VIE
POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN MICHEL THOUILLOT- « L’EVEIL DE
MEURSEAULT »
L’Eveil
de Meursault. Roman de
Michel Thouillot. Tafat
Editions, 2020, 149 pages, 500 dinars
D’emblée une question…..existentielle ( ?) : Faut-il
obligatoirement passer par le jugement public, par la condamnation, par la case
« Prison », …. pour prendre conscience de
l’ « étrangeté » de son comportement social –
« criminel » au regard du droit et des lois - à l’endroit soit des
gens alentour soit des biens ….appartenant aux autres (individus et
institutions). On a , bien sûr, le vol, le détournement
de biens, la corruption, l’agression physique (et morale), le chantage……bref,
mille et uns délits et crimes qui se sont d’ailleurs multipliés ces dernières
décennies, le progrès et la vie politique polluée aidant….allant parfois plus
vite que l’élaboration des textes destinés à les prévenir ou à les
sanctionner.
Voilà donc ce qui est arrivé Meursault, « l’Etranger », le fameux
« héros » (sic !) de Camus.
Jusqu’ici, on nous a tout dit sur lui. Daoud l’a même indirectement
tué….Mais cela suffisait –il. Non ! Heureusement, pour assouvir notre
« vengeance » (re-sic !) et
,peut-être, clore définitivement ce chapitre, Michel Thouillot
est venu à notre secours , en présentant Meurseault
certes dans sa vie de tous les jours (n’oubliez pas que nous sommes en pleine
période coloniale , mais aussi dans les années du grand réveil du nationalisme
algérien, annonciateur de la « lutte finale ») , puis commettant son
meurtre , puis se retrouvant enfermé (une description réaliste, je crois, de la
vie en prison…au milieu des « Arabes ») , puis jugé et condamné.
Grâce à des « circonstances « atténuantes »…il échappe à la
peine capitale. Pouvait-il en être
autrement pour le meurtre d'un « Arabe » dans une Algérie dominée. Mais, pour
lui, ce sera alors une descente
aux enfers qu’il n’avait jamais soupçonné quand ,
petit fonctionnaire pied-noir, il vivait, malgré sa situation assez médiocre,
dans une certaine insouciance dans un pays (plutôt dans un « monde »
parallèle ) gorgé de soleil …..Petit à petit, mais difficilement, ce sera une prise de conscience de la vie réelle
.Elle existait et il ne le « savait pas. De plus, il est
en butte à la « justice » rendue par les détenus indigènes et
il assistera, au sein de la prison même,
à la montée du nationalisme algérien. Il est amené alors à se poser bien
des questions, puis des révisions déchirantes……. mais tardives…..Comme tout
prisonnier condamné par la justice……comme, j’en suis sûr, pas mal de pieds
noirs…..comme, peut-être Camus….qui a raté, à mon avis, un tel ouvrage. Il
n’avait pas eu le temps ou pas osé d’aller jusqu’au bout et a préféré, selon
moi, la fuite ailleurs…et, prisonnier de ses « incertitudes », une mort prématurée.
L’Auteur :
Vit en Réunion .Né en 1951.
Enseignant. Agrégé et docteur es-lettres. Trois
romans historiques (Editions L’Harmattan, 2011, 2013 et 2015) qui
interrogent les moments clés de l’empire colonial français. Auteur de plusieurs
autres ouvrages
Sommaire : Illustration
de la couverture : Instantané tiré du film « l’Etranger »
de Luchino Visconti, 1967
Extraits : « Le dilemme du prisonnier : ne
pas manger pour garder un transit intestinal normal, ou manger et avoir son lot
de diarrhées. En prison, la question de la défécation prend toujours des
proportions inouïes » p 9, « Quand tu t’es retrouvé dans ta cellule,
tu ne pouvais deviner que tu allais me faire purger une condamnation lente,
autrement plus cruelle que la décapitation » (p 140)
Avis : Une autre manière d’ausculter
« l’étranger » en terre colonisée…
L'auteur réinvente ici librement « L'Étranger » pour éclairer
l'envers du décor d'une colonie engagée sur la voie de l'implosion.
Citations :
« Tu as alors compris que pendant
les affaires de justice, le coupable était pris en charge par les
professionnels, qu’il était entre leurs mains comme une souris que l’on
disséquait au labo du lycée. Tu étais progressivement effacé pour devenir un
étranger à toi-même, réinventé par l’avocat à chaque question du juge
instructeur. Tu t’es même par moments demandé si c’était bien toi le criminel »
(p 94), « J’ai entendu parler d’un homme pris dans les sables mouvants du
désert. A chaque geste, si minime soit-il, il s’enfonce davantage jusqu’à sa
complète disparition. Ainsi, chaque acte du colon pour se préserver coûte que
coûte, à commencer par le meurtre de celui qui se met sur son chemin, le
condamne irrémédiablement comme tel » (p 149)