CULTURE- MUSIQUE- DROITS D’AUTEUR- ENTRETIEN
AMIROUCHE BELAID
©
Djamel Alilat/El Watan,
dimanche 24 janvier 2021
Amirouche
Belaïd, vous êtes détenteur du label Gosto Producteur, producteur et éditeur de musique depuis
2012 et vous venez de pousser un coup de gueule médiatique en disant que les
droits des œuvres artistiques algériennes des artistes et des producteurs ne
sont pas protégés dans le monde et que l’ONDA, l’Office national des droits
d’auteur ne fais pas son travail…
Absolument.
Tout d’abord, il faut que tout le monde sache que chaque chanson possède un
code d’identification international qui s’appelle ISWC.
C’est une
sorte de carte d’identité. L’ISWC, l’International Standard Musical Work Code,
ou Code international normalisé pour les œuvres musicales, est un numéro de
référence unique, permanent et internationalement reconnu permettant
l’identification des œuvres musicales.
Il faut
savoir aussi que toutes les entreprises de gestion des droits d’auteur du monde
entier sont enregistrées et adhérées au niveau d’un organisme qui s’appelle la Cisac qui est la base des droits d’auteur au monde. (Cisac : Confédération internationale des sociétés
d’auteurs et compositeurs). C’est eux qui identifient chaque titre.
Si un
titre algérien passe en France, ou les droits sont gérés par la Sacem, c’est la Sacem qui demande
à la Cisac à qui appartient ce titre pour payer
l’auteur algérien de l’œuvre.
Actuellement,
en Algérie, on en est à un peu plus de 5 millions de titres enregistrés au
niveau de l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins. Par
contre, chez la Cisac, qui s’occupe des droits à
l’échelle internationale, l’ONDA n’a enregistré que 450 000 titres. Ce qui
veut dire que seulement 10% du catalogue sont enregistrés et protégés et que
tout le reste ne l’est pas.
A l’heure
actuelle, puisque le marché du disque n’existe pratiquement plus en Algérie et
que tout se passe dans le digital, dans les plateformes de téléchargement
légales, il faut savoir qu’aucun artiste, auteur compositeur, interprète,
musicien, producteur ou éditeur ne touche pas de droits, quel que soit le droit.
Une
chanson qui passe sur Spotify, par exemple, est mise sur les plateformes par le
producteur qui touche uniquement l’argent des ventes, pas celui des droits. Et
ça, c’est le travail de l’ONDA et c’est bien dommage de dire que cet organisme
est l’un des derniers au monde au niveau de la protection.
– En
clair donc, vous dites que les artistes et producteurs algériens ne bénéficient
pas des droits sur l’exportation de leurs œuvres ni en Algérie ni ailleurs dans
le monde sur le digital.
Aucun !
Et cette situation-là est due à la négligence de l’ONDA. Depuis 2002, lorsque
toutes les plus grosses plateformes digitales, comme Deezer, Spotify, Facebook,
YouTube, etc., ont commencé à signer avec les organismes des droits d’auteur,
l’ONDA était absente. Et maintenant, l’artiste algérien se retrouve à mettre
ses œuvres sur les plateformes digitales sans aucune contrepartie.
Ce qui veut
dire que quand il publie une chanson sur YouTube, il ne touche rien dessus. Je
ne parle pas de distribution mais de droits d’auteur : les droits du
texte, de la musique, les droits du réalisateur, du scénariste, du producteur,
les droits voisins de l’interprète et des musiciens et des droits de l’éditeur
aussi. Je précise bien qu’aucun artiste algérien, vivant en Algérie, ne touche
pas de droits d’auteur ou de droits voisins sur le digital.
C’est
tout à fait le contraire de ceux qui sont installés en France et qui sont
adhérés à la Sacem. Eux touchent leurs droits
d’auteur et leurs droits voisins sur toutes les plateformes de vente légale, de
téléchargement, de streaming et partout ou leurs œuvres sont exploitées.
– Et
que peut-on dire de la situation de l’industrie de la musique en Algérie de
depuis l’arrivée du digital. On entend partout dire que ce secteur est
sinistré…
Avant
d’évaluer le secteur, il faut d’abord se poser la question pour savoir si les
artistes et producteurs algériens ont les mêmes droits que leurs homologues
étrangers.
Le droit
d’auteur est mondial même s’il y a de petites différences ici ou là, les
producteurs et les artistes algériens n’ont jamais été égaux avec leurs
homologues étrangers. Si les producteurs algériens avaient travaillé avec les
mêmes lois que les majors d’Europe ou d’ailleurs, on aurait pu produire de très
grands artistes.
Cette
situation est la conséquence d’une seule loi algérienne qui interdit à un
producteur ou à un éditeur de détenir plus de 30% des droits d’auteur des
œuvres d’un l’auteur. Par contre, à l’étranger, un éditeur ou un producteur
peut racheter la totalité la totalité des œuvres d’un auteur.
Personnellement,
j’ai dû batailler longuement en 2017 pour arracher ses 30%, mais cela reste
très peu et ne nous encourage nullement à produire ses artistes algériens. Il
faudrait donc que l’ONDA s’aligne sur les lois internationales pour permettre
aux producteurs de travailler et aux artistes de gagner leur vie.
–
Pour en revenir à la situation des artistes algériens sinistrés depuis
l’arrivée du digital. Qu’est-ce qui leur reste pour vivre puisque le CD ne se
vend plus et ils ne se produisent plus ?
Tant
qu’il n’y a pas de droits sur le digital, on ne pourra pas continuer.
Premièrement, les Algériens ne peuvent même pas acheter de la musique sur les
plateformes digitales à cause d’un système bancaire obsolète.
Donc, au
moins, en attendant, qu’il y ait les droits d’auteur et les droits voisins,
cela pourrait, à la rigueur, limiter les dégâts. Si cela continue, dans six
mois, une année, il n’y aura plus rien. Qui pourrait produire de la musique à
perte ?
–
Pour toi donc, le meilleur moment pour aider les artistes est celle de la
pandémie Covid-19, car ils ne travaillent pas et ne se produisent plus…
Absolument.
Ils ne travaillent plus depuis la Covdi-19 et même depuis le hirak. Cela fait deux ans qu’ils ne travaillent plus. Une
année de hirak et une année de pandémie, alors que
les caisses de l’ONDA sont excessivement pleines. Est-il normal que les
artistes meurent de faim, alors que les caisses de l’ONDA sont pleines ?
Est-il
normal que des directeurs au sein de cet organisme touchent des salaires
mirobolants avec les droits des artistes, car ils ne sont pas payés par le
Trésor public mais par notre argent à nous les producteurs et les artistes et
ne se préoccupent pas de la situation désastreuse des artistes et producteurs ?
Financièrement,
cet organisme ne dépend de personne si ce n’est des
ces artistes et producteurs. Par exemple, moi, en tant que producteur, je paie
10% de tous mes revenus à la source.
L’actuelle
ordonnatrice de l’ONDA est depuis 20 ans dans le service des droits d’auteur,
elle connaît bien la situation et tout le problème de l’industrie de la musique
en Algérie vient du fait que les cessions du droit ne sont pas aux normes
internationales ou mondiales.
C’est
elle qui bloque la situation jusqu’à présent. Si on ramenait les droits du
digital, tout le monde serait gagnant, à commencer par le pays qui aurait une
rente en devises et les artistes qui toucheraient enfin leurs droits.