"Monstre
sacré" du théâtre et du cinéma algériens, Sid –Ahmed Agoumi s'est installé
en France en mars 1994, peu de temps après l'assassinat de Abdelkader Alloula.
Formé à l'Inadc de Bordj El Kiffan (Alger), directeur du Théâtre régional de
Tizi-Ouzou puis directeur de la Culture de la wilaya d'Alger, il est une star
dans son pays et à l'étranger grâce à sa présence dans des dizaines de films et
de pièces de théâtre. Et, depuis son arrivée en France, tout le répertoire
algérien moderne est passsé par sa voix.
Il revient sur les écrans de cinéma algériens en février 2006 avec une
participation au film de Bachir Derrais, en compagnie de Rachid Farès, Dalila
Hlilou et Farida Saboudnji, Gourbi Palace, produit par l'Entv.
© Rajout : Texte de Ahmed ChenikiI (fb, octobre 2020)
II a 80 ans, notre Sid Ahmed national, il est né un certain 5
octobre 1940. Je reproduis ce texte que j'ai déjà eu le plaisir de publier. ……….
« L’éternel jeune homme »
Je ne peux pas du tout imaginer Sid Ahmed ne pas sourire, ni
chercher à faire rire, trouvant facilement une blague qu’il raconte comme s’il
était au théâtre, avec force gestes, mimiques et de forts éclats de rire. Il
donne l’impression d’être toujours jeune, lui qui risque d’ici peu d’attendre
les 78 ans, toujours élégant, cela se comprend, fils de tailleur qui lui
imposait, déjà lycéen, à porter des costumes bien faits, malgré l’étonnement de
ses camarades.
Le théâtre, il l’a dans la peau, ce n’est pas pour rien qu’il
décide de quitter le lycée pour tenter l’expérience de la scène, au grand
désespoir de parents qui préparaient déjà pour lui un métier avec des diplômes.
Il fit des stages qui le préparèrent à ce métier qu’il maîtrise d’une manière extraordinaire.
Avec Sid Ahmed, on peut parler de tout, de Sophocle, Eschyle, Pirandello,
Brecht ou Beckett, il a réponse à tout, lui qui lit énormément et aime la belle
vie, cela va de pair chez ce grand jouisseur devant l’Eternel. Il sourit déjà,
lui qui évoquera avec tendresse et nostalgie ces moments des années 1960-1970
qui lui permirent d’éclater : « C’était extraordinaire, il y avait de grands
hommes de théâtre, nous discutions beaucoup et nous riions énormément tout en
travaillant très sérieusement. Il y avait une grande ouverture. Kateb, Boudia,
Hadj Omar, Alloula, Allel el Mouhib et bien d’autres qui rayonnaient au TNA.
Nous montions des pièces d’auteurs d’ici et d’ailleurs, Pirandello, Goldoni,
Shaw, Brecht, Beckett, Safiri, Kaki, Alloula, Rouiched… Durant les premières
années de l’indépendance, le théâtre algérien a monté Shakespeare, Calderon,
Molière, Goldoni, O’Casey, Brecht et j’en passe. C’était le temps de l’embellie
théâtrale marquée par une extraordinaire curiosité et une inextinguible soif
d’apprendre. Puis, surtout, à partir de la fin des années 80, les choses ont
connu un dramatique déclin à tous les niveaux de l’activité théâtrale ».
Il arrête un moment de parler, regarde le ciel, puis éclate de
rire en se rappelant une anecdote, il se met à la jouer, puis reprend la
discussion comme si de rien n’était. Il rit gentiment très affectueusement aux
dépens de Alloula ou de Kouiret. Comme un enfant, il est resté un éternel
enfant, ce séducteur né qui réussit la gageure d’apprendre le métier chez de
grands animateurs. 110
A l’époque, à Alger, au début des années 1960, beaucoup d’hommes
de théâtre français venaient à Alger animer des stages de formation. Gabriel
Garran était du nombre, Sid Ahmed allait interpréter en 2004 un des rôles
centraux d’une de ses pièces, « L’homme poubelle ». Toujours bien habillé, les
chaussures toujours bien cirées, les yeux rieurs, Agoumi ne tient pas à sa
place, il n’est pas facile de le tenir, lui qui séduit et aime séduire. C’est
le propre du théâtre. Il est constamment en représentation.
