VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH ––TEXTES MOHAMED SAIL- « L’ÉTRANGE ETRANGER »
© S. H (Le Soir d’Algérien
jeudi 12/11/2020)
Une
compilation de textes du militant anarchiste Mohamed Saïl
vient de paraître en France aux éditions Lux « « L’étrange étranger » . Réunis et présentés par l’universitaire québécois Francis
Dupuis-Déri, ils dessinent le portrait d’un
personnage singulier injustement méconnu en Algérie.
Ces dernières années, une photo circulait sur les réseaux sociaux où l’on
voyait un groupe d’hommes armés, modestement vêtus et adoptant une posture à la
fois désinvolte et fière. La légende disait qu’il s’agissait de combattants des
brigades internationales qui ont résisté à Franco durant la guerre d’Espagne
1936. Au premier rang, assis à califourchon au milieu, un homme fixait
l’objectif d’un regard grave et on apprenait qu’il s’appelait Mohamed Saïl, un anarchiste kabyle !
On découvre alors peu à peu l’engagement sans faille et la verve enflammée d’un
militant jusque-là inconnu en Algérie et inexistant dans les livres d’Histoire.
Né en 1894 à Souk Oufella à Béjaïa
et mort en 1953 à Bobigny en France, Mohand Saïl est un personnage atypique dans l’Histoire des luttes
algériennes.
Insoumis puis déserteur lors de la Première Guerre mondiale, il adhère à sa
libération à l’Union anarchiste avant de fonder en 1923 le Comité de défense
des indigènes algériens. Il collabore à plusieurs publications libertaires
comme « Le flambeau », « L’Insurgé » et « l’Anarchie »
et s’illustre notamment dans une critique acerbe de la célébration du
centenaire de la colonisation.
Au début des années 1930, il s’installe en France et poursuit son militantisme
contre le colonialisme à l’instar de l’ensemble du mouvement anarchiste, il
gère le journal local « L’éveil social » dont un article lui vaut une
incarcération pour «provocation à la désobéissance». Il rejette à l’occasion le
soutien que lui apporte le Secours rouge (organisation affiliée au Parti
communiste).
Il est arrêté et condamné une seconde fois pour port d’armes de guerre et passe
quatre mois en prison avant de rejoindre, à l’âge de 42 ans, la révolution
espagnole dans les rangs de la Colonne Durutti puis il est rapatrié en France
suite à une blessure au bras. Il apporte son soutien à l’Étoile nord-africaine
de Messali Hadj et continue de publier dans les
journaux anarchistes, ce qui le conduit à une autre incarcération de 18 mois
pour «provocation de militaires» au début de la Seconde Guerre mondiale.
Anarcho-syndicaliste et militant sans compromission, il est de toutes les
réunions et de toutes les actions du mouvement anarchiste. Il meurt en 1953 à
l’âge de 59 ans. Et c’est Georges Fontenis, l’une des
principales figures des années 1940-1950 qui prononcera son éloge
funèbre.
Dans « L’étrange étranger », Francis Dupuis-Déri
présente et compile une trentaine de textes de Mohand
Saïl, publiés entre 1924 et 1951 dans les différents
périodiques libertaires d’Algérie et de France.
Dans sa longue introduction, l’universitaire estime
que cette anthologie «a une valeur à la fois historique et politique en cela
qu’elle permet de plonger dans l’esprit d’un anarchiste né avec le XXe siècle
et qui a mobilisé sa plume contre le caractère à la fois hypocrite, injuste,
violent et mortifère du système colonial français». Et de rappeler que Mohand Saïl se distinguait dans
son combat pour l’émancipation des Algériens par la défense d’une «troisième
voie», qui est celle d’une société véritablement égalitaire, non hiérarchisée
et libertaire. L’un de ses textes, «La mentalité kabyle», invite d’ailleurs les
colonisés à renouer avec la configuration horizontale et solidaire qui marquait
la société kabyle ; il les exhorte, par ailleurs, à «s’intéresser à l’anarchisme
et à se méfier des projets nationaliste, communiste ou islamique».
On apprend ainsi dans ce livre que l’intrépide militant, de retour en Algérie
en 1925, fera un court séjour en prison pour avoir critiqué «le régime des
marabouts» dans un café à Sidi Aïch. On apprend
également, grâce à une chronique qu’il a publiée en 1932 dans « L’éveil
social » intitulée «Pour elle comme pour vous : debout ! Peuple algérien»,
l’existence d’une certaine Marguerite Aspès,
anarcho-syndicaliste qui a tiré sur un policier à la Bourse du travail à Alger.
Mohand Saïl veut ainsi
mobiliser les Algériens pour sa défense, elle qui «exaspérée par le régime
d’exception qui vous opprime tira un coup de révolver sur un policier. C’est
pour votre cause, peuple musulman, qu’une anarchiste souffre en ce moment dans
la prison de cette ville. Elle n’a fait, cependant, que manifester son
indignation à votre place, à vous qui êtes des hommes !»
Bien d’autres textes aussi flamboyants qu’historiquement précieux composent
cette anthologie dont l’importance première est de révéler au grand public un
anarchiste algérien intègre et sans concession qui a lutté, par la plume et les
armes, autant contre la condition infâme de ses compatriotes que pour l’idéal
internationaliste révolutionnaire.
À souligner que le titre de l’ouvrage vient d’un poème de Jacques Prévert
Étranges étrangers dont on pense qu’il a été dédié, entre autres, à Mohand Saïl : «Kabyles de la
Chapelle et des quais de Javel ; Hommes de pays loin ; Cobayes des colonies ;
Doux petits musiciens ; Étranges étrangers ; Vous êtes la ville ; Vous êtes de
sa vie ; Même si mal en vivez ; Même si vous en mourrez».