HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN MICHEL CANESI & JAMIL RAHMANI- « ALGER
SANS MOZART »
Alger sans Mozart. Roman de Michel
Canesi & Jamil Rahmani.
Editions Dalimen, Alger 2013 (Naive
Edition , Paris, 2012) , 456 pages, 850 dinars
Voilà donc un roman, un vrai, à l’écriture
assez originale. Deux auteurs , plusieurs voix.
Au centre du récit et au départ, l’amour , en pleine guerre de libération nationale, de
Louise, la « pied-noir » de « bonne famille » (mère raciste
et Oas, mais père intellectuel libéral) pour Kader,
un étudiant en médecine (à Alger), militant actif du Fln. La fille, influencée
par les idées et les réflexions libérales et humanistes du papa et ,aussi, révoltée par la condition inhumaine faite aux
« indigènes » ,et par les attitudes et comportements racistes de son
environnement immédiat , ne tarde pas à rejoindre le mouvement national. Rien de
plus facile pour elle, belle et rebelle et parlant ,
grâce à son père, l’arabe et le kabyle. Algérienne jusqu’au bout des
ongles !Possédée par l’Algérie, elle s’implique à
fond.
L’indépendance ! Espoirs, jouissances,
jouisseurs, dérives, nuits folles, journées pleines…..tout y passe.
Louise habite les hauteurs d’Alger. Elle
observe, évalue, juge et tranche…sans peur car sans reproches, si ce n’est que
de trop aimer son pays…l’Algérie…et son époux devenu un médecin réputé , mais déjà oublieux des combats passés et des promesses.Au bout de 35 années de mariage, c’est le
divorce…et elle est découvre qu’elle est une « étrangère », avec une
peau qui « ressemble aux façades des immeubles
d’Alger »… « à l’image d’Alger, ruinée », à l’exception de
certains lieux qui ne vieillissent pas , donnant
l’illusion de l’éternelle jeunesse. Comme le Saint Georges, « un
douloureux mirage ».
Autour d’elle, plusieurs personnages hérités
d’hier, se trouvant pour la plupart en France, partis en 62…..et des amis,
nouveaux , jeunes ou vieux :l’homosexuel,un réalisateur ,le jeune à la recherche de son
identité , de son histoire et d’un autre avenir, les racistes, l’acteur raté,…
Les souvenirs, les commentaires, les
observations, les analyses, les événements se croisent et s’entrecroisent
parfois se mêlant harmoniuesement ou amoureusement,
parfois s’entrechoquant.Le tout dans une Algérie qui
a beaucoup changé (évolué ?), tout particulièrement en raison d’une
religiosité exacerbée et d’un arabo-nationalisme borné. ….et avec, en face, une
France qui a beaucoup évolué, tout particulièrment en
raison du bouleversement des mœurs et d’un universalisme mondialisé….Mais qui
laisse une foultitude de questionnements sur les rapports ambigus jusqu’à
l’équivoque entre les deux pays dont celle –ci : « Comment aimer une
nation tortionnaire ? Comment haïr le pays des Lumières ? »
Les Auteurs : Un Algérien et un Français,.
Le premier, médecin anésthésiste et le second médecin
dermatologue, tous les deux en permanence témoins, en direct, de douleurs humaines . Déjà
auteurs, ensemble , de deux romans dont le premier ,
en 2006, Le Syndrome de Lazare (sur l’arrivée du sida en France) a été adapté au cinéma. Le
second livre a été édité en 2010
Avis : Au
départ l’apparence d’un sujet –bâteau. La suite vous
entraîne dans un voyage au long cours , mouvementé
comme on le devine, à travers le temps présent de l’Algérie et à travers une
mémoire originale…Celle d’une « pied-noir » Algérienne plus que les
Algériens , mortellement patriote.
Citations : « Une
relation fondée sur le non-dit survit grâce au silence « (p 65),
« Dans imagine, il y a image et magie : l’exacte définition du
cinéma » (p 72), « Les Algériens d’aujourd’hui ne sont plus ceux de
1961, ils ont perdu le ciment qui les soudait face à l’adversité, ils ont perdu
la fierté farouche face à la sujétion, ils ont perdu la fraternité, ils ont
perdu l’humanité « (p 84), « Quand on est jeune , on idéalise
tout :le premier homme, la première femme, le premier amour, le premier
pays. Ils ont un parfum qu’on pense irremplaçable. C’est une illusion » (p
104), «Culture et pauvreté vont rarement de pair « (p 142),
« C’est drôle, les vieux, ils ont l’impression d’être toujoursce qu’ils étaient, le cerveau et les souvenirs
vieillissent moins vite que leur corps » (p 263), « L’éphémère n’est
là que pour contraindre les créateurs à l’immortalité .
Les cinéastes, les peintres ou les romanciers sont des archivistes. Ils
s’emparent du temps qui passe et le fixent sur la pellicule, la toile ou le papier , ils lui donnent un brin d’immortalité » (p
274).