Il revient aux premières années de métier et à sa formation,
notamment la mise en scène, certes, il mit en scène quelques rares pièces, mais
ses tentatives étaient très intéressantes, surtout « Fi Intidhar el Mehdi »,
une adaptation d’En attendant Godot » de Beckett. Il parle ainsi des metteurs
en scène et de son passage en France : « Je dois reconnaître que j’ai eu deux
metteurs en scène qui m’ont beaucoup appris. Il s’agit de Mustapha Kateb qui
m’a inculqué l’intelligence du texte et de Allel el Mouhib qui m’a enseigné le
mouvement et le rythme. En alliant les deux expériences, je me suis fait une
sorte de construction qui me permet de mieux appréhender la réalité scénique.
Je ne peux oublier la rigueur de Ziani. Quant à mes rencontres en France, elles
m’ont permis d’approcher de grands metteurs en scène européens. Mais il faut
que je te dise que ce qu’on me propose ici, en France, ne m’enthousiasme guère.
Il y a cette pensée cartésienne qui est parfois synonyme d’embastillement qui vous
rappelle sans cesse vos origines. Acteur, je ne fais que me redire. Se redire,
c’est ennuyeux. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu ici en France des
choses intéressantes. Cette expérience à l’étranger m’a ouvert la voie de la
découverte d’autres univers dramatiques et de nouvelles conceptions de la
scène. J’ai joué Novarina, Matei Visniec, Koltès et bien d’autres qui m’ont
donné à voir une autre conception du monde et du théâtre ».
Il prend une cigarette, la regarde longuement, puis fixe ses mains,
rit un coup, devient subitement sérieux avant de raconter ses années où il
avait tenté des choses qu’il estime importantes. Son visage s’identifie à
l’éclat du soleil quand il raconte l’aventure de « Fi Intidhar el Mehdi ». Le
timbre de sa voix est plein de plaisir enjoué et marqué par une singulière
émotion. Il sait qu’il est le premier à avoir mis en scène un texte de Beckett
dans les théâtres d’Etat, mais il préfère surtout parler des nouvelles
écritures qui l’ont toujours séduites. Il aime découvrir d’autres univers, de
nouveaux mondes : « C’est vrai. L’artiste doit être toujours en quête de
nouveaux styles, de nouvelles écritures et d’univers scéniques originaux. J’ai
été le premier à avoir mis en scène Beckett que j’ai intitulé de façon prémonitoire
« Fi intidhar el mehdi », partant de ces deux devises-phare : « malheur à un
peuple qui a besoin de héros » (maxime brechtienne) et « malheur à un peuple
qui veut attendre son salut d’un autre ». C’est pour cette raison qu’on m’avait
dégommé de la direction du théâtre d’Annaba, parce que le théâtre est un
instrument de combat. Je disais dans la pièce qu’un peuple ne doit son salut
qu’à lui-même. Cette pièce a abordé des problèmes non abordés, tus, mais je
l’ai fait, non pas dans une perspective didactique, mais en suggérant, en
privilégiant la dimension spectaculaire, foncièrement théâtrale. La place de
l’acteur était primordiale. J’ai toujours accordé une importance particulière
au jeu de l’acteur ».
Même s’il est très connu dans le monde du cinéma pour avoir été
distribué dans plus de cinquante films et côtoyé de nombreux réalisateurs comme
Bensalah, Hamina, Riad, Cabrera, Raoust, Louhichi, Rachedi, Bendeddouche,
Lallem…, il préfère surtout le théâtre qui est sa raison d’être, alors que le
cinéma serait son moyen de vivre. Il ne se lasse pas d’égrener les belles
choses des années 1960-1970, essentielles selon lui dans la formation
culturelle de l’Algérie tout en regrettant la régression entamée à partie de la
décennie 80. Pour lui, le théâtre et le cinéma n’ont pas connu l’embellie du
roman entamée à partir des années cinquante, il s’exprime avec une certaine
distance, les gestes deviennent plus discrets et les mouvements moins amples :
« les années cinquante, soixante, soixante-dix par exemple, ont connu une
floraison de bons écrivains, mais le cinéma n’a pas vécu la même situation.
