VIE POLITIQUE- DOCUMENTS
POLITIQUES- APPEL CONTRE LA DICTATURE ( MARS 1976 :ABBAS,
BENKHEDDA,LAHOUEL, KHEIREDDINE)
En mars 1976, bien avant le printemps arabe et l’avènement
d’internet, à l’époque où le colonel Boumediene régnait sans partage sur
l’Algérie, 4 quatre anciens responsables politiques Benyoucef
BENKHEDDA, Ferhat ABBAS, Hocine LAHOUEL et Mohammed KHEIREDDINE, cosignérent un appel
« contre la dictature et pour la démocratie »
C’était à l’occasion de la discussion de
la Charte nationale que Boumediene avait faite confectionner et qu’il voulait
proposer au peuple algérien pour légitimer son pouvoir.
L’Algérie se trouvait alors en crise avec le Maroc à la suite de l’occupation
du Sahara Occidental par les troupes de Hassan II et
les deux blocs Est et Ouest étaient en pleine guerre froide. Les cosignataires
de l’appel craignaient que le conflit ne débordât sur les deux ailes du Maghreb
et ne fût le prétexte pour les deux superpuissances d’intervenir en Afrique du
Nord à l’image de [ce qu’ils firent en] Angola où ils s’affrontaient dans un
bain de sang dont seule la population africaine pâtissait. « Nous réclamions
[donc] la voie des négociations au lieu de celle de la confrontation pour
régler ce conflit entre deux peuples frères et voisins. »
Les signataires dénonçaient notamment le régime du pouvoir personnel qui a
conduit le peuple à la condition de sujets, sans liberté et sans dignité.
Toutes les institutions nationales et régionales du parti et de l’état se
trouvent à la merci « d’un seul homme qui confère les responsabilités à sa
guise, fait et défait selon une tactique malsaine et improvisée les organismes
dirigeants, impose les options et les hommes selon l’humeur de moment, les
caprices et le bon plaisir ».
Les quatre signataires ont étés placés en résidence surveillée et leurs biens
ont étés confisqués.
L’appel des quatre
Appel au peuple algérien « contre la dictature et pour la démocratie »
Alger Mars 1976
L'appel:
En moins de quatorze ans, l’Algérie se trouve pour la deuxième fois en conflit
avec le peuple frère marocain. Parmi nos soldats et nos enfants, les uns sont
prisonniers ou blessés et les autres sont morts sans que la responsabilité de
notre peuple ait été engagée.
Nos morts, ceux des marocains, le traitement indigne infligé à nos frères de
nationalité marocaine expulsés d’Algérie, le drame et le désarroi des
populations nomades de seguia_El-Hamra et Oued-Ed-Hab montrent que ce conflit a déjà exerce ses ravages.
Demain ce conflit risque de se généraliser et de plonger toute l’Afrique du
nord dans un bain de sang. Les haines qu’il engendrera compromettront l’union
du Maghreb, espérance de nos peuples et de notre prospérité et de notre bien
-être.
Halte à la guerre, nous lançons un appel aux responsables algériens et aux
responsables marocains, à tous les niveaux, pour que nos deux pays cessent
d’être un simple pion dans l’échiquier international. Halte à la guerre ! au nom de la fraternité musulmane et de la solidarité
humaine.
Les guerres modernes peuvent détruire en un jour le travail de plusieurs générations.
Elles ont cessé d’être des solutions valables pour nos problèmes, Y recourir,
c’est accepter le suicide collectif.
L’Afrique du nord deviendrait un nouveau terrain où s’affronteront les
super-grands au détriment de nos intérêts et de la paix dans le monde.
L’image que nous offre la malheureuse population d’Angola déchirée entre pro-Russes et pro-Americains
devrait nous inciter à la réflexion.
Nous perdrions notre indépendance nationale et ce serait alors la rupture avec
le principe de non-alignement, clé de voûte de notre politique international
depuis plus de vingt ans.
Les peuples marocains et algériens furent unis dans le combat pour leur
indépendance Ils ne peuvent se résigner aujourd’hui à la politique du pire.
Durant plus de sept ans, la Tunisie et le Maroc nous ont apporté leur appui
constant et positif.
L’ingratitude est la marque des peuples faibles. Le peuple algérien est assez
fort pour rendre le bien et affirmer sa solidarité maghrébine.
