COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS DE
VUE- MGR TEISSIER/CARICATURES CHARLIE HEBDO
Article
initialement publié en 2015 sur le HuffPost Algérie.
© Par Djaafar Saidses suites
(*)
Le
carnage de Charlie Hebdo et les réactions à la publication de nouvelles
caricatures du prophète créent une crispation qui sert les adeptes du choc des
civilisations. Le HuffPost Algérie en a débattu avec Henri Teissier, archevêque
émérite, infatigable homme du dialogue islamo-chrétien.
HuffPost Algérie: Le
dialogue islamo-chrétien ne risque-t-il pas de subir les contrecoups de la
récente actualité marquée par l’affaire Charlie Hebdo et les caricatures du
Prophète?
Henri Teissier: L’Algérie indépendante c’est 1962. L’Eglise d’Algérie dans
son indépendance c’est aussi 1962. Depuis notre séparation avec l’Eglise de
France, notre projet principal a toujours été de nous situer dans une société
qui a ses convictions, ses traditions, ect. Nous avons eu, pendant 50 ans,
continuellement cette même préoccupation: comment peut-on vivre comme petite
minorité chrétienne dans une relation respectueuse et significative avec les
partenaires algériens, presque tous de confession musulmane? Nous avons réussi
à vivre ensemble. Même de 1991 à 1999 quand l’on était, tous ensemble, menacé
par la même violence.
Mais
voilà que tout d’un coup, nous voyons cette violence des années 90, avec les
mêmes fondations qu’ils disent doctrinales, répandre ses désordres, non
seulement en Irak ou en Syrie mais aussi dans beaucoup de points de la planète,
au Nigeria, en Somalie, en Centre-Afrique, etc.
C’est sûr que cette crise qui vient d’être rendue visible par l’attaque contre
la rédaction de Charlie Hebdo a sensiblement fragilisé ce que l’on avait voulu
faire, dans la mesure où de nombreux musulmans ont ressenti la sortie du
nouveau numéro de Charlie comme une attaque contre leurs convictions les plus
profondes.
Tout
cela a entraîné des réactions désastreuses dont la plus visible est peut-être
celle du Niger où une petite minorité chrétienne, qui vivait dans une relation
riche quotidiennement avec la très grande majorité musulmane, se retrouve avec
45 églises brûlées et plusieurs personnes tuées, à cause de gens sans
conviction religieuse qui prennent une position à Paris.
Quand on attaque des
églises à cause d’un journal anticlérical et même antireligieux depuis très
longtemps, cela ne dénote-t-il pas une méconnaissance profonde de la réalité
des uns et des autres ?
Du
côté des musulmans, il fallait trouver un adversaire contre lequel exprimer son
ressentiment. Le seul adversaire présent, c’est l’Eglise ou l’Ambassade de
France avec son Institut français. De l’autre côté, les journalistes français
ne se posent pas le problème de la relation avec les religions puisqu’ils
considèrent que ce sont des structures dépassées. Voilà pour les aspects
négatifs.
Mais
il y a aussi des aspects positifs. Une accélération de l’interrogation chez
ceux qui veulent faire progresser cette relation entre chrétiens et musulmans ;
ou même, tout simplement, de faire progresser une appartenance identitaire à
l’islam qui ne soit pas une appartenance “contre” mais une appartenance “pour”
mettre en évidence les valeurs reçues et non pas pour attaquer les autres
groupes.
Preuve de cette accélération, je reçois au moins une vingtaine de textes par
jour, produits par les uns et par les autres, qui sont le résultat de cette
crise.
De nombreux groupes ont pris position, notamment des chefs d’état dont
l’intervention sur ce terrain n’était pas attendue. Le Président de l’Egypte a,
par exemple, interpellé Al-Azhar, la plus haute institution sunnite de
réflexion, en disant: “Il y a 1,5 milliard de musulmans au monde mais il y a 7
milliards d’habitants et il faut que l’on vive l’islam d’une manière qui fonde
notre relation avec le reste du monde plutôt que nous établir comme les
adversaires de tous les autres êtres humains”.
Le Pape a suggéré que
la liberté d’expression n’aille pas jusqu’à l’offense des convictions des
autres. Qu’en pensez-vous?
Il
était tout à fait heureux qu’après la condamnation de l’attentat, le Pape insiste
sur le fait qu’il y avait des convictions profondes à respecter dans les
communautés humaines. Car c’est un peu la difficulté de la vie aujourd’hui: ce
qui peut, peut-être, être dit sans créer une division trop grave à un endroit,
ne sera pas reçu pareillement dans un autre endroit et va susciter une division
grave, comme cela s’est passé au Niger
J’espère
que cette situation va permettre une réflexion dans les deux sens: sur ce que
l’on peut continuer à faire ensemble, en particulier au niveau du partage des
valeurs. Et la condition du partage des valeurs c’est la confiance qui fonde
l’amitié. Il existe maintenant de nombreux endroits où ces amitiés entre
responsables chrétiens et musulmans existent et permettent d’éviter la
généralisation – en disant tous ceux de l’autre communauté sont des adversaires
– et chercher ensemble comment créer des ponts.
