CULTURE- PERSONNALITES – CARDINAL LÉON DUVAL
L'archévêque Duval, le combat d'un juste (Extraits)
©par Kamal Guerroua/le Quotidien
d’Oran, lundi 28 décembre 2020
Qui, parmi les Algériens d'aujourd'hui, ne connaît ni
n'a entendu parler de l'archevêque Léon Etienne Duval? Qui ne se souvient pas
de cet homme d'Eglise catholique qui a honoré, par ses prises de position
courageuses, son serment de chrétien envers la justice? La justice, c'est bien
entendu l'Algérie résistante, dressée en bloc uni, contre l'arbitraire de la
colonisation et de la clochardisation dont parlait si bien, à l'époque,
l'anthropologue engagée Germaine Tillon. Et pourtant, rien ne prédisposait ce
fils de paysan, né en 1903 en Haute-Savoie, à ce destin exceptionnel.
En 1946, Léon Etienne Duval n'avait que quarante-trois ans quand il franchit la
Méditerranée, pour occuper le siège épiscopal de Constantine et d'Hippone.
Docteur en théologie, il professait alors une rigoureuse orthodoxie et se
voulait avant tout pasteur, un homme d'église, voué à la cause des opprimés.
C'était, à ce titre, qu'il avait mis au service d'une intelligence politique
exceptionnelle un bon sens et une perspicacité hérités de ses origines
paysannes. À Constantine, la moins européenne des villes d'Algérie, le pasteur
a découvert la véritable image de la colonisation : la misère d'une communauté
algérienne, encore traumatisée par la sanglante répression qui s'est abattue
sur tout l'Est algérien, après les émeutes de Sétif en 1945. Touché par la
misérable condition des Algériens, l'archevêque se mettait alors dans la
mission de prospecter les entrailles de la société : il côtoyait le
petit-peuple, tentant de comprendre ses soucis, et de prendre la mesure de
l'injustice qu'il subissait dans sa chair. Nommé le 4 février 1954 par Pie XII,
archevêque d'Alger, ville où il était arrivé quelques mois seulement avant le
déclenchement de la révolution algérienne, Duval était considéré déjà comme «
un traître » par la communauté européenne et les partisans de l'Algérie française
(…………………………………………….) La rage de la population européenne et pied-noir s'est
accentuée car l'archevêque s'obstinait dans sa démarche de rébellion, refusant
de mettre sa croix de chrétien au service du glaive des colons. Ce qui lui
valut d'ailleurs le surnom, par dérision, de « Mohammed Ben Duval ». Dans
l'autre camp, les Algériens se plaçaient en admirateurs du nouveau chef de
l'Eglise catholique. Ils louaient son courage, sa franchise, sa bonté, sa
clairvoyance. L'archevêché installé à la lisière du quartier arabe, la fameuse
Casbah, n'était qu'une aubaine inespérée pour Duval afin de constater les
méthodes peu orthodoxes employées par les forces coloniales pour vaincre les (
………………………………………). En janvier 1955 déjà, moins de trois mois après la Toussaint
rouge, il était le premier à dénoncer dans un communiqué lu en chaire, dans
toutes les églises de diocèse, le recours systématique à la torture. Un
document-référence discuté, bien plus tard, à l'Assemblée Nationale française,
et largement évoqué dans la presse métropolitaine. En 1956 déjà, il était
intervenu en faveur de deux militants du FLN condamnés à la peine capitale pour
meurtre de neuf touristes. En effet, de l'arrestation d'André Mandouze en 1956
à celle de l'abbé Bernard Boudouresques en 1958 et la condamnation de Robert
Daveziers, en 1962 les militants catholiques furent frappés par une répression
terrible qui, en fin de compte, aida à l'évolution des esprits et à une prise
de conscience en faveur de l'idée de l'indépendance.
Après l'échec du plan de cohabitation lancé par Jacques Soustelle, gouverneur
d'Alger dans le gouvernement de Mendès France, puis d'Edgar Faure, Duval
s'était un peu durci dans ses positions. Il avait, contrairement à un certain
écrivain notoire, Albert Camus en l'occurrence, choisi le camp de la justice.