L’Algérie peut être fière d’avoir produit les meilleurs romanciers du Maghreb
et du monde arabe. Très peu d’auteurs se sont intéressés au théâtre. Il y eut,
certes, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Dib mais sa pièce, « Mille hourras pour
une gueuse » ne marque pas les esprits, sa thématique est assez obscure. « Le
cadavre encerclé » de Kateb Yacine est plutôt un long poème dramatique. Nous
l’avions joué en arabe littéraire, ce qui a obscurci davantage le texte, malgré
une belle traduction. L’absence d’auteurs de théâtre a poussé des comédiens à
écrire pour le théâtre, avec des fortunes diverses, certains avec beaucoup de
bonheur comme Alloula, Kaki, Benguettaf, Dehimi, Fetmouche… ».
Oui, il dit tout simplement que les arts du spectacle restent
encore le parent pauvre de la représentation artistique, même si, aime-t-il
ajouter, qu’il y a beaucoup de belles choses et d’excellents auteurs et
metteurs en scène de théâtre et de cinéma comme Alloula, Kateb Yacine, Mustapha
Kateb, Hamina, Allouache, Beloufa…Il sait de quoi il parle, il est considéré
comme l’un des meilleurs comédiens du pays. Il ne craint pas d’évoquer ses
déboires et ses productions « alimentaires », notamment à la télévision. Il ne
sourit plus, il prend un air sérieux avant de poursuivre la discussion : « Je
ne regrette pas d’avoir fait du cinéma et de la télévision. Je regrette
certains films que je n’ai d’ailleurs pas vus. C’est grâce au cinéma et à la
télévision que je me suis fait une petite place dans le cour des Algériens. Le
métier incite l’acteur à cultiver un certain narcissisme et à saisir la
pauvreté de l’univers artistique. Nous avons un sérieux problème d’écriture.
Les bons réalisateurs ne sont pas légion ».
Sid Ahmed ne s’appesantit pas trop sur la télévision, il veut
surtout raconter ses aventures et ses rencontres au théâtre, il sait que c’est
grâce au théâtre qu’il a découvert les jouissances du métier, de l’amour et de
la vie. Pour lui, le théâtre, c’est la passion de vivre intensément le moment
et de dire le monde. C’est aussi un engagement, une certaine manière de dire
les mots et les choses, d’exprimer l’être au monde. Le théâtre serait donc le
lieu de manifestation de la culture de l’ordinaire. Il aime revenir à la Grèce
antique, à Sophocle, Euripide et Eschyle qui constituent, pour lui, les
éléments fondateurs de l’événement théâtral. Il revient à la dimension
politique du théâtre grec, à la nécessité de faire du théâtre sans le
surcharger de slogans et de clichés. Il n’accepte pas l’idée de faire du
théâtre un espace d’illustration de discours officiels, ni un lieu
d’embrigadement. Dire que le théâtre est politique, soutient-il, ne veut
nullement dire le réduire à la politique.
Le théâtre est donc une aventure permanente, un constant
renouvellement, un mouvement perpétuel, il est fondamentalement politique : «
Oui, cela va de soi. L’expérience théâtrale est paradoxale, individuelle et
collective à la fois, littéraire et scénique, éternelle et instantanée. C’est
très complexe. Chacun porte sa vision, ses desseins. A l’époque de la
décentralisation, on mettait toujours en avant l’esthétique théâtrale dans
laquelle s’incruste le politique comme si le théâtre pouvait être réduit à
l’action politique. Tout le monde sait que depuis Aristote et sa « Poétique »,
le théâtre est pleinement travaillé par le politique, son essence est
politique. Il faudrait lire les grands tragiques, Eschyle, Sophocle et
Euripide. Pourquoi donc le sur-politiser ? Drôle de manière d’embastiller
l’univers théâtral. Réduire le théâtre à sa dimension politique, c’est
l’appauvrir, l’affadir, le rendre prisonnier de discours extérieurs et
étrangers à sa vocation ».
