VIE POLITIQUE – DOCUMENTS POLITIQUES- LETTRE OUVERTE AU
PRESIDENT DE KAMEL DAOUD, 22/10/2020
LETTRE OUVERTE DE KAMEL DAOUD AU PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE ABDELMADJID TEBBOUNE
Monsieur le président, libérez-les, Libérez-nous,
Libérez-vous
©
D. R.
© KAMEL DAOUD, ÉCRIVAIN/Liberté
, jeudi 22 octobre 2020
Monsieur le président de la République,
Je viens à vous pour une requête, car vous êtes le Président
de ce pays et la personne dont le pouvoir peut aider à l’exaucer. Je dois
d'abord vous dire que je n'ai pas voté le 12 décembre 2019. En revanche, ma
mère l'a fait. Elle y tenait absolument. L'acte et le droit de voter ont une
histoire et un coût à ses yeux.
C'est l'histoire d'une vie. Pour moi,
et beaucoup de ma génération, il est gratuit, acquis, négligé. Comme tant
de belles choses dans ce pays. Notre pays est vaste, plus
vaste que nos vanités.
Il ne se réduit ni à
deux boulevards, ni à une capitale, ni à un Palais. Son histoire est
douloureuse. Son présent nous est parfois illisible. Son futur nous inquiète et
nous engage. À chacun d’entre nous cependant d’en assumer le poids et de
connaître le véritable sien propre : un enfant de l’Algérie, pas son
propriétaire. Ce pays est vaste et ses enfants sont nombreux.
Le malheur nous viendra, encore et encore, lorsque chacun
croira en être l’enfant unique. Le malheur nous vient aussi de notre méfiance :
ceux qui gouvernent finissent par vivre leur responsabilité dans la méfiance
envers la différence.
Et ceux qui s’opposent finissent par croire que détruire,
refuser, tourner le dos, c’est construire et que tout ce qui
vient de l’autre est un mensonge. Nous avons les droits et les maladies
des héritiers. Chacun a l’excuse de blessures et des morts dont il se
revendique. Et chacun a raison.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, je ne crois pas à la
noblesse supposée de l’opposition sans fin et sans imaginaires. Je ne crois
plus aux postures et aux radicalités. Et je ne crois évidemment pas posséder la
vérité à moi seul. Je ne crois pas que Dieu m’appartient ou que les ancêtres
sont les miens exclusifs. Et je ne crois pas que l’Algérie est déjà “nouvelle”
ou qu’elle n’est que celle d’hier, celle des prédateurs en chef.
Nous n’avons que le pays de nos actes, de nos générosités
mais aussi de nos humilités. Je crois qu’une mère de famille, un père de
famille, un laboureur ou un chauffeur ont meilleure vue sur ce pays, par leurs
efforts et leurs luttes, que moi à travers mes mots savants. Je leur dois
l’humilité dans mon exigence et la lucidité dans ce que je peux espérer. Je ne
peux leur proposer ni le chaos ni l’illusion.
Ni ma rébellion, ni ma soumission, ni le désordre, ni de
simples slogans, mais seulement ma fraternité. Aujourd’hui, l’Algérie a besoin
d’un apaisement qui puisse permettre la reconstruction. Si vous ne le trouvez
pas dans ce que disent et font vos adversaires, j’espère que vous en retrouvez
la volonté en vous-même. Votre responsabilité est plus grande que celle de ceux
qui vous disent “non” dans la facilité.
L’Algérie a besoin d’éviter les
oppositions stériles, calculées ou trop enthousiastes, et
d’encourager celles qui construisent. L’Algérie n’a pas
besoin d’en nourrir les premières, ni d’en réprimer les secondes. Notre pays a
besoin d’imaginer l’avenir et pas seulement de le promettre par l’effondrement
ou le verbe, le chaos ou le discours. Mais aussi de continuer son histoire au
lieu de s’y enfermer.
Monsieur le Président, Je ne crois pas au “dégagez
tous”, mais au “engagez-vous tous”. Mais aussi, je ne cède pas à la facilité de
croire que tout va changer en un jour, ni que vous en avez la possibilité
absolue. Mais je crois en ce que je peux tenter, en ce que je peux espérer pour
mes enfants et en la vertu de la générosité muette, sincère. Je crois en la
bonne foi.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, je viens à vous pour vous
demander de gracier ceux qui sont en prison pour leurs opinions, leurs excès,
leurs espoirs, leur foi, leur croyance ou leurs erreurs. Non parce que je pense
qu’ils ont droit à une immunité mais parce que je crois que vous avez le droit
– peut-être même le devoir – de vous consacrer à apaiser ce pays, à guérir
l’image qu’il se fait de lui-même et à éviter à notre pays des combats inutiles
et des victoires illusoires.
Notre pays ne tire pas sa gloire des faux combats ou des
combats fous des uns et des autres, des uns contre les autres. Le 1er Novembre
que nous allons fêter dans quelques jours est une occasion pour rappeler que la
liberté a été notre idéal en attendant que le bonheur le soit aussi.
Il vous appartient, Monsieur le Président, d’unifier ce pays
autour de cet idéal trop bafoué par ceux qui ont gouverné, comme par ceux qui
croient que c’est un droit de saccage et d’exclusion, un droit au chaos ou aux
nihilismes stériles.
Vous êtes Président, Monsieur, par le choix de ceux qui ont
voté et par le courage de ceux qui ont marché contre l’ordre ancien. Vous devez
aux premiers d’honorer la promesse et aux seconds d’honorer leur courage.
Et il me doit à moi, simple citoyen, d’aider, de construire,
de chercher le consensus et la paix, de rêver d’un pays pour tous et pas
uniquement pour moi, de défendre la liberté, mais aussi assumer la
responsabilité, de faire la part du mort et la part du vivant et de creuser mon
chemin humble.
Il est donc temps, Monsieur le Président, que cesse ce
malentendu et que soit fermé ce front inutile. Certains, après votre grâce, y
verront une faiblesse ou un droit ? Une défaite et un recul ?
Il s’agira alors de l’aveu de leur impuissance à imaginer
l’avenir et à aller vers la maturité. D’autres y verront la chance de convertir
la colère en lucidité et responsabilité et de comprendre que la pluralité est
un droit et un devoir. Et vous y aurez l’occasion de donner le sens de la
continuité à nos idéaux.
Je vous demande de gracier, à l’occasion du 1er Novembre,
Yacine Mebarki, Khaled Drareni,
Rachid Nekkaz et d’autres encore : citoyens,
étudiants, militants,... des enfants de l’Algérie, porteurs, chacun à sa façon,
d’un rêve, différemment décliné. Celui qui, un jour, nous fera nous accepter
les uns les autres. Avec toute ma considération