VIE POLITIQUE- OPINIONS ET POINTS DE
VUE- POLEMIQUE Med. HACHEMAOUI/Med. HARBI, OCTOBRE 2020Harbi:
un homme au parcours remarquable et connu (DR)
Dans
un article publié dans la revue “Société politiques comparées”, Mohammed
Hachemaoui s’adonne à son habituelle manie de se présenter comme le seul qui a
compris et en attaquant les autres, tous plus ou moins suspectés de reprendre
la “narration” du régime ou d’en être les “intellectuels organiques”. Dans ce
« texte diffamatoire », la cible privilégiée de Hachemaoui a été le
militant et l’historien, Mohamed Harbi, dont les travaux et le parcours
politiques sont connus qui se voit traiter de presque tous les noms. Voici la
réponse de l’historien aux diffamations de Mohammed Hachemaoui.
Lettre ouverte à Béatrice Hibou
Au sujet d’un texte diffamatoire de Mohammed Hachemaoui
Paris,
le 17 octobre 2020
Madame
et chère collègue,
J’ai
bien reçu votre courriel daté du 9 octobre 2020 accompagné de l’évaluation,
effectuée par le professeur Jean Leca, du texte litigieux de Mohammed
Hachemaoui intitulé « Algeria: From one Revolution to the Other? » et
paru dans le dernier numéro de la revue Sociétés
Politiques Comparées.
Tout
en reconnaissant les « très vives attaques » dont j’ai été l’objet,
Jean Leca estime néanmoins ne pas être convaincu du caractère diffamatoire des
propos tenus à mon encontre.
Je
considère plutôt que la revue que vous éditez se rend complice d’une opération
malveillante qui, sous couvert de science politique, cherche à me dénigrer et à
dénaturer mon itinéraire aux yeux d’un lectorat non initié aux problèmes de
l’Algérie.
En
effet, le libelle de Hachemaoui n’a pas sa place dans une revue scientifique
tant du point de vue méthodologique que de la déontologie.
Au-delà
de ma personne (mon nom apparaît une quarantaine de fois en 69 pages), le
pamphlet de Hachemaoui prend à partie de nombreux intellectuels et
universitaires, en se posant comme rédempteur et redresseur de torts. Bien
plus, son argumentation conspirationniste se fonde sur ses données partielles
et partiales ; son propos tend à inoculer chez un peuple en situation d’éveil
les germes du désespoir ; sa démonstration n’offre aucune piste de réflexion
sérieuse sur l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Il
ne s’agit pas de déconsidérer les premiers travaux de Hachemaoui, d’autant que
j’ai préfacé son livre en 2013, comme je l’ai fait pour d’autres jeunes
chercheurs. En revanche, son obsession notoire pour les services de sécurité
l’a conduit à emprunter une pente glissante et à analyser les événements
récents en Algérie à travers le prisme exclusif de la
« contre-révolution », des manipulations et autres complots.
Une
telle dérive doit interpeller la communauté universitaire et les intellectuels
concernés par le sort de cette société, à moins de penser que l’on peut
véhiculer les thèses les plus obscurantistes sur l’Algérie avec le soutien
d’institutions scientifiques en France.
Occultation de mon itinéraire et de mes
publications
Ainsi,
appuyant son propos à l’aide de la définition de Gramsci, Hachemaoui se plaît à
me présenter à de nombreuses reprises comme « l’ancien intellectuel
organique du FLN » ou comme un « intellectuel organique ». Il
utilise également cette appellation pour caractériser des personnes aussi
différentes que Rachid Boudjedra, Lahouari Addi, Kamel Daoud, Madjid Bencheikh,
Chafik Mesbah, Ihsane El Kadi, Hassan Zerrouki, Arezki Metref, Yasmina Khadra,
Arezki Aït Larbi, Mohammed Bedjaoui, Noureddine Boukrouh, etc.
Que
penser de la falsification éhontée du parcours et des écrits du journaliste
Akram Belkaïd ? Plus généralement, le pamphlet de Hachemaoui dénigre de
nombreuses personnes ou institutions dont il a été proche, comme le
quotidien El Watan.
Il a pourtant été un des principaux collaborateurs de son ancien directeur et a
organisé de nombreuses rencontres publiques avec le soutien de ce journal dont
il dit désormais qu’il est « proche du DRS ». Comment comprendre ?
