TRAVAIL- ETUDES
ET ANALYSES- FONDS SPÉCIAL DES RETRAITES DESTINÉ AUX CADRES DE L’ÉTAT ET AUX
PARLEMENTAIRES (2020)
Les privilégiés de
la République
©Ali
Boukhlef/Liberté, mercredi 28/10/2020
Alors que de nombreux retraités peinent à boucler leurs fins
de mois, les cadres supérieurs de l’État accèdent à des retraites dorées après
seulement quelques années d’activité. Des voix s’élèvent désormais pour mettre
fin à cette dualité.
Au moment où
de nombreux retraités peinent à boucler leurs fins de mois, une catégorie de
privilégiés, qui se recrutent parmi les “cadres supérieurs” de l’État, accèdent
à des retraites dorées après seulement quelques années d’activité. Des voix
s’élèvent désormais pour mettre fin à cette dualité. Dans une pétition rendue
publique au début de cette semaine, des citoyens, dont l’universitaire Mohamed Hennad, demandent aux autorités de “procéder à
l’unification du régime de retraite nationale à travers l’annulation du régime
spécial de retraite (FSR) lequel incarne une véritable forme d’‘apartheid’ dans
notre pays.”
Le document
précise que “l’existence d’un fonds spécial des retraites est devenue une
simple spoliation des deniers publics au bénéfice d’une catégorie de
privilégiés dont certains ont fait beaucoup de mal au pays”. La raison ? “La
liste des bénéficiaires de ce régime est si longue puisqu’y figurent tous les
‘cadres supérieurs’ de l’État et de l’armée, mais aussi la direction du FLN et
de ses organisations satellitaires”, indique la pétition.
En lançant
cet appel, ces citoyens veulent dénoncer l’existence d’un double système de
retraite dans le pays. L’un est général et concerne tous les salariés, autant
ceux du secteur public que ceux du privé, qui cotisent auprès de la Caisse
nationale des assurés sociaux (Cnas). À ces salariés
s’ajoutent ceux qui exercent des professions libérales et qui cotisent, eux, à
la Casnos, (Caisse d’assurance des non-salariés).
L’ensemble de ces cotisants perçoit, après 32 ans d’activité et une fois l’âge
de 60 ans atteint, 80% de la moyenne de leurs salaires des 5 dernières années.
La pension
n’augmente, au fil des ans, que timidement. Parallèlement à ce régime, il
existe une autre catégorie de retraités : les cadres supérieurs de l’État qui
sont “payés” par le Fonds spécial des retraites (FSR). Il s’agit d’une caisse
qui dépendait jadis de la Caisse nationale des retraites, mais qui a fini par
être une caisse à part, financée en partie par la caisse des retraités et par
des subventions publiques. Elle est rattachée au ministère des Finances. Y sont
inscrits les cadres supérieurs de l’État, les anciens ministres, les P-DG des
entreprises publiques, et même d’anciens cadres du FLN, des mouhafedhs
et d’anciens membres duBureau politique du temps du
parti unique.
Des avantages illimités
Pour illustrer le caractère exceptionnel de cette caisse, il suffit de regarder
de près les avantages qu’elle accorde aux heureux bénéficiaires. Ainsi, un
“cadre supérieur de l’État” peut bénéficier “d'une pension correspondant non
seulement à 100% du dernier salaire perçu, indemnités comprises, mais peut
aussi voir sa pension augmenter au fur et à mesure des revalorisations du
salaire du dernier poste occupé”, écrit Djilali Hadjadj,
journaliste spécialisé dans les questions de retraite.
Un ancien
wali, qui a quitté ses fonctions dans les années 1990, par exemple, perçoit une
retraite équivalant à celle d’un wali actuellement en poste, contrairement à un
retraité du régime général qui garde le montant de sa pension au moment de son
départ à la retraite, majorée très marginalement chaque année. Parmi les
heureux assurés du FSR, certains hauts cadres ont, cependant, plus de chance
que d’autres. Si un wali, un directeur central ou d’autres hauts fonctionnaires
peuvent prétendre à une “super-retraite” au bout de 10 ans de nomination par
décret présidentiel — et moins que cela s’il a dépassé 50 ans —, les ministres
et députés bénéficient d’un traitement plus favorable.
Ainsi, un
ministre peut prétendre à une retraite de cadre supérieur de l’État (environ
320 000 DA) au bout de seulement 18 mois de présence au gouvernement. Plus que
cela, une année après avoir quitté ses fonctions, un membre du gouvernement
continue de percevoir son salaire et garde sa voiture de fonction.
Quant aux
députés et membres du Sénat, ils ont, depuis 2002, un traitement bien
particulier. Le statut qui leur est accordé donne droit à n’importe quel
parlementaire de bénéficier d’une retraite de cadre supérieur de l’État s’il
accomplit deux mandats. Mieux encore, un parlementaire qui fait un seul mandat
de 5 ans, additionné à une cotisation de 15 ans dans une autre caisse du régime
général peut également prétendre à une retraite, à vie, équivalant à
l’indemnité principale d’un député en poste, donc de 270 000 DA. Cette
rémunération augmente en fonction de la hausse de l’indemnité des
parlementaires. À titre d’exemple, un député des années 1990 touche
actuellement une pension équivalant à l’indemnité de base d’un député de
l’actuelle législature.
Parmi les
privilégiés de ce système de retraite, une autre catégorie sort du lot : les
anciens mouhafedhs et membres du bureau politique du
FLN, en fonction du temps du régime du parti unique, bénéficient toujours du
très convoité statut de cadre supérieur de l’État. Ceux qui sont encore en vie
peuvent donc couler des jours heureux avec une confortable pension de retraite
versée chaque mois grâce à l’aide des autres cotisants et surtout à l’argent
public.
Outre les
pensions dorées, ces retraités peuvent même prétendre à un autre privilège : en cas de nomination à une nouvelle fonction, ils
peuvent garder une pension de retraite et bénéficier, en plus, de 40% du
salaire du nouveau poste qu’ils occupent.
Un cumul dont
profitent beaucoup de ces privilégiés de la République. Plus problématique que
ces avantages, la source de financement du FSR est considérée comme étant
opaque. “Conformément à la réglementation qui le régit, le FSR a trois sources
de financement : les cotisations de ses adhérents, la contribution de l’État et
les subventions de l’État, “le cas échéant” (mentionné ainsi dans le décret
portant création du FSR).
Le montant de
cette “contribution de l’État” — contribution qui est en fait la source
principale du financement du FSR — n’est pas rendu public dans la loi de
finances et n'apparaît pas du tout dans le budget de fonctionnement du
ministère des Finances. Si cette contribution est insuffisante pour payer les
retraités du FSR, l’État vient à la rescousse à travers des subventions”,
témoigne Djilali Hadjadj, dans une interview au
quotidien El Watan. Autant dire que ce Fonds reste
géré dans une totale opacité.