HISTOIRE-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- ARCHIVES HISTORIQUES, POINT DE VUE SG/ ONM OCTOBRE
2020
© Le Soir d’Algérie/Entretien réalisé par Karim Aimeur (samedi 31
octobre 2020)
Dans l’entretien qu’il nous a accordé
à la veille de la célébration du 66e anniversaire du déclenchement de la guerre
de Libération nationale, le secrétaire
général intérimaire de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Mohand Ouamar Benlhadj,
estime que les objectifs de Novembre ne sont pas atteints. «Il y a un tas de
facteurs qui ont contribué à la déviation. Je préfère parler de déviation à la
place de trahison. Même s’il y a des traîtres en Algérie, mais ce n’est pas
tout le monde qui a trahi», a-t-il précisé. Il soutient qu’il ne suffit pas de
constitutionnaliser la déclaration du Premier Novembre dans le projet de la
révision de la Constitution, trouvant que l’essentiel est plutôt de respecter
ses principes et concrétiser ses objectifs.
Le Soir d’Algérie : La déclaration du
1er Novembre 1954 vient d’être constitutionnalisée dans le projet de la
révision constitutionnelle. Qu’en pensez-vous, au sein de l’ONM ?
Mohand Ouamar Benlhadj : Il ne suffit pas d’inscrire le 1er Novembre dans le texte
constitutionnel, il faut voir le contenu de la déclaration, ses objectifs,
s’ils ont été atteints ou non, et si les principes de Novembre sont appliqués
et respectés ou non. C’est cela l’essentiel. C’est le contenu et non pas
l’emballage. L’inscription du 1er Novembre dans la Constitution est une bonne
chose mais réaliser ses objectifs, qui sont la libération du pays et de
l’homme, est encore mieux. À l’époque coloniale, les Algériens indigènes
étaient réduits au rang d’animaux.
À l’époque, 10% des colons et de l’appareil administratif colonial disposaient
de 90% des ressources du pays. Les 10% restants étaient pour les 90% des
habitants qui végétaient en réalité. Les objectifs et les principes du 1er
Novembre ne sont pas réalisés. On a eu l’indépendance, et c’est le principal
objectif. Pour le reste, les progrès qui ont dû être effectués, bien qu’il y
ait des énoncés au lendemain de l’indépendance dans l’intérêt des masses
populaires, mais ils ont été capotés. La révolution agraire avait échoué, la
révolution industrielle également. Il y a l’enseignement qui a réussi, même si
on aurait pu faire mieux. Dans les domaines de l’habitat et de la santé, il y a
eu aussi des progrès même si la réussite n’est pas à 100%. Pour le reste,
malheureusement, les objectifs ne sont pas réalisés.
Qu’en est-il sur le plan social ?
Les objectifs ne sont pas réalisés.
On est arrivé au stade où l’on était pendant la colonisation. 10% des revenus
du pays sont distribués à 90% du reste de la population algérienne. Les 90% des
revenus sont pris par l’oligarchie, par un groupe de personnes. Je ne connais
pas leur nombre, mais nous avons quelques milliers de milliardaires et c’est
difficile de compter les zéros après le milliard. C’est ça le drame dans notre
pays. Même sur l’éventail des salaires, on trouve des salariés parmi les cadres
supérieurs de la nation, qui touchent jusqu’à 800 000 DA par mois, et d’autres
fonctionnaires qui touchent 18 000 DA et même moins par mois. Cette situation
est dramatique, elle est injuste. Si on parle de Novembre dans la Constitution,
il faut promulguer des lois pour concrétiser ses principes, si vraiment on a la
volonté de le respecter.
Vous dressez un constat amer sur la
situation du pays et vous affirmez que les objectifs de la Révolution ne sont
pas atteints. Que reste-t-il alors du 1er Novembre, selon vous ?
L’Algérie a
son drapeau, son armée, son appareil étatique et elle est membre du concert des
nations. Il reste le problème de la justice sociale et de la justice tout
court. Il faudrait que chacun ait vraiment un véritable statut de citoyen. Il
ne faut pas qu’il y ait des classes chez nous. Novembre n’est pas venu pour
remplacer l’appareil répressif, l’appareil des premier
et deuxième collèges de l’époque coloniale par un appareil identique après
l’indépendance.
Pensez-vous que le 1er Novembre a été
trahi par les pouvoirs successifs du système algérien après l’indépendance ?
Pour parler de trahison, je ne sais
pas, peut-être qu’ il y a quelque chose de cela. Il y
a aussi de l’incompétence chez nous, comme il y a l’ignorance et le manque de
niveau de conscience politique qui était, à mon avis, supérieur avant Novembre
1954 qu’après l’indépendance. Au lendemain de l’indépendance, les gens
pensaient beaucoup à leur estomac, ils étaient ouverts à la corruption…Il y a
un tas de facteurs qui ont contribué à la déviation. Je préfère parler de
déviation à la place de trahison. Même s’il y a des traîtres en Algérie, mais
ce n’est pas tout le monde qui a trahi.
Le conseiller en charge des questions
mémorielles auprès du président de la République, Abdelmadjid Chikhi, a appelé, il y a quelques jours, la France à
restituer à l’Algérie ses archives. Qu’en pensez-vous ?
Pour moi, l’histoire des archives
n’est pas importante dans la mesure où ces archives ne sont pas recensées.
Lorsqu’ils les ont prises, il n’y avait pas de décharges pour qu’on puisse
réclamer tel ou tel dossier ou tel ou tel document. Les Français avaient tout.
Ce qu’ils ont hérité des Ottomans, nous ne le connaissons pas. Le reste, ce
sont leurs archives à eux. Ce sont eux qui inscrivaient tout, qui détenaient
les documents, qui faisaient les études du point de vue recherches. Nous ne
savons pas exactement qu’est-ce qu’il y a. Pour la guerre de Libération, nous
ne connaissons pas les rapports quotidiens des militaires : combien d’Algériens
ont été abattus, assassinés tel ou tel jour. Donc, même s’ils nous restituent
quelque chose, ils ne restitueront que ce qu’ils voudront. C’est pour cela que
je dis que nous devons écrire notre histoire avec notre mémoire à nous. Nous
avons encore des dizaines de milliers de survivants,
il y a des traces sur le terrain avec les villages démolis, les forêts
incendiées, les cimetières… : réunissons tout cela et écrivons notre histoire.
N’attendons pas Aix-en-Provence ou bien Le Vincent pour l’écrire. Les Français
ne nous donneront jamais ce qui porterait préjudice à la renommée qu’ils ont
fait bâtir de pays civilisateur, pays des droits de l’Homme. Si Chikhi attend l’arrivée des colis de Paris, rien ne sera
écrit.
Comme à chaque date historique, la
question de la repentance et les appels à la reconnaissance de la
responsabilité de la France dans les crimes coloniaux reviennent avec force...
Nous pouvons revendiquer cela et nous
pourrons même aller à la Cour internationale de justice de La Haye pour le
réclamer. La France doit reconnaître sa responsabilité dans ce qui s’est passé.
Avec cinq ans d’occupation partielle allemande, les Français ont même amené les
responsables allemands sur les lieux pour s’incliner devant la mémoire de leurs
morts qui ont résisté contre cette occupation.
Ce pour quoi, les Français avaient exigé la reconnaissance de l’Allemagne est
absolument insignifiante par rapport aux dégâts que
les colonialistes français ont commis en Algérie.