Hachemaoui
cherche vainement à me présenter comme une caution intellectuelle du régime
algérien en occultant volontairement mon itinéraire (7 années de prison et de
résidence surveillée, sous autorité militaire et policière, 17 ans d’exil, 18
ans de privation de passeport, interdiction de mes ouvrages en Algérie jusqu’à
une date récente, campagnes systématiques de dénigrement, persécution de ma
famille, etc.) ainsi que mes nombreuses publications. Je rappelle, à titre
d’exemple, ma lettre du 22 mai 1960 dans laquelle je donnais ma démission du
poste de conseiller de Krim Belkacem en dénonçant « la conception
policière de l’action politique qui prévaut au sein du FLN ». Ce document
a été publié par mes soins, en 1981, dans Les Archives de la révolution algérienne.
À
ma connaissance, et jusqu’à une période récente, Hachemaoui ne frayait pas avec
les théoriciens marxistes. D’ailleurs, je ne pensais pas qu’en lui prêtant un
ouvrage de Gramsci, il en ferait un tel usage contre ma personne. Plus
fondamentalement, son libelle n’a rien de révolutionnaire au plan politique. En
dehors d’une critique convenue du néolibéralisme, son ambition consiste, d’une
part, à défendre a posteriori le « compromis démocratique » porté
selon lui par Chadli Bendjedid, Abdelkader Hachani, Abdelhamid Mehri et Hocine
Aït Ahmed et, d’autre part, à minimiser les questions posées par l’islamisme.
Un des enjeux fondamentaux en Algérie reste pourtant celui de la réinsertion de
l’islam dans une continuité historique, soulevant des problèmes pour la
reconstruction de la société.
L’exécuteur testamentaire de Jacques Simon
Hachemaoui,
qui n’a jamais travaillé sérieusement sur le mouvement national algérien,
m’accuse d’avoir forgé en la matière un « récit dominant »
(« hégémonique » voire « orthodoxe » selon les passages du
texte), notamment au sujet de mon emploi de la notion de
« populisme » et qui reprendrait, selon lui, les
« anathèmes » staliniens à l’encontre de « Messali Hadj et ses
camarades prolétariens ». De ce fait, il oublie volontairement ma
contribution à la réémergence de Messali dans le débat public depuis la parution,
en 1975, de mon ouvrage sur les origines du FLN.
En
réalité, Hachemaoui se fait l’exécuteur testamentaire de l’historien
controversé Jacques Simon qui a développé une lecture stéréotypée et acritique
du mouvement messaliste, sans parvenir à convaincre les spécialistes de la
question. L’absence de référence aux travaux d’historiens tels que René
Gallissot, Mohammed Guénanèche, Mahfoud Kaddache ou Lemnouar Merrouche, comme
l’usage superficiel des publications pourtant incontournables de Charles-Robert
Ageron, Omar Carlier et Charles-André Julien montrent avec quelle légèreté
Hachemaoui considère l’historiographie de mouvement anticolonialiste.
Car
Hachemaoui, qui m’accuse de « présentisme », oublie seulement qu’il
en est devenu l’un des fleurons. Pour ma part, j’ai utilisé la notion de
populisme, non pas en référence aux débats médiatiques du moment, mais dans le
sens que lui donne Franco Venturi. De plus, il ne suffit pas de présenter
abstraitement l’Assemblée constituante comme la « solution
démocratique » à tous les problèmes de l’Algérie. Encore faut-il
comprendre que ce mot d’ordre, sans stratégie ni contenu réels, se réduisait
pour l’essentiel à sa dimension propagandiste. En tant qu’acteur du mouvement
indépendantiste, j’ai beaucoup de choses à dire sur la façon dont les questions
de fond étaient évacuées par les dirigeants nationalistes, comme en témoigne le
premier tome de mes mémoires politiques paru en 2001.
La crise des années 1990
En
abordant la crise des années 1990, Hachemaoui s’appuie sur des citations pas du
tout contextualisées, et souvent mal sourcées, pour me comparer à l’économiste
ultralibéral Friedrich Hayek qui a soutenu le coup d’Etat de Pinochet en 1973.
Il s’agit donc de me faire passer pour un complice des militaires algériens qui
ont interrompu le processus électoral en janvier 1992.
Quelle
personne connaissant un tant ce peu cette période et mes convictions peut
croire une chose pareille ? Avec Youssef Fathallah, militant des droits
humains, j’ai refusé avec clarté de donner quelque caution que ce soit aux
auteurs du coup d’Etat. Par la suite, Khaled Nezzar m’a envoyé un membre de ma
famille pour me demander de soutenir Mohammed Boudiaf. J’ai exprimé mon refus
catégorique aussi bien à ce cousin qu’à Malek Rédha, un des principaux
négociateurs des Accords d’Evian.
Au
sujet de l’assassinat de Youssef Fathallah, un ami de longue date dont j’avais
fait la connaissance en 1960 au Caire, Hachemaoui, ce nouveau venu sur la scène
publique et trop pressé d’être reconnu, est pris en flagrant délit de
malhonnêteté intellectuelle.
