CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ESSAI LAHOUARI ADDI- « LA
CRISE DU DISCOURS RELIGIEUXMUSULMAN…. »
LA CRISE DU DISCOURS RELIGIEUX MUSULMAN.LE
NÉCESSAIRE PASSAGE DE PLATON A KANT. Essai
de Lahouari Addi. Editions
Frantz Fanon, Boumerdès 2020, 1 000 dinars, 392 pages
Premier
constat : Le monde musulman en général et le discours religieux
musulman , connaissent une crise culturelle profonde….pris dans une fièvre
idéologique depuis au moins deux siècles et réagissant avec violence, verbale souvent mais (selon moi) pas seulement aux évolutions sociales.
Second
constat : La domination européenne (à travers la colonisation, entre autres , puis (selon moi),
les nouvelles formes issues de la décolonisation) a révélé la crise, mais elle n’en est pas,
(selon moi), la cause (première ?)
Troisième
constat : il faut rechercher la cause de la crise, selon l’auteur, et il n’est
pas le premier à le dire, dans l’histoire intellectuelle de la culture
religieuse au cours de laquelle l’orthodoxie officielle – mais pas que, (selon
moi) - avait interdit la philosophie comme activité intellectuelle autonome.Pourtant al-Ash’ari et
al-Ghazali ont donné à « la science de l’argumentation rationnelle »
, sa forme définitive en utilisant le Logos grec, après l’avoir islamisé, c’est
–à-dire rendu compatible avec la révélation coranique. L’usage public de la raison s’est trouvé
interdit et le consensus des oulémas (des clercs religieux spécialisés dans la
gestion du sacré et devenus aussi des éducateurs propageant un savoir normatif
sur la vie sociale, disant la norme et enseignant ce que la société doit être) s’est , au fil du temps, imposé…..entraînant l’indigence de
la pensée religieuse. La pensée musulmane s’est coupée de l’expériene
humaine, confondant le sacré avec les commentaires sur le sacré.
L’ouvrage est
organisé en huit chapitres :
-Montrer la parenté métaphysique entre le monothéisme et la
philosophie grecque qui a servi de fondement rationnel à la théologie
médiévale.
-Eclairage sur
l’influence de la métaphysique platoniceinne sur la
culture savante et populaire (ce qui a permis un développement remarquable de
la spéculation philosophique durant quatre siècles)
-Monter comment
la vision néo-platonicienne a marqué la culture musulmane, résistant aux
accusations de shirk (associationnisme)
lancées par les fuqaha’ et l’orthodoxie salafiste
-Tentative de
synthèse faite par Mohammed Abdou entre le positivisme européen et la vieille
théologie, synthèse qui avait réuni les culturalistes conservateurs et les
nationalistes progressistes. Unis contre le colonialisme et se combattant après
les indépendances.
-Le paradoxe de
la société musulmane contemporaine acceptant la technologie la plus
moderne tout en refusant la philosophie du sujet qui l’accompagne
-Les enjeux
contemporains du débat religieux
-Problématique
juridique dans la société musulmane, en définissant les concepts de chari’a, de fiqh et de droit musulman.
-Bien que la
culture musulmane reste
fidèle à la vision platonicienne,
la société reste hésitante face au dilemme de moderniser l’islam et d’islamiser la modernité.D’où
la question de la sécularisation (thème de sociologie et non de théologie) en
cours dans les rapports sociaux (espace public et espace privé)
Et, pour finir,
en annexe,un commentaire sur
ledit « théorème de la sécularisation » ayant opposé Carl Schmitt et
Karl Löwith à Hans Blumenberg
L’Auteur : D’abord
enseignant durant vingt années à l’Université d’Oran. Doctorat en France.
Professeur de sociologie politique du monde arabe (Sciences Po’, Lyon) et
professeur invité d’universités américaines . Auteur
de plusieurs ouvrages et articles parus dans des revues académiques. Plusieurs
analyses dans la presse algérienne.
Table des matières :Préfaces/Introduction/
L’apport de la philosophie grecque à la théologie abrahamique/L’islam et le
dualisme platonicien/Du soufisme à l’islamisme/Muhammad Abdou ou l’échec de la
modernisation de la culture musulmane/Un positivisme sans sujet/ Transcendance
et histoire : les enjeux contemporains/ Chari’a,
fiqh et droit musulman/ L’Europe , l’islam et la sécularisation/ Le débat
autour du « théorème de la sécularisation » : Carl Schmitt, Karl
Löwith, Hans Blummenberg.
Extraits : : « Pour
bâtir une modernité cohérente avec des valeurs religieuses, les musulmans n’ont
pas besoin de modifier le Coran ; il suffit qu’ils le lisent autrement, y
compris en utilisant la ressource qu’il offre : l’abrogation (en-naskh) de certains versets du Coran par d’autres
versets……la vraie interprétation du texte sacré n’existe pas ; le texte
sacré existe pour soi et non en soi…..il faut que la culture
change de métaphysique et qu’elle remplace Platon par Kant » (pp 24-25) , « Avec Kant, la foi est rattachée à
la raison pratique appelée à réguler les rapports humains ;elle devrait
être présente dans la vie quotidienne à chaque instant et non pas seulement le
dimanche dans l’enceinte d’une église » (p 51), « Pour
Nietzsche, il ne s’agit pas tant pour l’homme d’aller dans l’au-delà après la
mort que de faire vivre Dieu sur terre durant l’existence du croyant » (p
57), « Les prochaines persécutions ne se feront pas contre des Galilée
musulmans, mais contre des penseurs qui forgeront une autre interprétation du
Coran » (p220), « Avant d’être politique, la crise des sociétés
musulmanes est intellectuelle et culturelle, et se résume dans le passage
difficile de la raison à la conscience par laquelle le monde est perçu ,
construit et approproié » (p 230).
Avis : Pas
un essai de philo. Mais , une réflexion formulant une
hypothèse assez audacieuse….dont le point départ est une communication sur
Mohammed Abdou, « le plus grand théologien musulman
contemporain ». Une œuvre pas à la
portée de tous. L’ « entre-soi » ….le
défaut de nos intellos, le non-décollage
de l’édition nationale (non spécialisée) . Donc, une approche qui gagnerait à être
vulgarisée à travers une écriture non académique…..et à être traduite en arabe.
Citations : « Dans le
monde musulman, Galilée est resté platonicien » (p 27) « Platon
qui a eu une influence considératble sur la culture
musulmane n’est ni un Berbère ni un Arabe » (p 29), « Quand la
culture savante se fige, les croyances populaires se déshumanisent et se
mettent à adorer des symboles qui auront perdu
le sens des réalités qui leur ont
donné naissance » (p 62) « Dieu enverra à cette communauté tous les
cent ans quelqu’un pour lui renouveler sa religion » avait dit le
prophète .Les sociétés musulmanes ont raté, à ce jour, quatorze réformes »
(p64), « Pour se légitimer , l’extrémisme a besoin de construire le
mythe de la pureté de l’origine pour se donner une bonne conscience et pour
s’affranchir du respect de la vie » (p137), « La modernité
intellectuelle ne s’importe pas ; elle se construit localement avec des
chaînons solidaires » (p196) , « L’histoire ne se fait pas par des
individus, aussi brillants soient-ils.Elle se fait
lorsqu’émergent des groupes sociaux déterminés à réformer l’ordre ancien »
(p 258) , « La crise de la société musulmane est celle du passage de la
temporalité à l’histoire » (p324) , « Quand elle est seule actrice de
l’histoire, la raison fait courir à sa perte la dimension historique du
sacré » (p332)