HISTOIRE- ETUDES ET ANALYSES- CINEMA ALGERIEN/MANIFESTATIONS
11.10.1961/PARIS
©NACIMA
CHABANI/El watan, dimanche 25 OCTOBRE 2020
Le 11 décembre 1961 est une date historique qui a marqué le début
des manifestations populaires pour l’indépendance du pays.Le
cinéma algérien, avec ses réalisateurs, s’est penché sur cette date historique.
En effet, afin que nul
n’oublie cette période historique sanglante où des centaines d’Algériens sont
morts pour le recouvrement de la liberté de l’Algérie, des réalisateurs
algériens de talent se sont penchés sur ce drame qui ne dit pas son nom.
Armés de leurs caméras, ils
sont revenus sur la genèse de cette histoire tragique. Une conférence par
vidéoconférence portant sur le thème ses «Manifestations du 17 octobre 1961
dans le cinéma de l’immigration» a été animée à Alger par l’universitaire et le
critique de cinéma Ahmed Béjaoui et par le
réalisateur franco-algérien Mehdi Lallaoui. Organisée
par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) en collaboration
avec le ministère de la Culture et des Arts, en commémoration de la Journée
nationale de l’émigration, marquant le 59e anniversaire des massacres du 17
octobre 1961.
L’auteur de l’ouvrage
Cinéma de l’immigration et guerre de libération, Algérie, des batailles
d’images, paru en 2018 aux éditions Chiheb, Ahmed Béjaoui indique que l’Algérie fête un événement sensible et
douloureux à la fois. Les travailleurs algériens sont sortis dans les grandes
villes en Algérie et en France, le 17 décembre 1961 pour le recouvrement de
l’indépendance de leur pays.
Ce massacre est la
résultante de la répression meurtrière, par la police française, d’une
manifestation d’Algériens, organisée à Paris par la fédération de France du FLN.
Comment le cinéma a vécu cet événement par rapport à la révolution
algérienne ? Et quels sont les films qui ont abordé ce sujet
crucial ? Notre interlocuteur affirme que la première tentative était dans
la cellule de Maurice Audin qui s’est constituée en
1957.
Parmi les fondateurs, il y
avait le savant biologiste, le cinéaste et écrivain Jacques Panijel.
Quelques jours après les événements, il a voulu enregistrer toutes les étapes
du massacre du 17 octobre 1961, pour les faire parvenir au grand public mondial.
Il a ainsi rassemblé
tous les documents et les photos nécessaires. La censure impitoyable pratiquée
à l’époque par les autorités françaises en métropole et en Algérie a poussé de
nombreux cinéastes de l’Hexagone à rallier le camp des indépendantistes.
Jacques Panijel a essayé de trouver un réalisateur
français qui puisse réaliser son film Octobre à Paris, mais tous étaient
partis. Cet auteur dramatique et militant politique a été contraint de
produire, lui-même, son film, en 1962.
Ce film documentaire en
question a été censuré en France avant sa diffusion onze ans plus tard. Il aura
fallu attendre vingt ans, éclaire Ahmed Béjaoui, pour
que le premier film algérien sur ces sanglants massacres voit
le jour avec le film Les Sacrifiés de Okacha
Touita.
Il y a eu ensuite Le
Silence du fleuve du réalisateur et écrivain Mehdi Lallaoui
sur la répression sanglante de la manifestation des Algériens à Paris le 17
octobre 1961. D’autres films ont suivi, dont entre autres Les Enfants d’octobre
de Ali Kika en 2000, Hors la loi de Rachid Bouchareb
et Vivre au paradis de Boualem Guerdjou,
sorti en 1998.
Prenant la parole, le
réalisateur franco-algérien Mehdi Lallaoui rappelle
que son film Le Silence du fleuve a été réalisé dans le cadre du trentième
anniversaire des massacres des travailleurs algériens le 17 octobre 1961 à
Paris. «Ce sont des travailleurs avec leurs familles qui sont descendus
massivement dans les rues de Paris pour s’opposer au couvre-feu raciste du
sous-préfet Maurice Papon.