En
effet, il prétend s’appuyer sur un article du Monde daté du 13 avril 1994 pour
m’attribuer des propos qui ne sont pas les miens. Je le cite : « [Harbi]
affirmait ex
cathedra que les islamistes ont tué Fathallah ».
Précisons que ce n’est pas dans cette tribune intitulée « Algérie : la
tragédie d’une démocratie sans démocrates » que j’évoque le cas de
Fathallah. En revanche, une lettre parue le 21 juin 1994 dans le Monde, soit trois jours
après l’exécution de mon ami, se conclut de la manière suivante:
« Il
serait trop facile de faire circuler la rumeur selon laquelle Me Fathallah
aurait été assassiné par d’autres mains que des mains islamistes. Il est temps
que les chefs du FIS et des groupes armées apprennent à respecter l’opinion, à
revendiquer leurs actions, ou à se démarquer des assassins. »
Dans
un contexte politique fluide, il n’aurait pas été sérieux de la part d’un
militant et d’un intellectuel d’attribuer à la légère cet assassinat à qui que
ce soit. L’époque appelait à la prudence et à la nuance, ce qui semble manquer
cruellement à Hachemaoui.
« Essentialisme », Hirak et
ressentiment
Hachemaoui
se réfère à l’un de mes ouvrages, L’Algérie
et son destin. Croyants ou citoyens, paru en 1992, pour m’accuser
également « d’essentialisme » ou d’employer des « arguments
culturalistes »… Autant d’accusations gratuites, lancées sans le moindre
fondement, dans le but de discréditer mes travaux aux yeux de ceux qui n’en ont
pas pris connaissance, mais aussi de s’auto-congratuler, en cherchant à se
placer au-dessus de la mêlée.
Dès
son texte paru en 2018, « Algérie : qui gouverne quelle société politique
? », Hachemaoui propose une relecture fort discutable de l’histoire
algérienne à travers le prisme de la « contre-révolution » dont le
premier épisode remontrait à la période de la lutte anticoloniale et dont la
responsabilité incomberait au FLN. En réalité, sa dernière livraison ne fait
que reprendre cette thèse qui prétend se démarquer de la « narration
orthodoxe » à laquelle je ne suis toutefois pas associé chez lui, en 2018,
mais dont je deviens le chef de file en 2020.
Que s’est-il passé
entre temps ?
L’Algérie
a connu une « rupture historique majeure » avec le hirak, venant
ainsi démonter l’analyse pessimiste de Hachemaoui. Dans son texte, Hachemaoui
fait référence à une déclaration rendue publique en mars 2019 et rédigée avec
Nedjib Sidi Moussa (dont le nom est effacé, dans le plus pur style stalinien).
Il mentionne cette tribune dans son pamphlet par le biais d’un compte-rendu
publié sur le site internet du fils de Khaled Nezzar, Algérie Patriotique,
sous-entendant ainsi une collusion entre ma personne et l’ancien chef
d’état-major qui me dénigre pourtant dans ses mémoires. Faut-il rappeler que
cette déclaration intitulée « l’Algérie est au bord de l’éclosion » a
été reprise par de nombreux journaux de la gauche internationale et traduite
dans plusieurs langues ?
Quel
crédit enfin accorder à une personne qui, dans une interview à La Croix (3 avril
2018) déclarait avec beaucoup d’assurance que l’ancien Premier ministre Ahmed
Ouyahia (qui croupit aujourd’hui en prison) serait le prochain président
algérien ? Deux ans plus tard, toujours dans le même journal, Hachemaoui
affirmait : « le hirak, qui se veut en rupture radicale avec le système,
ne réclame pas la vérité ni ne demande de comptes » (21 février 2020)… Il
faut avoir été sourd et aveugle pour ne pas mesurer, non seulement les limites
de cette dynamique mais aussi les attentes exprimées par la population depuis
février 2019 et l’enthousiasme qu’elle a soulevée.
En
tant qu’intellectuel et militant socialiste, je me serais senti indigne de
laisser cette affaire traitée entre deux personnes. C’est pourquoi je n’ai pas
voulu m’adresser aux tribunaux. Quant à Hachemaoui, je rappellerais le
concernant cette citation de Nietzsche pour qui l’homme du ressentiment nous
dit « n’est ni franc ni naïf ni loyal et droit envers lui-même. Son âme louche,
son esprit aime les recoins, les faux fuyants et les portes dérobées et tous
les endroits dissimulés… »
Pour
moi, cette affaire est définitivement close.
Le
peuple algérien est confronté actuellement à de nombreux défis. Je continuerai
à appuyer ses aspirations, à marcher à ses côtés et à le servir.
Mohammed
HARBI
Bygmalion : il