Les mots sont précis, les gestes amples et les mouvements
calculés. Le thème de la relation du théâtre et du politique convoque forcément
la question du public. C’est vrai qu’il est très connu dans un pays où on
laisse une certaine marge de liberté au théâtre, ce qui ne semble pas beaucoup
le cas pour le cinéma qui est regardé par beaucoup plus de monde. « C’est une
sorte de soupape de sécurité », ne cesse-t-il pas de répéter conscient de la
réalité de la pratique théâtrale. Plaire en utilisant n’importe quelle forme
lui parait ridicule et dangereux. Mais il n’omet pas d’ajouter que la dimension
spectaculaire est primordiale et que donner à voir du beau tout en « disant »
est fondamental. Il est clair là-dessus, son visage prend un teint rouge, ses
mains deviennent moins mobiles, même si elles esquissent de temps en temps des
figures concentriques. Il parle, son mégot semble brûler ses doigts : « Il
faudrait savoir que le propre du théâtre, c’est le donner à voir. Le public,
trop nourri de cinéma et de télévision, va au théâtre avec une image
singulière, celle de redécouvrir ses constructions imaginaires. Nous sommes
ainsi obligés de concevoir notre esthétique par rapport à la technique
cinématographique. Mais cela ne veut pas dire que nous devrions être
prisonniers des goûts et des attitudes du public. Cette paresseuse posture défigure
le théâtre. Quand on dit, il faudrait répondre à l’attente du public et
réaliser des pièces « comiques » ou des pièces purement « politiques », c’est
soutenir une vision erronée et factice de l’attente du public. Ce choix est
strictement politique. Ainsi, ces gens-là nous demandent d’appauvrir notre
discours pour être au niveau du public, infantilisé et méprisé par ceux-là
mêmes qui cherchent à le rabaisser. C’est la même chose pour le cinéma et la
télévision… ».
La question du public semble le passionner. C’est vrai que toute
entreprise et toute expérience ont été mises en œuvre par rapport à la
réception : du théâtre grec à aujourd’hui en passant par Stanislavski,
Meyerhold, Artaud, Brecht ou Grotowski. Sans public, il ne peut pas y avoir de
théâtre. Certes, il y a des situations exceptionnelles qui condamnent des
artistes et des intellectuels au départ, à quitter leur public naturel pour
tenter, malgré eux, des expériences à l’étranger. Juste après l’assassinat de
Alloula, il prit la décision de vivre en France. Comme pour Boudia, assassiné
en 1973, c’est Sid Ahmed qui va lire l’oraison funèbre de Alloula. Il se
souvient très bien de celle de Boudia : « J’évoque mon hommage, non pas pour me
faire valoir, mais pour témoigner d’un fait important, l’enterrement d’un grand
homme. Ce fut à la demande des acteurs du théâtre qui refusaient que
l’enterrement de Mohamed Boudia se fasse clandestinement comme le souhaitait le
pouvoir de Boumediene dont il était un farouche opposant. Un important
dispositif sécuritaire était installé, des policiers en civil furent déployés
un peu partout. Il faut rendre hommage aux habitants et aux militants de son
quartier, Soustara, qui m’ont encadré et soutenu m’apportant un extraordinaire
courage me permettant de lire mon oraison. Je l’avoue, j’avais la frousse, la
peur arrivait à paralyser tous mes membres. Le soutien des habitants de
Soustara et du frère de Sid Ali Kouiret, Mustapha, grand ami du défunt me fut
d’un grand réconfort. C’est Boudia qui suscita mon éveil à la politique. C’est
lui qui me permit de comprendre qu’en matière d’art, le talent sans conscience
politique était un avatar bourgeois qui ne servait que lui-même. C’est ainsi
que s’éveilla ma prise de conscience qui me donnait ainsi la possibilité de
saisir la vocation sociale et politique du théâtre. Il fut avec le grand
écrivain, Mourad Bourboune, lui aussi exilé après le coup d’Etat du 19 juin
1965, un véritable éveilleur de conscience. Je lui dois pratiquement mon éveil
politique et la nécessité de ne pas mourir idiot. Je n’avais pas évoqué
Mohamed, l’opposant au régime Boumediene. Je n’étais pas audacieux. J’avais
néanmoins dit qu’on avait assassiné notre Che Guevara, à nous tout en insistant
sur le fait qu’il s’était sacrifié pour une cause juste ».
