HISTOIRE-
DOCUMENTS ET TEXTES REGLEMENTAIRES- ABANE RAMDANE/LETTRE AU CONGRES JUIF
MONDIAL 1956
ABANE RAMDANE: LETTRE AU CONGRÈS JUIF MONDIAL EN 1956.
1956: Lettre du FLN aux Israélites d'Algérie
Quelque part en Algérie, le 1er octobre 1956
Le Front de libération nationale.
A Monsieur le Grand Rabbin,
A Messieurs les membres du Consistoire israélite,
Aux élus et à tous les responsables de la communauté
israélite d'Algérie,
Monsieur le Grand Rabbin, Messieurs et chers
compatriotes,
Le Front de libération nationale (FLN), qui dirige
depuis deux ans la révolution anticolonialiste pour la libération nationale de
l'Algérie, estime que le moment est venu où chaque Algérien d'origine
israélite, à la lumière de sa propre expérience, doit sans aucune équivoque
prendre parti dans cette grande bataille historique.
C'est aujourd'hui un fait notoire que la guerre de
reconquête imposée au peuple algérien s'est définitivement soldée par un double
échec militaire et politique.
Les généraux français eux-mêmes avec, à leur tête, le
maréchal Juin, ne cachent plus l'impossibilité de venir à bout de la Révolution
algérienne invincible.
Le gouvernement français, dans sa recherche actuelle
d'une solution politique devenue inévitable, veut encore voler sa victoire au
peuple algérien en poursuivant la pratique insensée de manouvres grossières,
vouées dès maintenant à un échec retentissant.
L'essentiel de ces manoeuvres
consiste à tenter d'isoler même partiellement le FLN en portant atteinte à
l'unanimité nationale anticolonialiste désormais indestructible.
Vous n'ignorez pas, chers compatriotes, que le FLN,
inspiré par une foi patriotique élevée et lucide, a déjà réussi à ruiner la
diabolique politique de division qui s'est traduite dernièrement par le
boycottage de nos frères commerçants mozabites, et qui devait s'étendre à l'ensemble
des commerçants israélites.
Cette double tentative que nous avons étouffée dans l'oeuf était, comme par le passé, ourdie par la haute
administration et mise en application par une poignée d'aventuriers escrocs au
service de la police.
Les policiers mouchards et contre-terroristes
assassins ont été exécutés non en raison de leur confession religieuse, mais
uniquement parce qu'ennemis du peuple.
Le FLN, représentant authentique et exclusif du peuple
algérien, considère qu'il est aujourd'hui de son devoir de s'adresser
directement à la communauté israélite pour lui demander d'affirmer d'une façon
solennelle son appartenance à la nation algérienne
Ce choix clairement affirmé dissipera tous les
malentendus et extirpera les germes de la haine entretenus par le colonialisme
français. Il contribuera en outre à recréer la fraternité algérienne brisée par
l'avènement du colonialisme français.
Depuis la Révolution du 1er Novembre 1954, la
communauté israélite d'Algérie, inquiète de son sort et de son avenir, a été
sujette à des fluctuations politiques diverses.
Au dernier congrès mondial juif de Londres, les
délégués algériens, contrairement à leurs coreligionnaires de Tunisie et du
Maroc, se sont prononcés, à notre grand regret, pour la citoyenneté française.
Ce n'est qu'après les troubles colonialo-fascistes
du 6 février, au cours desquels ont réapparu les slogans anti-juifs, que la
communauté israélite s'est orientée vers une attitude neutraliste.
Par la suite, à Alger notamment, un groupe
d'Israélites de toutes conditions a eu le courage d'entreprendre une action
nettement anticolonialiste, en affirmant son choix raisonné et définitif pour
la nationalité algérienne.
Ceux-là n'ont pas oublié les troubles anti-juifs colonialo-racistes qui, sporadiquement, se sont poursuivis
en pogroms sanglants jusqu'au régime infâme de Vichy.
La communauté israélite se doit de méditer sur la
condition terrible que lui ont réservée Pétain et la grosse colonisation :
privation de la nationalité française, lois et décrets d'exception,
spoliations, humiliations, emprisonnements, fours crématoires, etc.
Avec le mouvement Poujade et le réveil du fascisme qui
menace, les juifs risquent de connaître de nouveau, malgré leur citoyenneté
française, le sort qu'ils ont subi sous Vichy.
Sans vouloir remonter bien loin dans l'histoire, il
nous semble malgré tout utile de rappeler l'époque où, en France, les juifs,
moins considérés que les animaux, n'avaient même pas le droit d'enterrer leurs
morts, ces derniers étant enfouis clandestinement la nuit n'importe où, en
raison de l'interdiction absolue pour les juifs de posséder le moindre
cimetière.
Exactement à la même époque, l'Algérie était le refuge
et la terre de liberté pour tous les Israélites qui fuyaient les inhumaines
persécutions de l'inquisition.
Exactement à la même époque, la communauté israélite
avait la fierté d'offrir à sa patrie algérienne non seulement des poètes, des
commerçants, des artistes, des juristes, mais aussi des consuls et des
ministres.
Si le peuple algérien a regretté votre silence, il a
apprécié la prise de position anticolonialiste des prêtres catholiques, comme
ceux notamment des zones de guerre de Montagnac et de Souk Ahras,
et même de l'archevêché qui, pourtant, dans un passé récent, s'identifiait
encore à l'oppression coloniale.
C'est parce que le FLN considère les Israélites
algériens comme les fils de notre patrie qu'il espère que les dirigeants de la
communauté juive auront la sagesse de contribuer à l'édification d'une Algérie
libre et véritablement fraternelle.
Le FLN est convaincu que les responsables comprendront
qu'il est de leur devoir et de l'intérêt bien compris de toute la communauté
israélite de ne plus demeurer «au-dessus de la mêlée», de condamner sans
rémission le régime colonial français agonisant, et de proclamer leur option
pour la nationalité algérienne.
Salutations patriotiques.