HISTOIRE- PERSONNALITES- NASSIMA HABLAL
© El Watan , 16-06-2005
Ancienne secretaire de abbane ramdane, décédée le
14 mai 2013 à l'âge de 85 ans. :
" C'est mon voisin M. Ourif,
originaire de Laghouat, qui m'a amenée au militantisme,
au début des années 1940, suite aux tragiques massacres de mai 1945,
particulièrement à Kherrata où quatre jeunes avaient été tués. leurs corps en
putréfaction ont été exposés sur la voie publique durant une semaine, avec
interdiction de leur donner une sépulture.. ça m'a profondément révolté.
Pour des raisons sociales évidentes,
j'ai commencé à travailler. Mais parallèlement, je fréquentais un groupe
d'étudiants de mon âge. C'est avec eux que j'ai commencé à militer.
La première cellule où j'ai activé se
trouvait à la Casbah. Nous ramassions de l'argent pour le parti auprès des
familles aisées bien sûr. Nous vendions le journal du parti et nous faisions
tout un travail de propagande parmi les femmes.
Je travaillait au gouvernement général,«le GG». j'ai commencé à activer
dans un réseau composé d'hommes avec notamment Mustapha Ben Mohamed. Je
recevais chez moi des militants qui, lorsqu'il y avait un congrès ou une
réunion qui se déroulait à Alger, y venaient clandestinement, étant interdits
de séjour.
Le 1er novembre 1954 arrive. La joie
était immense comme l'étaient les espoirs que ce jour a suscités.
j'attendais qu'on m'envoie un signal. Je m'étais rendue à Bucarest pour le festival
mondial de la jeunesses car chaque année je voyageais
pour oublier un moment le racisme ordinaire que nous subissions. Un jeune homme
m'a un jour abordée et m'a demandé si j'étais bien Nassima Hablal. « Oui, lui
ai-je répondu. - je voudrais discuter avec toi », m'a-t-il dit. Je lui ai
laissé mes coordonnées à Alger et l'ai invité à me contacter. Le jeune homme en
question était Mohamed Sahnoun, futur diplomate. Il était avec le groupe de Amara Rachid.
De retour au pays, avec des français et
des chrétiens de gauche qui faisaient un travail social dans les bidonvilles je
passais mes week-ends dans les quartiers défavorisés à soigner, vacciner, alphabétiser....
La révolution venait de débuter, ses
moyens étaient limités. Des militants avaient été libérés, dont Abane. A sa
libération, il vivra un autre drame, familial celui-là. En effet, en arrivant
chez lui, sa mère dans le jardin était occupée à biner. On l'appelle et on lui
dit : « Viens tu as un invité. » Lorsqu'elle s'est trouvée devant son fils, la
surprise de le voir a été telle qu'elle a fait une attaque qui l'a rendue
hémiplégique à vie.
Krim Belkacem et Ouamrane le contactent
et lui confient l'organisation d'Alger 1ère zone autonome. Il s'est installé
chez moi, a proximité du Jardin d'essais, dans la villa la Gloriette pour un an
ou plus, jusqu'à ma première arrestation.
Nous somme fin 1955, On n'avait rien du
tout. Je tapais des tracts chez moi puis je me suis permis d'aller faire les tirages
chez les pères blancs en face de Sidi Abderrahmane avec Amara Rachid. Ils
ignoraient bien sûr le contenu des documents. Mais il y a eu comme d'habitude «
une âme charitable » qui nous a dénoncés.
Depuis 1955, J'étais la secrétaire de Abane, puis après le Congrès de la Soummam, la secrétaire
du comité d'exécution et de coordination (CCE).
Lorsque
Amara Rachid se rendait chez Abbas en
voiture, il a été repéré et arrêté. Auparavant, Abane voulait l'envoyer en
mission en Egypte et je lui ai donné mon adresse pour son passeport dont il a
gardé l'enveloppe. Ils n'ont pas tardé à débarquer chez moi, pour m'embarquer.
J'ai donc été appréhendée. Préparée à l'éventualité, je n'ai pas parlé. Ils
m'ont interrogée au commissariat. Puis ils m'ont déférée à la prison de
Serkadji où j'ai été isolée. J'avais un oncle qui était avocat, Me Bensmaia,
qui connaissait le bâtonnier Morino. Il est intervenu.
Quand je suis allée à l'UGTA au
secrétariat national avec Aïssat Idir, je faisais la liaison entre Abane et
lui, car ils devaient se voir le moins possible.
J'étais permanente au secrétariat
national de L'UGTA. A ce moment-là, on a eu notre premier journal El Moudjahid.
Il faisait à l'époque environ 70 feuillets. J'assurais la frappe et le tirage
.Le journal était expédié aux quatre coins du pays dans des caisses censées
contenir des paquets de café.
Il y avait l'éditorial qui était écrit
soit par Abane, soit par Larbi Ben M'hidi, soit Saâd Dahlab ou d'autres cadres.
Et puis il y avait les faits des maquis, les nouvelles qui venaient de partout
et puis les positions politiques et diplomatiques du FLN. Je tapais également
le journal de l'UGTA, L'Ouvrier algérien. Nous étions continuellement contrôlés
par la police. Parce que à l'UGTA on y fabriquait des
bombes, on y amenait le matériel et les matières explosives pour leur
confection.
Ma 2ème arrestation c'était le 21
février 1957. Je suis restée dans les centres de torture jusqu'au mois d'avril.
J'en ai fait sept.J'ai d'abord fait la caserne des bérets bleus à Hussein Dey.
