COMMUNICATION
– ETRANGER- PRESSE AMERICAINE DÉC 2020- SALLES DE REDACTION
Des journalistes, mais plus de salle de
rédaction : la tendance était à l’œuvre depuis quelques années dans les
journaux américains, mais elle s’est accélérée avec la pandémie (Covid 19/2020), nourrie par des motivations plus
financières que sanitaires. New York Daily News, Miami Herald ou Baltimore Sun
ont officiellement rompu leur bail et rendu leurs bureaux ces derniers mois, de
même qu’une dizaine d’autres journaux.
Propriétaire de plusieurs
de ces titres, le groupe Tribune Publishing a
justifié sa décision par une nécessaire «prudence» face au coronavirus. Un
porte-parole a assuré que le groupe «réfléchirait de nouveau à ses besoins
immobiliers» après la pandémie.
Mais pour la plupart des
journalistes interrogés, les rédactions ne rouvriront pas. «Je ne crois pas que
ce soit lié à la pandémie, mis à part le fait que nous avons montré que nous
pouvions travailler de chez nous et faire quand même un journal», rétorque
Daniela Altimari, journaliste syndiquée qui couvre la
politique au Hartford Courant (Connecticut), dont la rédaction a été
officiellement fermée par Tribune Publishing début
décembre. «La rédaction, c’est une fabrique à idées», se désole-t-elle.
Le journalisme, dit-elle,
est «un processus organique. Des idées vous viennent en parlant aux collègues».
«Les groupes de presse comme McClatchy ou Tribune
profitent de l’occasion pour réduire leurs coûts», abonde Victor Pickard, professeur d’économie des médias à l’université de
Pennsylvanie.
Depuis des décennies,
cinéma et télévision ont cherché à capter l’atmosphère souvent considérée comme
fascinante des salles de rédaction, des «Hommes du président» à «Spotlight», en passant par «Pentagon
Papers». «Il se produit comme une alchimie quand vous
avez des reporters dans la même pièce», renchérit Marijke Rowland, journaliste
au Modesto Bee (Californie), présidente locale du syndicat des journalistes.
«Il n’y a rien de plus intéressant, de plus vibrant et parfois étrange qu’une
rédaction. C’est une perte incalculable, pour la presse locale en particulier.»
Les géants que sont le New
York Times, Washington Post et Wall Street Journal garderont eux leur
rédaction. Ils ont réussi à faire évoluer leur modèle économique pour compenser
la baisse des recettes publicitaires et l’effondrement des ventes papier,
conséquence de l’avènement du numérique. «Pour ceux qui ne parviennent pas à
être rentables grâce aux abonnements (en ligne), c’est-à-dire presque tous les
journaux à part ces trois quotidiens nationaux, il n’y a pas grand-chose à
faire», estime Victor Pickard. Leurs propriétaires
«vont continuer à tailler dans les coûts».
Marijke Rowland craint que
la formule sans rédaction devienne «le modèle» dominant pour la presse écrite
américaine. «J’apprécie quand même qu’ils suppriment de l’espace plutôt que des
postes», dit-elle, reconnaissant que McClatchy,
propriétaire du Modesto Bee, a plutôt préservé les effectifs depuis le début de
la pandémie. Ce n’est pas le cas partout. Le Hartford Courant a perdu plus du
quart de ses effectifs depuis janvier, selon Emily Brindley,
membre du syndicat des journalistes, pour qui un modèle sans rédaction est
«intenable».
Poursuivant une tendance de
fond, les grands groupes de presse ont aussi, ces derniers mois, fusionné des
journaux par paire, réduit la diffusion ou la périodicité et fermé des
imprimeries. Le mouvement est encore accentué par l’émergence de fonds
d’investissement aux méthodes radicales. Tels Alden
Global Capital, qui contrôle près de 100 journaux et a des vues sur Tribune Publishing, ou Chatham Asset
Management, récent acquéreur de McClatchy, après son
dépôt de bilan.
Reste la possibilité d’un
rachat par un groupe d’investisseurs locaux, auquel travaille le Courant, selon
Emily Brindley. Pour Dan Kennedy, professeur à
l’université Northeastern, les journaux locaux ont
une carte à jouer car «les gens leur font davantage confiance qu’aux médias
nationaux». Autre issue possible, se transformer en société à but non lucratif ou
passer sous le giron d’une fondation.
Mais de telles transitions
supposent que les propriétaires actuels «veuillent assurer un avenir au
journal», dit Dan Kennedy. Or «les grands groupes s’en fichent», selon
l’universitaire. Le Salt Lake Tribune et le Philadelphia Inquirer
sont de rares exemples de telles transitions. Victor Pickard
considère lui comme incontournable le recours, à terme, à des subventions
publiques. «Je ne pense pas que le marché va pouvoir soutenir (financièrement)
le niveau de journalisme dont a besoin une société démocratique.»