HISTOIRE-
ENQUETES ET REPORTAGES- ACCÈS ARCHIVES DISPARUS GUERRE INDÉPENDANCE- MINISTÈRE DES ARMÉES, FRANCE
© Samia Lokmane Khelil/Liberté, dimanche 6 décembre 2020
Les archives
des disparus de la guerre d’indépendance ont été au centre d’une journée
d’étude organisée avant-hier en visioconférence par le Service interministériel
des Archives de France (Siaf) du ministère français
de la Culture et du Patrimoine. Cette rencontre visait principalement à
promouvoir un guide numérique qui comporte les dossiers déclassifiés des
disparitions, ouvert au public par arrêté ministériel, le 9 avril 2020. Dans une
allocution introductive, Françoise Banat-Berger, cheffe du Siaf,
a indiqué que ce guide, qui reste perfectible, permet, pour la première fois,
de réunir, dans un même emplacement, des informations parcellaires et de
restituer les faits concernant les disparitions.
Le guide
comporte 11 millions d’unités de description d’archives et près de 5 000
ressources éditoriales. Il est, en outre, consulté par 240 000 personnes en
moyenne par mois. Sa mise en place intervient à la suite de deux arrêtés de
dérogation, publiés en avril 2019 et en septembre 2020, sur l’ouverture des
archives concernant la disparition de Maurice Audin
et des fonds de la Commission de sauvegarde des droits et des libertés
individuels (un organisme créé par le gouvernement de Guy Mollet en 1957 pour
enquêter sur les violations de l’armée française en Algérie).
En septembre
2018, le chef de l’État français Emmanuel Macron
avait lui-même annoncé l’ouverture par dérogation des archives sur les disparus
de la guerre d’Algérie. “Pour l’administration des archives, cette décision a
été un vrai défi. Jusqu’à présent, les quelque vingt dérogations générales
signées depuis la fin des années 1970 portaient soit sur des fonds, soit sur
des typologies documentaires, soit sur des périodes. Cette fois, la dérogation
porte sur des preuves, qui plus est des preuves de l’absence, éparpillées en de
multiples fonds. Elle touche à l’intime, elle interroge les mémoires de la
guerre, des mémoires contrariées, parfois contraires”, a souligné Jean-Charles Bedague, sous-directeur de la communication et de la
valorisation des archives au Service interministériel des Archives de
France.
Pour autant,
les enquêtes sur les disparitions restent encore assez difficiles à mener. Les
documents qui ont été remis à la famille Audin n’ont
par exemple pas permis à cette dernière d’obtenir des réponses précises sur le
sort qui avait été infligé au mathématicien. Les responsables du Siaf reconnaissent en effet que les recherches sur les
disparus peuvent ne pas aboutir à des résultats probants, soit parce que les
renseignements concernant une même personne peuvent diverger, selon le document
concerné, soit parce qu’il manque des pièces d’archives.
D’importantes
ressources documentaires portant la mention “Secret défense” sont notamment
détenues par le ministère des Armées. Intervenant au cours du webinaire d’hier, Sylvain Mattiucci,
directeur des patrimoines, de la mémoire et des archives, a fait savoir que son
département détient 600 mètres linéaires d’archives sur la guerre d’Algérie.
Selon lui,
cette masse de documents exige un travail minutieux de déclassification.
En janvier 2020, le secrétariat général de la défense et de la sécurité
nationale, un organisme qui dépend du Premier ministre, a émis une circulaire
qui complique l’accès aux fonds concernant la période 1940-1970. En vertu de
cette décision, les archivistes du ministère des Armées doivent déclassifier
les documents un par un en y apposant des timbres. Dans une pétition, plusieurs
historiens, qui travaillent notamment sur la guerre d’Algérie, ont dénoncé “une
restriction sans précédent”. Le président Macron a dû
intervenir une nouvelle fois, il y a quelques semaines, pour demander à son
gouvernement de faciliter le travail des chercheurs. De son côté, le ministère
des Armées s’engage à accélérer les opérations de déclassification.
Sylvain Mattiucci a révélé qu’une trentaine
d’archivistes supplémentaires viennent d’être recrutés.
Pour Nicolas Chibaeff, directeur des archives au ministère français des
Affaires étrangères, l’ouverture des archives sur la guerre d’Algérie est un
pas important qui permet à la France d’assumer son passé avec lucidité.
“L’époque de l’amnésie subie ou voulue est derrière nous”, a-t-il affirmé. Il
faut, néanmoins, savoir qu’il n’existe dans les archives aucune liste
exhaustive des disparus de la guerre d’indépendance. La plupart des
disparitions ayant eu lieu pendant la Bataille d’Alger. En 2018, les historiens
Malika Rahal et Fabrice Ricipetti,
en collaboration avec l’Association Maurice-Audin et Histoire
Coloniale.net, ont créé le site 1000 autres.com qui comporte
les notices détaillées d’un millier de disparus.