HABITAT- VILLES- ALGER- FRESQUES MURALES ET GRAFFITIS 2020
© Le Soir d’Algérie/Culture, lundi 4
janvier 2021
Des fresques murales et graffitis richement colorés ornent de
plus en plus les murs de plusieurs quartiers d'Alger, réalisés de main de
maître par de jeunes artistes-peintres dont des membres de groupes d'«Ultras»
pour exprimer à leur façon leur amour pour leur club de football préféré ou
rendre hommage aux héros de la Révolution algérienne.
Le graffiti est une discipline de «l'Art de la rue», permettant à ses
concepteurs d'exprimer leur sentiment ou état d'esprit à travers des messages
et opinions divergents. C'est également un moyen auquel ont recours quelques
jeunes artistes-peintres pour apporter, à travers une palette de couleurs, une
note de gaieté à un environnement urbain dominé par le béton et le
bitume.
C'est au célèbre quartier populeux de Bab El Oued
qu'ont été réalisées les premières fresques murales, dédiées par des fans de
foot à leur club préféré, à l'image du MC Alger et de l'USM Alger, deux grandes
formations sportives rivales qui ont poussé les jeunes à faire preuve
d'ingéniosité pour exprimer leur talent d'artiste et montrer leur amour aux
Rouge et Noir «usmistes» et aux Vert et Rouge «mouloudéens».
L'une des fresques les plus remarquées, au niveau de ce quartier mythique, est
sans nul doute celle dédiée, par le groupe Ouled El-Bahdja, à l'ex-défenseur international de l'USMA dans les
années 1970, le défunt Djamel Keddou.
Ce dernier, un des symboles des Rouge et Noir, n'a connu qu'un seul club durant
toute sa carrière de footballeur. La légende «Keddou
le Sheriff» inscrite sur la fresque illustre tout le charisme du libéro de
charme, vainqueur avec l'Algérie de la médaille d'or des Jeux méditerranéens
Alger-1975 aux dépens de la France (3-2).
Les fresques murales des Usmistes d'Alger glorifient,
par ailleurs, des personnalités et artistes qui ont marqué l'histoire du club :
anciens dirigeants, joueurs ou des chouyoukhs du
chant chaâbi, à l'image de Hadj M'hamed
El Anka (1907-1978) pour qui une fresque a été
réalisée à La Casbah, à proximité du siège où a été fondé le club, El Hadj El Hachemi Guerouabi (1938-2006),
fervent supporter de l'USMA qui a exprimé son amour pour le club de Soustara, aussi bien à partir des gradins du stade Bologhine que sur les scènes artistiques.
Che
Guevara, 2Pac et Harraga
Dans le camp rival, celui des Mouloudéens, le maître
du chaâbi, El Anka, est
tout aussi vénéré, étant considéré comme un patrimoine immatériel «commun» aux
supporters des deux clubs rivaux. Son portrait, réalisé sur des «tifo», n'est d'ailleurs pas passé inaperçu dans les
tribunes du stade du 5-Juillet lors des derbies MCA-USMA.
Le défunt artiste Hadj Mrizek (1912-1955) est l'autre
chanteur adulé par les fans du MCA, qui ont également dressé son portrait sur
des fresques. Le regretté, qui a chanté le Mouloudia,
a été dirigeant du club durant la période coloniale. Le street
art a également mis en valeur, sur des fresques murales, une autre icone du chaâbi, Amar Ezzahi (1941-2016),
un chanteur particulièrement apprécié par les jeunes et que les supporters des
deux clubs algérois se disputent, jusqu'à présent, l'appartenance.
Dans leur fief, les supporters du MCA, à travers leurs groupes «ultras»,
notamment «Green Corsairs» et «Twelfth
Player», ont orné les murs et murailles de portraits du chahid
et héros de La Casbah, Ali La Pointe (1930-1957), symbolisant la bataille
d'Alger et le sacrifice du jeune révolutionnaire algérien.
D'autres graffitis mettent en relief le sigle du MCA sur fond de couleurs vert
et rouge, orné d'un croissant lunaire et du chiffre 1921, celui de l'année de
création du club.
