FINANCES- ENQUÊTES ET REPORTAGES-
CORRUPTION/OUYAHIA/EMIRS DU GOLFE
© Madjid Madekhi/El Watan,dimanche
10 janvier 2021
L’ancien Premier
ministre, Ahmed Ouyahia, a affirmé, samedi 9 janvier 2021, devant le juge,
que de nombreux responsables algériens sous Bouteflika recevaient des présents
de la part d’émirs du Golfe en échange de facilités accordées pour chasser
l’outarde et la gazelle en Algérie.
«J’ai reçu ces
lingots d’or de la part des émirs du Golfe qui viennent chasser en Algérie,
comme tous les responsables. Je les ai proposés à la Banque d’Algérie qui a
refusé de les prendre. Je les ai alors vendus au marché noir pour 350 millions
de dinars», déclare
l’ex-Premier ministre.
L’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia,
justifie, enfin, l’origine des 30 milliards de centimes retrouvés sur ses
comptes bancaires. Auditionné, hier, par le juge près la cour d’Alger dans le
cadre du nouveau procès en appel concernant les deux affaires de montage
automobile et de financement occulte de la campagne électorale du 5e mandat
avorté de Abdelaziz Bouteflika, l’ancien secrétaire général du RND fait un aveu
de taille.
Il affirme, devant l’insistance du juge, qu’il avait
reçu en cadeau des lingots d’or de la part des émirs du Golfe qui viennent
chasser dans le Sud algérien. Les «précieux cadeaux»,
révèle-t-il pour la première fois, ont été vendus au marché parallèle pour la
rondelette somme de 350 millions de dinars. (et placé
dans trois comptes)
Une fortune tombée du ciel. «J’ai reçu ces
lingots d’or de la part des émirs du Golfe qui viennent chasser en Algérie,
comme tous les responsables. Je les ai proposés à la Banque d’Algérie qui a
refusé de les prendre. Je les ai alors vendus au marché noir pour 350 millions
de dinars», déclare-t-il,
précisant que la chasse en question était organisée par la présidence de la
République.
Ahmed Ouyahia soutient, dans
ce sens, qu’il avait informé le procureur général de cette affaire. En tout
cas, c’est la première fois que l’ancien premier responsable du gouvernement
avoue l’origine de sa fortune, jugée injustifiée.
En effet, à l’occasion du procès en première instance
au tribunal de Sidi M’hamed en décembre 2019, et lors
du premier procès en appel en mars 2020, Ahmed Ouyahia
avait carrément fui les questions des juges sur la provenance de ces 30
milliards de centimes, précisant qu’il s’agissait d’«économies personnelles».
Il avait également justifié la non-déclaration de
cette somme par ses «soucis de santé survenus en 2017 (il avait déclaré qu’il était
atteint d’un cancer ndlr)». Toujours durant l’audience d’hier,
Ahmed Ouyahia assure que cet argent «n’a rien à voir avec sa fonction de Premier ministre» et qu’«il n’est pas le fruit de la corruption». «Je ne suis pas fou pour mettre l’argent de la corruption
sur mes comptes bancaires», ajoute-t-il.
Et l’éthique politique ?
Cette révélation d’Ahmed Ouyahia
suscite moult interrogations sur le fonctionnement des institutions de l’Etat
et sur l’attitude des hauts responsables du pays. Ces derniers – d’autres
responsables, selon Ahmed Ouyahia, ont reçu des
cadeaux similaires – ne résistent pas à l’attrait de l’argent qui n’a pas
d’odeur pour eux.
N’y-a-t-il donc pas de code d’éthique pour les hauts
fonctionnaires ? Le législateur a, certes, mis beaucoup de temps pour
élaborer un texte de loi interdisant aux ministres et au hauts cadres de
recevoir des cadeaux dont la valeur dépasse les 50 000 DA.Un décret présidentiel régissant cette question a
été publié au Journal officiel en avril
2020. «Il n’est pas tenu compte des présents reçus
d’une valeur déclarée égale ou inférieure à 50 000 DA.
