EDUCATION –BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ROMAN MOULOUD FERAOUN- « LES
TUEURS… »
© Le Soir d’Algérie,Sarah
Hadar, lundi 21 décembre 2020
« Les
tueurs et autres inédits » de l’écrivain algérien Mouloud Feraoun vient de paraître (2020) chez les éditions El Kalima. Présenté par l’essayiste Safa Oulad Haddar, cet ouvrage
regroupe une nouvelle inédite et la dernière page de son célèbre Journal.
L’auteur du « Fils du pauvre » et « des Chemins qui montent »
assassiné en 1966 par l’OAS, quelques jours avant la proclamation du
cessez-le-feu, est aussi connu pour son « Journal »
publié à titre posthume aux éditions Le Seuil. Dans sa préface, Safa Ould Haddar
explique que la dernière page de cette œuvre phare a été occultée pour des
raisons inexpliquées. « Son ami Roblès en a fidèlement publié les textes sans
intervention ni relecture, comme le lui a demandé Feraoun. Toutefois, une
troncature ou un oubli ont fait qu’il omet la dernière page qui, pourtant, lui
a été, semble-t-il, transférée avec le reste du manuscrit .»
Les éditions El Kalima se sont donc procuré cette
pièce manquante auprès de la chercheure Claire Riffard,
responsable de la section
« manuscrits » au CNRS et avec l’assentiment du fils et ayant droit de
l’écrivain Ali Feraoun.
Rédigé entre 1955 et 1962, le Journal de Mouloud Feraoun est la somme de
réflexions quotidiennes consignées par l’écrivain posté en acteur, témoin et
observateur des petites et grandes tragédies vécues par les Algériens (mais
aussi certains Français) durant la guerre de Libération nationale. Nullement
démagogique ni manichéen, le livre apparaît comme une véritable radiographie
des réalités algériennes pendant cette période mais aussi un compte-rendu
passionnant de l’évolution des opinions politiques de l’auteur. Dans la
dernière page inédite de son Journal, Feraoun ne déroge pas à son style
narratif attaché aux événements du quotidien, lesquels sont souvent occultés ou
réduits en anecdotes dans les grands récits historiques.
L’auteur commence par décrire l’ambiance à Alger en ce début d’année 1962, à la
veille d’une indépendance inéluctable : « À Alger, c’est la terreur», écrit-il
en poursuivant que les gens sortaient sans savoir s’ils allaient retourner chez
eux, que la mort était devenue quasi-banale, où les discussions au retour à la
maison font systématiquement état d’un attentat ou d’un cadavre sur un
trottoir. D’ailleurs, Feraoun raconte lui-même sur un ton presque anecdotique
deux cas d’assassinat : le cadavre d’un Européen qu’il a croisé dans un
quartier « arabe » ; un autre cadavre « mutilé et odieusement maquillé »,
suspendu à une corde et une poulie entre deux appartements au sixième étage
dans un quartier européen de Bab-el-Oued. Dans un
style caustique, l’auteur décrit la scène :
« Spectacle très amusant pour les pieds-noirs de Bab-el-Oued
! (…) Pendant l’opération du décrochage, les badauds ponctuaient les efforts
des pompiers de la rengaine bien connue
« ‘’ho ! hisse !’’ »
Le livre a, par ailleurs, collecté un ensemble de textes initialement publiés
dans des revues ou périodiques divers durant la colonisation. Mais il déterre
surtout une nouvelle inédite, Les tueurs est un court récit quasi-prémonitoire
où il décrit l’assassinat (vraisemblablement réel) d’un directeur d’école par
un membre de l’OAS. Chirurgicale et quasi-froide, la narration réussit d’autant
plus à incarner la complexité et le relief psychologique de cette période
charnière qu’est la veille de l’indépendance. Mouloud Feraoun sera assassiné
quelques semaines plus tard, en compagnie de cinq de ses collègues (dont un
Français), le 15 mars 1962, quatre jours avant la proclamation du
cessez-le-feu, par un commando de l’OAS.