Par la suite, la fièvre du graffiti a gagné d'autres grands quartiers de la
capitale, où foisonnent les amoureux du ballon rond, tels que Belouizdad, Kouba, El-Biar, Hussein-Dey et El-Harrach.
Un des plus talentueux artistes-tagueurs de Bab
El-Oued, Rochdi Lergam, a
expliqué à l'APS, avec son accent algérois, que c'est le quotidien des jeunes
des quartiers populaires qui l'a poussé à s'exprimer à travers ces fresques
murales. Il a débuté en dessinant des personnages populaires comme l'activiste
révolutionnaire argentin «Che Guevara» et le rappeur américain assassiné «2Pac».
«Par la suite, j'ai dessiné mon équipe préférée le MCA. J'ai également abordé
le sujet des harraga pour exprimer la tragédie de la
jeunesse algérienne, qui risque sa vie en mer dans l'espoir d'une vie
meilleure», raconte-t-il. «Quand je suis d'humeur volatile, mes dessins sont
généralement mauvais, tandis que la bonne humeur augmente mon niveau de
créativité. Ce sont les témoignages positifs des passants qui m'encouragent à
poursuivre ma passion», a-t-il ajouté.
Le Hirak, source d'inspiration
Début 2019, l'Algérie a assisté à un événement important dans son histoire, à
travers les manifestations populaires Hirak appelant
à un changement pacifique, ce qui a constitué une source d'inspiration pour de
nombreux créateurs dans divers domaines.
Dans ce contexte, le groupe Street Art Battalion de
Jijel, composé de trois artistes (Houssem, Amine et Okba), et dont la popularité s'est accrue avec le Hirak, espère apporter un «changement positif» par ses
dessins. «Notre première fresque murale a abordé l'idée de la liberté, puis
nous avons évoqué le rejet de la guerre et la promotion de la paix afin
d'éviter les erreurs du passé, comme cela s'est produit pendant la décennie
noire», disent-ils.
À travers ces fresques murales, les jeunes donnent leur avis sur les évènements
et considèrent «l'art de la rue» comme «une scène de confrontation, d'attirance
et de bousculade entre le peuple et le pouvoir».
Interrogé sur l'avis de la société, ce trio affirme qu'il est «globalement
positif», notamment après le Hirak, même s'il y a
certains qui voient ces graffitis comme «une culture étrangère et méconnue chez
nous». Ces peintures ont connu une grande expansion sur le plan national, «à
tel point que nous avons été invités à réaliser des fresques murales au profit
des deux grands pôles de la capitale, le MCA et l'USMA, ainsi qu'à Tizi-Ouzou
sur l'histoire de la JS Kabylie», racontent Houssem,
Amine et Okba, estimant que ces graffitis «unissent
beaucoup plus les supporters, qu'ils ne les divisent».
Professeur de sociologie à l'Université d'Alger, Noureddine
Bekkis a souligné que l'art des graffitis est pour
les jeunes un moyen d'exprimer leur appartenance sportive et aussi prouver que
ces quartiers appartiennent à des clubs bien précis, surtout que le public est
absent depuis longtemps des stades pour cause de Covid.
L'académicien a estimé que cette tendance pourrait être «provisoire» et qu'elle
prendrait fin avec le retour du public aux stades, «ce qui signifierait le
recul de la rivalité idéologique personnalisée par ces fresques murales».
Sous un autre angle, il voit à travers cette forme d'art de la rue une volonté
des jeunes à exprimer leur appartenance à une époque historique et symbolique,
dont s'enorgueillissent les Algériens (guerre de libération) et née avec le Hirak qui les a poussés à affirmer leur attachement à leurs
ancêtres, à travers l'utilisation de leurs symboles, «afin de prouver aux
autorités leur patriotisme».
Pour Noureddine Bekkis,
dessiner des personnages comme Ali la Pointe, le Colonel Amirouche
ou encore Abane Ramdane est
venu à une période voyant «un engagement sentimental important des Algériens
qui ont voulu laisser leurs empreintes durant le Hirak.
Ce comportement atteste que l'Algérien reste très attaché à son histoire
révolutionnaire».