Tout présent d’une valeur excédant 50 000 DA
est déposé en douane au profit de la réserve légale de solidarité, instituée
par l’article 162 de la loi de finances pour 1983, susvisée, à l’exclusion des
présents visés à l’article 5 ci-dessous», stipule ce
texte. L’article 5 du même décret dispose que «les
présents reçus dans les conditions citées à l’article 3 ci-dessus, et revêtant
un intérêt littéraire, historique, artistique ou scientifique, déposés auprès
des services des Douanes, sont remis au ministère de la Culture, en vue de leur
affectation aux musées nationaux».
Selon le même texte, «les
membres des délégations en mission à l’étranger sont tenus de déclarer, auprès
de la Direction générale des Douanes, les présents reçus directement ou par
personne interposée quelle que soit leur valeur.
Toutefois, lorsque les présents sont offerts au
président de la République, au Premier ministre, aux membres du gouvernement ou
aux titulaires de hautes fonctions assimilées, au niveau des institutions de
l’Etat, ladite déclaration est effectuée auprès du ministre chargé des Finances».
-----------------------------------------------------------------------
Le prix du braconnage
© Salima Tlemcani, El Watan, dimanche 10
janvier 2021
Alors que la chasse à la gazelle et à
l’outarde est interdite en Algérie, des émirs des monarchies du Golfe, escortés
par des escouades de la Gendarmerie nationale, organisaient des battues dans de
nombreuses régions du pays, derniers retranchements de ces animaux en voie de
disparition.
Invités par le président déchu, Abdelaziz
Bouteflika, ils étaient autorisés à chasser ces animaux, pourtant protégés par
un décret datant du 20 août 1983. En voie d’extinction, l’outarde (Houbara), qui évolue dans la région de Brézina,
au sud d’El Bayadh, jusqu’à Ghardaïa et Laghouat, a
fait l’objet dès le début des années 2000 de nombreuses opérations de chasse,
mettant en danger leur existence.
Les dignitaires des monarchies du
Golfe venaient à bord d’avions privés, qui atterrissaient dans les
aéroports de Naâma et de Ghardaïa, d’où des escortes
de gendarmerie accompagnaient leurs véhicules tout-terrain vers les lieux des
battues bien choisis, où ils installaient de gigantesques tentes équipées de
toutes les commodités et d’un matériel de transmission.
Des guides locaux, bien payés, étaient
recrutés pour les emmener directement vers les proies qu’ils attrapaient en
utilisant des faucons dressés, avant de les tuer. Ce sont des dizaines
d’outardes qui étaient sacrifiées durant chacune de ces expéditions. Les émirs
du Golfe ne se limitaient pas à tuer l’outarde en période de reproduction.
Ils prenaient aussi ses œufs afin que le
volatile puisse se reproduire chez eux, ainsi que pour la consommation, leur
trouvant des effets aphrodisiaques. Les séjours royaux de ces princes étaient
également agrémentés de parties de chasse, avec des armes à feu, des gazelles
de Cavier ou de Ledmi, dont
le nombre a sensiblement diminué, dans la région de Ghassoul, de Brézina et de Aïn El Orak, à
cause du braconnage excessif.
Toutes ces battues étaient organisées avec
l’autorisation de la Présidence et les autorités locales, wali et chef de
groupement de la gendarmerie, étaient mis au service de ces dignitaires. Venant
en groupes de plusieurs nationalités, souvent des altercations éclataient entre
Emiratis et Bahreïnis à cause d’un terrain de chasse. Et c’étaient les walis
qui se retrouvaient à jouer le rôle de médiateur.
La population locale était consternée par
le fait que les «hôtes du Président» se comportent
comme s’ils étaient en terre conquise, puis repartent. Personne ne pouvait
s’approcher des tentes des dignitaires, protégées par les gendarmes. Ce
braconnage avait suscité la colère des habitants qui, conscients du danger qui
menace l’équilibre écologique de la région, avaient saisi les autorités, mais
aucune réponse ne leur a été donnée.
On comprend mieux, aujourd’hui, ce silence
des hauts responsables. Ahmed Ouyahia, qui occupait
tantôt le poste de directeur de cabinet de la Présidence, tantôt celui de
Premier ministre, a affirmé, hier devant la cour d’Alger, que les émirs des
pays du Golfe offraient aux hauts responsables des cadeaux d’une grande valeur,
des lingots d’or, lorsqu’ils venaient pour leurs parties de braconnage.