C'est là que le supplice a commencé. De 11h jusqu'à 6h, j'étais pendue au
plafond la tête en bas, l'électricité, les électrodes, les bidons d'eau, toute
la panoplie qu'ils avaient en tête. Mes bras étaient paralysés... des nerfs
sectionnés des muscles distendus tuméfiée terrifiée et cette atroce douleur qui
tenaillait mon dos. La séance a duré six heures. Ils m'ont massacrée. Ensuite,
ils ont commencé à m'interroger. J'ai alors déliré. Je n'avais pas parlé de Abane. J'ai en revanche parlé de Amara
Rachid que je savais mort au maquis depuis quelques mois déjà. Toute la nuit, à
côté, j'ai entendu torturer des hommes. Le lendemain matin, ils m'ont emmenée
en voiture. Ils ont essayé la méthode douce en disant : « Si tu parles nous
allons t'envoyer en Espagne et personne ne saura que tu as dit quelque chose. »
Au retour de « la balade en voiture », j'ai vu un spectacle hallucinant. Sur le
sol mouillé étaient allongés une dizaine d'hommes qui, toute la nuit, avaient
subi le supplice de la baignoire et de l'électricité, et que des tortionnaires
brûlaient au fer rouge. J'ai poussé un hurlement. Cela se passait dans une
ferme à Bakallem. Parce qu'entre-temps on m'a transférée de la caserne vers une
ferme poétiquement baptisée Ferme des orangers. J'y ai passé deux ou trois
nuits et puis de nouveau transférée, vers El Biar cette fois. Là ou était Ben
M'hidi. Curieusement, ils ne m'ont pas interrogée sur Abane. Ils m'ont plutôt
cuisinée sur Ben Khedda. « Où l'as-tu vu pour la dernière fois ? », me
harcelaient-ils. « Tu ne connais pas un certain Ben M'hidi, collecteur de fonds
? ». J'étais à cent lieues de penser qu'il s'agissait de Si Larbi. Il y avait
Massu et Bigeard. « C'est pas du travail ce qu'ils t'ont fait là. Ils t'ont
laissé des traces. Nous, nous avons d'autres moyens. Les Russes l'ont fait, les
Américains aussi, pourquoi ne le ferait-on pas ? » Il fallait comprendre qu'ils
allaient m'injecter du sérum de vérité. Me piquer au Penthotal pendant deux ou
trois jours, puis ils m'ont emmenée à la Villa Susini. Pour l'anecdote, lorsque
j'étais petite, en passant devant cette magnifique bâtisse qui domine Alger,
s'il en est, je rêvais et me voyais dans cette maison comme une princesse dans
un palais. Triste princesse, effroyable palais !
Lorsque
on m'a enlevé le bandeau qui masquait mes
yeux à mon arrivée je découvrais Feldmayer, le tortionnaire de service. Une
espèce de singe géant avec des mains énormes. On m'a allongée dans une pièce,
je ne savais pas où je me trouvais. Puis est entré le capitaine Folques, le
maître de cérémonie, le grand patron. Il a défait mon bandeau et m'a dit : « Oh
tu as un grand nez », voulant peut-être me complexer. Le pauvre, il ne savait
pas combien j'étais fière de mon nez chérifien. A un moment donné, ils m'ont
encore bandé les yeux et j'entendais : « Où est Audin ! Où est Maurice Audin ?
» il sagissait du jeune militaire, le frère de
Maurice. Il y avait également Basta Ali, que je n'ai pas vu mais que
j'entendais répéter « Basta ! je m'appelle Ali Basta !
» ainsi pendant deux ou trois jours.
On m'avait entravée avec des menottes,
mais malgré cela, il y avait un soldat armé qui me surveillait. Je dépérissais
et étais considérablement amaigrie.
Ils ne voulaient pas me présenter au
tribunal dans l'état de cadavre où je me trouvais. Ils
m' ont fait des piqûres pour me retaper un tant soit peu. C'était un soldat
d'origine allemande qui me les faisait. Il me répétait quand nous nous
retrouvions seuls : « Attention fidèle à l'Algérie, il faut rester fidèle à
l'Algérie ».
Puis ce fut le tribunal...
D'abord Serkadji, pour la deuxième fois.
Le procès dit des « libéraux ». J'ai été condamnée à cinq ans.
Puis ils m'ont emmenée à El Harrach ou
il y avait Moufdi Zakaria, qui a réussit à nous faire passer ces poème et nous
avons été les premières à les chanter.
Un matin, ils nous ont annoncé notre
transfert à Birkhadem, mais à notre surprise, direction l'aéroport. Ils nous
emmenées en France à Paris, à la Roquette. Nous y sommes restées deux ou trois
mois gardées par les bonnes soeurs.
Puis on m'a emmenée à Rennes. Puis à
Pau, dans le sud-ouest de la France. A Pau, Nelly Forget connaissait Germaine
Tillon, celle-ci démarchait pour libérer quelques détenues qui n'étaient pas
condamnées à de lourdes peines. C'est comme ça qu'elle a obtenu la libération
de certaines filles, parmi lesquelles je figurais. J'ai vu mon juge, je lui ai
dit : « Je n'ai même pas une carte d'identité, donnez-moi une autorisation pour
que je me rende à Paris pour en établir une ». En fait je voulais me faire la
malle et retourner au pays. C'est ainsi que je me suis rendue à Paris et que
j'ai établi le contact avec Abderahmane Farès puis avec le FLN. Je suis allée
en Tunisie. Je voulais absolument rentrer en Algérie. Après quelque temps, j'ai
vu M'hammed Yazid et lui ai demandé de rentrer au pays. Ce qui a été fait. J'ai
rejoint l'Exécutif provisoire à Boumerdès"