,
les refuges d’urgence, les lignes d’assistance téléphonique et autres
mécanismes de signalement. Il faut surtout que les pouvoirs publics intègrent les
services de lutte contre la violence à l’égard des femmes dans les plans d’intervention
contre la pandémie COVID-19 au niveau national, régional et local pour être en
conformité avec la stratégie des Nations unies».