HISTOIRE-OPINIONS ET POINTS DE VUE- HISTOIRE COLONIALE FRANCE/ALGERIE-
BENJAMIN STORA/ENTRETIEN EL WATAN (EXTRAITS)-u d -éveloppement du contenu en lig
Benjamin Stora - PHOTO : D. R.
© NADJIA
BOUZEGHRANE/el WATAN,samedi23 JANVIER 2021
L’historien
Benjamin Stora a remis, mercredi, au président français, Emmanuel Macron, son
rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1954-1962) pour tenter de «décloisonner» des mémoires divergentes et douloureuses
entre les deux pays, aux relations aussi étroites que complexes. Spécialiste
reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérie, il explique dans cet
entretien qu’il a «préféré adopter une
démarche pratique, pragmatique plutôt que de rester dans la dénonciation
idéologique du colonialisme (beaucoup de discours ont été déjà
prononcés sur cette question)»……………………………………..
– La question mémorielle
sur la colonisation française en Algérie est au cœur du quinquennat d’Emmanuel
Macron. Pourquoi, selon vous, lui plus que ses prédécesseurs ? Tout comme le
temps de l’apaisement des mémoires, celui de la reconnaissance de la
colonisation et de ses crimes est-il là ?
Après l’indépendance, les guerres sans fin
de mémoires ont démarré. On l’a vu en France, avec l’impossibilité de trouver
une date de commémoration de la fin de la guerre d’Algérie.
En 2016, François Hollande retient la date
du cessez-le-feu du 19 Mars 1962, mais elle a toujours été contestée par
l’extrême droite et une partie de la droite, au motif que d’autres morts ont
été déplorés après : la fusillade de la rue d’Isly, les enlèvements
d’Européens à Oran, les massacres de harkis… On l’a vu aussi avec la loi du 25
mars 2005 reconnaissant «l’aspect positif de la
colonisation».
Ce n’est qu’à la suite d’une pétition
lancée par des historiens, chercheurs et enseignants que son article 4 a été
déclassé par le Conseil constitutionnel puis abrogé par un décret. Dans les
années 1980 en France, les enfants des immigrés algériens ont commencé à se
manifester, ils ont organisé des marches, dont celle pour l’égalité et contre
le racisme de décembre 1983, des rassemblements, des concerts.
Les appelés du contingent se sont battus
pour obtenir une carte d’ancien combattant. Mais dans les années 1980, François
Mitterrand, qui a été un acteur clef de la guerre d’Algérie, est à l’Elysée.
Ministre de l’Intérieur puis de la Justice entre 1954 et 1957, il a joué un
rôle dans la condamnation à mort et l’exécution de nationalistes algériens,
dont le militant anticolonialiste Fernand Iveton.
Il faut se rappeler qu’un an après son
arrivée à l’Elysée, le gouvernement Mauroy présente un projet de loi sur «certaines conséquences des événements d’Afrique du Nord»,
qui permet notamment la réintégration dans le cadre de réserve de huit
généraux putschistes d’avril 1961 et n’a été adopté qu’à l’aide du 49-3.
Au début des années 2000, une accélération
mémorielle se produit. L’Assemblée nationale reconnaît le terme de «guerre d’Algérie» et met fin aux euphémismes sur «les
événements».
En 2000, Le Monde,
sous la plume de la journaliste Florence Beaugé,
publie une série de témoignages de victimes algériennes de la torture, qui fait
grand bruit. En 2003, Jacques Chirac se rend en visite d’Etat en Algérie. Un
traité d’amitié est envisagé. En 2005, les massacres de Sétif et Guelma,
perpétrés le jour de la libération, sont officiellement condamnés.
Les discours restent des dénonciations
importantes mais abstraites du système colonial. Comme celui de Nicolas
Sarkozy, à Constantine en 2007, qui en évoque «l’injustice» ou
celui de François Hollande, à Alger en 2012, qui parle de brutalité. Emmanuel
Macron a déjà commencé une opération vérité sur l’Algérie.
En février 2017, pendant la campagne
présidentielle, lors d’un déplacement à Alger, il a qualifié le système
colonial de «crime contre l’humanité».
En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de l’Etat dans la mort du
mathématicien et militant communiste Maurice Audin,
officiellement «disparu» pendant la
Bataille d’Alger : il a déclaré dans un texte remis à sa veuve que le
jeune homme avait «été torturé puis
exécuté ou torturé à mort par des militaires».
Récemment, il a restitué à Alger les
crânes des Algériens tués en 1849 lors de la conquête, et dont les restes
étaient conservés au Musée de l’homme, à Paris. Pour lui, la période coloniale
et de la guerre est un «poison» dans
la société française…………………………………………………………….
– L’Algérie est très
attachée à la restitution des archives détenues par la France et se rapportant
à plusieurs périodes de son histoire. N’est-ce pas là un point névralgique à
résoudre ? Pourquoi l’Etat français est-il si réticent à les restituer à l’Algérie ?
Quelles sont les archives que la France devrait rétrocéder aux Algériens ?
Il faut d’abord une meilleure circulation
des archives. Depuis des décennies, l’Algérie réclame la restitution des
archives nationales détenues par la France en invoquant les lois
internationales qui stipulent que «les archives
appartiennent au territoire dans lequel elles ont été produites».
La France détient toujours ce qu’elle
appelle des «archives de souveraineté» (armée,
présidence de la République…) et a laissé les archives dites de «gestion»
(éducation, hôpitaux…). Il faudrait discuter, négocier sur la restitution
d’archives, des originaux.
Il faudrait aussi un fonds d’archives
commun librement consultable par les chercheurs des deux côtés de la
Méditerranée, avec des déplacements facilités. La classification «secret défense» doit aussi être très vite levée pour les
documents d’avant 1970.
Cette meilleure circulation doit aussi
toucher les images, les représentations réciproques, les découvertes mutuelles,
les ouvrages avec des traductions dans les deux langues.
Le plus important, sans doute, c’est
d’abord la question de la rapidité de la consultation de ce qui est
ouvert : il y a un freinage car beaucoup de documents sont tamponnés «secret défense». Il faut surmonter cet obstacle. Ensuite,
deuxième problème important : la circulation des chercheurs et leur accès
aux documents.
Comment les chercheurs algériens
pourront-ils venir en France et consulter les documents et comment des
chercheurs internationaux, notamment français, pourront avoir accès aux
archives algériennes, voilà aussi une question essentielle pour les deux côtés
de la Méditerranée.