L’autre
réflexion est qu’il est important de faire progresser cette idée que la liberté
d’expression doit tenir compte de la capacité des cultures différentes à
entendre les messages. On n’entend pas le même message dans toutes les cultures
de la terre et dans toutes les langues.
Est-ce que l’Occident a
été à ce point sécularisé que ses peuples ne se rendent plus compte que le
sacré a du sens encore ailleurs?
C’est
là où le déficit en relations vraies entre les gens de tradition chrétienne et
les gens de tradition musulmane en Europe n’a pas permis de comprendre la
sensibilité de l’autre. Il est évident que ceux qui ont des relations
personnelles avec les familles musulmanes comprennent très vite que la vie de
ces familles est commandée par des convictions qui ont traversé les siècles et
qu’on ne peut pas agresser sans blesser profondément la personne.
Autrement
dit, il faut multiplier les lieux de rencontres vraies entre les personnes nées
dans des sociétés chrétiennes et puis les sociétés de tradition musulmane. A ce
niveau-là, la situation a avancé. En France, et dans les pays avoisinant, en
Belgique, en Suisse, en Espagne, il y a par exemple, chaque année, au mois de
novembre, une semaine du dialogue islamo-chrétien. Des rencontres entre des
imams et des religieux responsables des communautés chrétiennes ainsi qu’un
forum islamo-chrétien se tiennent aussi annuellement dans la région lyonnaise,
en France.
Le poids des situations
politiques telles que la Palestine, les guerres en Irak, la Libye, la Syrie, ne
crée-t-il pas une crispation du dialogue inter-religieux?
D’abord,
il faudrait que l’Occident s’aperçoive que les premières victimes dans ces
régions sont les musulmans. A l’inverse, pour la communauté musulmane, il est
évident que la multiplication de ces champs d’intervention peut donner
l’impression d’un complot organisé contre le monde musulman.
Quand
on regarde les choses, on trouve des raisons particulières pour chaque lieu.
Peu de monde avait prédit une tension en République Centrafricaine ou au Mali,
d’autant plus que l’islam africain a vécu depuis des siècles une relation tout
à fait paisible avec les non musulmans.
Mais
ces événements sont arrivés les uns après les autres et à partir du moment où
la croyance à un complot contre le monde musulman existe, elle suscite des
réactions qui doivent rendre l’Occident plus attentif à la façon dont il
intervient ou dont il exprime ses attitudes.
J’avoue avoir été vraiment étonné que 44 chefs d’Etat participent à la marche
républicaine à Paris au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo. Cela
prouve que cette manifestation de courants extrêmes qui a créé des crises
graves est maintenant perçue comme un danger par beaucoup de citoyens du reste
du monde. Une peur s’est répandue.
Pour
faire cesser les malheurs à attendre de cette peur, il faut que les gens se
rencontrent, qu’ils prennent confiance les uns dans les autres et qu’ils
puissent croire au partage des valeurs, au lieu de croire à l’inéluctable
affrontement des communautés.
Comment jugez-vous les
réactions en Algérie face à cette actualité?
Les
réactions de M. le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Mohamed
Aïssa, ont d’abord été dirigées envers la communauté musulmane elle-même à
partir des épreuves vécues. La première déclaration disait: “Nous avons reçu
des courants musulmans qui nous sont venus du Moyen-Orient qui ne correspondent
pas à nos traditions, revenons à l’islam de Cordoue”.
A
ce moment-là, il ne s’agissait donc pas d’un affrontement entre le monde
chrétien et le monde musulman mais d’une évolution de l’islam algérien et d’un
appel à retourner aux origines de l’islam maghrébin qui a une autre histoire
symbolisée aussi, au niveau de la réussite culturelle, par ce qui s’est passé
en Andalousie.
C’était
le signe d’une évolution qui était rendue nécessaire non pas à cause de la
relation avec l’extérieur mais à cause de l’équilibre de la société algérienne
elle-même.
Plus récemment évidemment avec qui s’est passé à Paris, il y a eu une autre
intervention mais qui était principalement dirigée vers ceux qui voulaient
ressortir ces courants, qui ont été à l’origine de la crise de 1991, de
l’intérieur de la communauté algérienne.
Ce
qui est clair, c’est que les questionnements sont posés à chacun: aux croyants,
parce qu’il faut respecter les autres croyants et à ceux qui n’ont pas de
convictions religieuses. Car on a besoin de tous pour arriver à faire, non
seulement la paix civile à l’intérieur de chaque nation, ce qui est déjà
difficile, mais aussi la paix civile entre les nations. En particulier celles
qui ont des traditions différentes et celles qui ont des rythmes de
transformation qui ne sont pas les mêmes.
(*) Article initialement publié en 2015 sur le HuffPost
Algérie.