Une manifestation pacifiste,
réprimée sauvagement qui a occasionné des dizaines de morts. Ce film a été fait
simplement pour rétablir justice mais aussi parce que ce sont nos parents qui
manifestaient, il y a quarante ans, dans les rues de Paris. C’est un hommage
aux parents qui se battaient pour la libération de leur pays, pour
l’indépendance». Toujours selon notre orateur, son film Le Silence du fleuve a
été réalisé, aussi, pour
demander justice «parce que nous sommes ici vivants en France. Nous sommes des
Franco-algériens.
Il n’y a pas eu de justice.
Il nous semblait important à travers un film d’organiser en parallèle des
expositions. Ce film était à l’époque inconcevable. D’ailleurs, aucune chaîne
de télévision française n’en a voulu parce que beaucoup disait ce n’est pas possible
qu’au cœur de Paris, on puisse assassiner des Algériens qui manifestaient
pacifiquement. Je rappelle que les Algériens ont été assassiné
par des policiers en tenue.
C’est cela qui est
terrible. Au cœur de la ville lumière, en 1961, dix ans après l’occupation
nazie on puisse assassiner des gens qui manifestaient pacifiquement pur
l’indépendance de leur pays. C’était inconcevable. C’est pour cela que ce film
a été très difficile à monter et à diffuser», explique t-il. En trente ans, ce
film est passé des centaines de fois en France, notamment dans les entreprises
et les associations.
Cette année encore, comme
les précédentes années, le film a été projeté en France, à l’occasion de la
commémoration du 17 octobre 1961. L’histoire de ce drame sanglant est bien
installée en France. En effet, cette tragédie est célébrée, chaque année, par
40 villes de France. «Dans notre association et dans des dizaines d’autres
associations, nous allons à la rencontre d’un public.
Nous avons organisé des
manifestations, des expositions ainsi que des projections de films. Les
enseignants et les étudiants connaissent cette histoire qui est dans quelques
manuels scolaires.» Mehdi Lallaoui rappelle qu’en
2012, à l’occasion du 51e anniversaire de la manifestation, l’ancien président
de la République française, François Hollande, a reconnu la sanglante
répression au cours de laquelle ont été tués des Algériens qui manifestaient
pour le droit de l’indépendance de leur pays.
De l’avis de notre orateur,
les choses ont avancé mais tout n’a pas été dit. «Il faut, martèle t-il, qu’on
puisse nommer qui étaient les assassins parce qu’on parle des manifestations
pacifiques qui ont fait des dizaines de morts. Il faut qu’on puisse réparer.
Il faut qu’il y ait
réparation ? Une des formes de réparation, par exemple, serait de créer la
Fondation pour la fraternité des franco-algériens. C’est l’une des formes de
réparation. Nous, les descendants de ces manifestants du 17 octobre 1961, on
réclame justice mais la meilleure justice, c’est la connaissance et l’histoire
du 17 octobre 1961.»
Le réalisateur Mehdi Lallaoui s’interroge alors : «Aujourd’hui, que reste t-il à
faire par rapport au 17 octobre 1961 ? Il faut ,
selon lui, continuer à se documenter par l’écrit et par la photo de ce qui
s’est passé. Il faut continuer à filmer, à interviewer les témoins directs de
ces événements. Il faut pouvoir encore se documenter parce que d’ici quelques
années, il y aura des révisionnistes qui vont dire que cela ne s’est pas passé
comme cela. Cela existe de tout temps.
Il faut se documenter aussi
parce qu’aujourd’hui, on ne connaît toujours pas le nombre de morts du 17
octobre 1961 et des jours suivants. On parle de dizains, peut-être de
centaines.
C’est une exigence de nous
citoyens des deux pays pour que l’Etat français diligente, même soixante ans
plus tard, une commission pour connaître exactement le nombre de personnes
assassinées. Il faut, encore aujourd’hui, que l’éducation nationale puisse
parler, transmettre aux jeunes cet événement qui est une partie de l’histoire
de France.
On va s’y atteler parce que
l’année prochaine, nous célébrerons le soixantième anniversaire de ces
massacres. Nous comptons bien préparer des publications et des expositions pour
qu’il y ait réparation et justice. Et pour qu’enfin, on puisse construire la
fraternité franco-algérienne. C’est notre souhait», conclut t-il.