Il s'est indirectement rangé du côté des écrivains « indigénistes » de l'époque
tels que Kateb Yacine, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri (l'adjectif «
indigénistes » est entre guillemets parce que péjoratif du point de vue littéraire
et dénote plutôt d'une vision colonialiste purement exotique). Cela ne l'avait
pas empêché, toutefois, de participer à l'appel pour la trêve civile, lancé par
le fils prodige de Belcourt en 1956. Plus tard, il s'était prononcé pour
l'option de l'autodétermination. Comment pourrait-il en être autrement dans ce
pays, l'Algérie, où, comme l'écrivait l'historien Pierre Nora dans son ouvrage
« Les Français d'Algérie », « le plus misérable des Français jouit sur tout
musulman d'une parcelle d'autorité »? Où, être Français d'Algérie, c'est
l'exhibition d'une super-virilité physiquement exercée. La psychologie du
premier peuplement, notait Nora, fut essentiellement une vie de déclassés. (2)
Mgr Duval en était révolté! C'est pourquoi, il était allé à contre-courant des
stéréotypes véhiculés par les colons sur les Algériens(……………………………………………………………………….)
Terre spoliée, identité usurpée, personnalité détruite, dignité bafouée, biens
saisis, droits niés, sang versé, l'Algérien était réduit à un non-être. Duval a
compris que toutes ces pratiques-là, à la fois inhumaines, partiales et
injustes, sont nées de l'arbitraire colonial. Il savait surtout que la solution
n'est jamais dans l'injustice, le racisme primaire, l'Apartheid,
l'esclavagisme, l'exploitation outrancière, la guerre d'usure et
d'extermination, les génocides, la torture, etc. D'où ses incessants appels à
l'autodétermination des Algériens, condamnant, au passage, toutes les
violations des droits de l'homme et du droit des peuples à l'existence. Chose
ayant poussé le général Massu lui-même à demander au Pape de mettre au pas Mgr
Duval, jugé trop encombrant, trop libéral et surtout trop compatissant avec le
FLN. L'Algérie sur le point de recouvrer son indépendance, l'archevêque mû par
le même réflexe de justice, s'est insurgé aussi contre les violences commises,
après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, contre les Pieds-Noirs, les Harkis, les
supplétifs de l'armée française. C'était la même voix frondeuse, troublante,
révoltée qui s'est élevée pour rappeler que tous les hommes sont égaux et
qu'ils doivent être traités comme tels. « S'il y était parvenu, écrit Daniel
Junqua, c'est parce que, loin d'être progressiste ainsi que le présentaient ses
détracteurs, Duval a voulu se comporter d'abord en pasteur, en prêtre soucieux
de toutes les âmes à lui confiées, qu'elles soient chrétiennes, musulmanes ou
israélites. »(3)
Sur le plan international, l'archevêque d'Alger a soutenu de toutes ses forces,
au cours des années 1970, les pays pauvres du Tiers-Monde, en appelant les
instances financières internationales à regarder avec plus d'humanité l'option
d'effacement de leurs dettes ou de leur rééchelonnement. Comme il était de tous
les combats pour la justice dans les dossiers de la Palestine et du Vietnam.
Cohérent avec lui-même et ses principes de justice, Mgr Duval s'attachait à son
pays, l'Algérie, jusqu'à son dernier souffle. D'ailleurs, il n'a jamais suivi
la vague des prêtres partants vers l'Hexagone, même après avoir assisté à
l'enterrement des moines assassinés de Tibherine, en mars 1996. Craignant de
mourir là-bas, en France, il a défié la horde terroriste « islamiste » et les
menaces intégristes de toutes sortes, avant de s'éteindre, quelques mois plus
tard, en mai 1996.
Notes de renvoi
1) Pour rappel, le capitaine parachutiste Paul-Alain Léger recrutait des « FLN
repentis », les bleus de chauffe, comme on les appelait à l'époque, lesquels
s'infiltraient dans la hiérarchie adverse. Ses réseaux ont été particulièrement
meurtriers dans la Casbah et en Kabylie, où le Colonel Amirouche a fait tuer
plusieurs centaines de maquisards « intellos », par crainte des infiltrations.
2) Pierre Nora, « Les Français d'Algérie » édition revue et augmentée,
Christian Bourgeois éditeur, 2012.
3) Daniel Junqua, « Mgr Duval, pasteur avant tout », Le Monde, septembre 1985.