HISTOIRE-
PERSONNALITES- BEDDAR FATIMA
© Brahim Taouchichet/Le Soir d’Algérie, samedi 31 octobre 2020
Funeste et triste journée que ce 17 Octobre
1960 en France à Paris. Alors que la guerre de Libération nationale embrase
tout le pays en Algérie, nos compatriotes émigrés en France, et dans un même
élan, sortent manifester pacifiquement pour revendiquer l’indépendance de
l’Algérie.
Hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux vont battre le pavé dans le froid, la
grisaille et la pluie. Toutes les précautions étaient prises par les militants
de la Fédération de France afin d’éviter tout dérapage et parer aux éventuelles
provocations des ultras français.
Le message de cette marche pacifique était clairement affiché : les marcheurs
devaient après cela rentrer chez eux et vaquer à leurs occupations habituelles.
Mais cette sortie parisienne bon enfant allait vite se transformer en
cauchemar, la répression est terrible. C’est qu’à la tête de la préfecture, il
y a un certain Maurice Papon qui a déjà fait ses preuves dans sa collaboration
zélée avec la Gestapo et l’armée allemande qui occupait alors la France. En ce
17 Octobre, il aura de nouveau l’occasion de donner libre court à ses instincts
criminels. Ce seront les fameuses «ratonnades» qui feront pas moins de 150
morts parmi les manifestants désarmés. La police mobilisée en grand nombre,
appuyée de harkis, fonce dans la foule et commet le pire, y compris contre ceux
qui avaient contribué à libérer la France. Le père de Fatima Bedar en fait partie. Fait prisonnier par l’armée
allemande, il s’évade pour rejoindre les forces de l’armée du général De
Gaulle. Il s’installera à Paris, dans un bidonville, à la fin de la guerre puis
réunira sa famille en 1959 à Sarcelles.
Fatima Bedar a alors 5 ans et c’est l’aînée de la
famille sur laquelle déjà reposera la responsabilité du foyer et de la fratrie.
Cela ne l’empêche pas pour autant de nourrir des rêves d’institutrice et
fréquente le collège d’enseignement commercial de Stains en région parisienne.
Elle sera brisée net dans son élan et dans la vie. Malgré les supplications de
sa mère de rester à la maison de crainte d’un malheur, elle ne résistera pas à
l’appel de la manifestation. Elle ne pouvait rien craindre de la marche
pacifique qui prendra pourtant une tournure dramatique. Elle ne rentrera pas à
la maison. Sa mère éplorée l’attendra en vain des journées entières. Son père
ne cessera de hanter les rues environnantes dans l’espoir d’un signe de vie. Un
soir, il rentrera avec à la main son cartable, unique relique d’une adolescente
qui respirait la vie. Cinq jours après les journées dramatiques, les agents
d’entretien du canal de Saint-Denis repêchent un corps retenu par les grilles,
et aussitôt, ils donnent l’alerte. La famille Bedar
peut enfin faire son deuil. Fatima sera enterrée au cimetière de la ville. Elle
y reposera 45 ans puis ses restes seront transférés, en 2006, dans sa ville
natale, Tichy, à Bougie.
Fatima Bedar deviendra, en France même, le symbole de
l’innocence aspirant à la paix, la liberté, elle que les déboires et
difficultés de la vie n’ont pas encore marquée. Pouvait-elle échapper pour
autant à sa destinée comme tous les manifestants de cette journée ? La roue de
l’histoire, inexorable, continue de tourner. En échos aux massacres de Paris,
des manifestations populaires de grande ampleur éclateront en Algérie même, le
11 décembre 1961, qui sont elles-mêmes le prolongement
des événements du 8 Mai 1945 avec leurs lots de morts et de disparus. 59 ans
après, le souvenir douloureux de la mort de Fatima Bedar
est toujours vivace. Mohamed Ghafir, dit «Moh Clichy», le rappelle dans son livre réédité, Droit
d’évocation et souvenance sur le 17 Octobre 1961 à Paris. Un chapitre lui est
consacré sous le titre : «Le martyre de Fatima Bedar,
symbole de sacrifice de la femme algérienne».
Un sacrifice qui ne sera pas vain à l’aube de l’indépendance, ce 5 juillet
1962, moins d’un an après.
Aujourd’hui que les langues se délient, l’assassinat de Fatima est inscrit au
registre des crimes d’État, crime contre l’humanité. Et à l’heure du débat sur
le travail de mémoire et de réconciliation des consciences, il est toujours
d’actualité.
Des initiatives seront ainsi prises pour apaiser les douleurs du passé. Une
allée de Stains, son lieu de vie, est baptisé de son nom : «Allée Fatima Badar». Il en est de même du collège qu’elle avait
fréquenté. Afin que nul n’oublie.