COMMUNICATION- PERSONNALITES- MOUNY BERRAH (LAÂZIB)
© Ameziane Ferhani/El Watan, dimanche 31 janvier 2021
Une figure resplendissante et pertinente de la culture algérienne et,
notamment, de la critique cinématographique.
Le samedi 15 janvier 2000 à
Washington, alors que le monde s’épatait du passage au Troisième Millénaire et
que la ville entamait un week-end serein – bien éloigné des tensions qu’elle
vient de vivre –,une voiture quitta la chaussée pour
aller buter contre un arbre ou un mur. On découvrit que la conductrice était de
nationalité algérienne et que c’était son cœur qui avait lâché.
Mouny Berrah, née Laâzib en 1949 à
Alger, n’était plus. Elle laissait son époux, Noureddine, et leurs deux
enfants, ainsi que le monde culturel algérien dont elle fut une figure
resplendissante et pertinente.
En 2015 sur Internet, Ahmed Bedjaoui,
dont la connaissance du cinéma fait autorité, reproduisant un article d’elle
sur le peintre Issiakhem, écrivait : «MounyBerrah a sans doute été la critique littéraire et cinématographique la plus douée de notre génération». Sans aucun
doute en effet et sans doute à ce jour.
Aucun art ne lui était étranger mais elle se dévoua le
plus pour le septième, avec une rigueur qui le disputait à un regard sensible
et une écriture précise, fluide et plaisante.
Mouny Berrah est apparue au milieu des années ’70 dans le sillage
de la Cinémathèque algérienne, alors reconnue mondialement, où ses points de
vue sur les films étaient déjà remarqués. Proche des milieux du cinéma, en Algérie
comme dans le monde, à tu et à toi avec des réalisateurs, techniciens et
comédiens, il n’était pas rare dans les festivals que les gens se demandent qui
pouvait être cette femme discrètement élégante que des sommités allaient
saluer.
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Elle collaborait régulièrement à la revue Ciném Action publiée à Paris qui mettait alors en valeur les filmographies de ce
qu’on nommait le Tiers-Monde. Elle y a notamment participé à la réalisation de
l’édition spéciale«La guerre
d’Algérie à l’écran» (n° 85, 1997).
On retrouve ses écrits dans d’autres revues
spécialisées et journaux du monde. Au pays, sa carrière s’est affirmée avec la
revue Les 2 Écrans, publication
de la Télévision algérienne quand celle-ci ressemblait à quelque chose et
produisait même des longs métrages de cinéma, ce qui était alors nouveau dans
le monde.
Dirigée par Abdou B. et animée par Mouny
Berrah, la revue,lancée
en mars 1978, a poursuivi son cours jusqu’au milieu des années ’80. Elle y a
produit de nombreuses critiques de films et analyses qui accompagnaient un
certain renouveau du cinéma algérien. C’est à ce jour la seule expérience
relativement durable (8 ans) de revue d’art spécialisée en l’Algérie !
On retrouve ensuite Mouny Berrah dans les rubriques culturelles de Révolution Africaine et d’Algérie-Actualités où son talent se déploya sur
d’autres disciplines.
Respectée par les cinéastes, elle ne refusait pas de
répondre amicalement à leurs sollicitations de conseils, généralement par des
observations sur leurs scénarios. Elle figure en tant que coscénariste (avec
Rachid Boudjedra et le réalisateur Farouk Beloufa) dans le générique du sublime «Nahla» (1979) et il lui est reconnu une influence
majeure dans le récit et l’âme de ce film. A Washington, elle avait poursuivi
son travail de décryptage du cinéma tout en étant correspondante de la radio et
de quotidiens algériens.
Elle faisait aussi partie de l’équipe du Festival du
film arabe de New-York. Il est certain que ses brillantes études de sociologie
à Paris où elle avait suivi, entre autres, les cours du sémiologue Roland
Barthes et du psychanalyste Jacques Lacan, combinées à une culture générale impressionnante,ont permis à Mouny Berrah d’arrimer son
travail de critique d’art sur un socle solide, nourri de plus des valeurs
profondes de notre société.
Seul hommage notable qui lui a été rendu, celui des
Rencontres Cinématographiques de Béjaïa qui, en 2017, avaient créé sous son nom
une bourse d’aide à la finition de films. Elle rêvait d’un cinéma algérien
capable de confirmer ses élans et ses réussites et de générer une véritable
industrie créative. Le rêve demeure, hélas et tant mieux. Ainsi que le souvenir
généreux d’une intellectuelle accomplie qui devrait servir de référence à l’ecole de journalisme !