Restons objectifs et réalistes. Certes, nous sommes fermes pour sauvegarder
notre souveraineté nationale et l’intégrité de notre territoire, mais il n’en
est pas moins vrai que d’autres taches impérieuses nous sollicitent.
Faute d’institutions, l’état algérien n’existe pas. Il faut le créer l’Algérie
n’a pas de constitutions ni de lois. Elle vit dans le provisoire. Le temps est
venu pour d’y mettre fin.
Le coup d’état du 19 juin 1965 devait rétablir notre peuple dans son entière
souveraineté. Ses auteurs ont condamné, sans équivoque, le pouvoir personnel
par la proclamation suivante.
“Le pouvoir personnel, aujourd’hui consacré, toutes les institutions nationales
et régionales du parti et de l’Etat se trouvent à la merci d’un seul homme qui
confère les responsabilités à sa guise, fait et défait selon une tactique
malsaine et improvisée les organismes dirigeants, impose les options et les
hommes selon l’humeur de moment, les caprices et le bon plaisir” .
Hélas ce coup d’Etat n’a rien réglé. Le culte de la personnalité est toujours
en honneur. Le pouvoir personnel s’exerce sans contrôle. Il dispose à son gré
du destin de notre pays, de nos ressources, du budget. Il impose a nos enfants un système éducatif de son choix. Il nous
soumet à une idéologie hostile aux valeurs morales et spirituelles de l’Islam.
Cet Islam pour lequel un million et demi d’algériens sont morts.
Il est seul juge du maintien de la paix ou de la guerre.
Le peuple n’est jamais consulté ; pas plus d’ailleurs que les responsables
algériens, y compris les membres du conseil de la révolution.
A notre époque, un tel pouvoir est un anarchisme.
La solution de nos problèmes internes aussi bien qu’externes passe par l’(exercice de la souveraineté populaire. Il ne s’agit pas
de vouloir imposer au pays une charte nationale comme projette de le faire le
président du conseil de la révolution, afin d’institutionnaliser son pouvoir,
une seule voie reste ouverte pour la confection de cette charte : un débat
public, a l’échelle nationale, pour l’élection au suffrage universel direct et
sincère, d’une assemblée nationale constituante et souveraine, et sans pour
autant préjuger de l’option socialiste du pays.
C’est au sein de cette assemblée que les représentants librement mandatés par
le peuple, pourront traduire dans les textes les légitimes aspirations de la
nation.
Toute autre charte établie dans le secret des anti-chambres
du pouvoir ne pourrait être que nulle et non avenue.
Algériens, algériennes !
Le régime colonial contre lequel nous nous sommes mobilisés nous avait humilié. Il nous avait interdit dans notre propre pays
l’exercice de la souveraineté nationale en limitant nos problèmes aux questions
alimentaires et économiques.
Depuis notre indépendance, le régime du pouvoir personnel nous a conduit progressivement à la même condition de sujets, sans
liberté et sans dignité.
Cette subordination est une insulte à la nature même de l’homme et de
l’algérien en particulier. Elle est une atteinte à sa personnalité.
C’est pourquoi des hommes, militants de bonne volonté, se sont rencontrés pour
dénoncer cet état de chose et mettre fin à l’indignité qui nous frappe. Ils
appellent les algériens à lutter afin :
1°)- De élire par le peuple, librement consulté, une assemblée nationale
consistante et souveraine.
2°)- De mettre fin au système totalitaire actuel et élever des barrières
légales contre toute velléité de ce genre.
3°)- D’établir les libertés d’expression et de pensée pour lesquelles le peuple
algérien a tant combattu.
4°)- D’œuvrer pour un Maghreb arabe uni, islamique et fraternel.
FERHAT ABBAS – Ancien président du Gouvernement provisoire de la République
Algérienne (GPRA)
BENYOUCEF BENKHEDDA – Ancien président du Gouvernement provisoire de la
République algérienne (GPRA)
HOCINE LAHOUEL – Ancien secrétaire Général du parti du peuple Algérien (PPA) et
du Mouvement pour le triomphe des Libertés démocratiques (MTLD)
CHEIKH MOHAMED KHEIREDDINE – Ancien Membre du conseil national de la Révolution
algérienne et ancien représentant du FLN à l’extérieur