Il parle avec une grande émotion de Boudia, des larmes, la voix
devient lourde, ses gestes s’immobilisent, il reprend vite le fil de la
discussion, évoquant l’apport de cet homme à l’organisation du théâtre en
Algérie, le décret de 1962 portant « nationalisation » des structures
théâtrale, le manifeste, des différents débats sur les orientations du théâtre
et sur de nombreuses autres choses : « Je te parlerais si tu le désires comment
il obligea Mustapha Kateb à lui céder les rênes du théâtre national. Les
acteurs qui le suivirent dans cette entreprise furent Ould Abderahmane Kaki,
Hadj Omar, Nadia Talbi, Alloula, Larbi Zekkal, Hadj Cherif et moi-même. Nous
avions joué la pièce « Les chiens » de Tone Brulin. Mais cela fut de courte
durée, le coup d’Etat de Boumediene a remis en selle Mustapha Kateb. Puis
s’ensuivit l’évasion de Boudia et le reste est connu. ».
Agoumi, dès qu’il s’agit de ces moments de la vie culturelle,
devient très volubile, mais n’oublie pas de donner son avis sur la nécessaire
restructuration de l’activité théâtrale. Il signale à juste titre que les
choses devraient changer d’autant plus que le centre de la ville a changé et
que ces mouvements urbanistiques nécessitent de sérieuses réadaptations des
espaces culturels. Aujourd’hui, dit-il, il faut oser, prendre le courage
d’entreprendre des réformes, pas uniquement, insiste-t-il, au niveau
organisationnel, mais également dans le choix des hommes et des femmes qui
devraient diriger les nouvelles instances : « Les structures régionales étaient
obsolètes dès leur naissance. Nous n’avons fait que reproduire, sans aucune
réflexion, quelques textes législatifs français qui n’ont pas été revisités. Il
fallait les revoir, accordent plus de souplesse et de liberté à l’entreprise et
à la création. Les textes d’aujourd’hui favorisent le fonctionnariat et
négligent la dimension artistique. Actuellement, il faudrait recourir au
mécénat, créer des lieux de théâtre en dehors des structures officielles devant
être au service de l’œuvre, non pas au service des gens qui y travaillent. Le
système politique qui nous régit sent-il la nécessité d’avoir une culture libre
et indépendante ou se contente-t-il d’une culture de représentation ? Dans ce
contexte délétère, les médiocres ne me dérangent que quand ils osent penser. ».
Agoumi qui a dirigé, entre autres structures, le théâtre
régional d’Annaba et de Constantine, le CCI, la maison de la culture de Tizi
Ouzou et le TNA sait de quoi il parle quand il s’agit d’organisation des
espaces de la culture, comme il sait tout ou presque tout de l’activité
théâtrale en Algérie et dans les pays du Maghreb, lui qui a fréquenté Tayeb
Saddiki, El Alej, Ali Benayad… Il est le premier comédien algérien à avoir
interprété un « monologue », « Le journal d’un fou ».
Il se remémore ces moments avec un grand enthousiasme, comme si
la nostalgie le dopait, arrivait à lui apporter davantage d’amour et de
passion. Il aime parler de ce que son départ d’Algérie et son installation à
l’étranger lui ont apporté. Il s’exprime très calmement : « En Algérie, ce que
je craignais, ce n’est pas la mort, mais le fait de vivre la mort au quotidien,
une sorte d’ersatz de la culture de l’ordinaire. Il faut que je vous dise que
ce départ ne m’a absolument rien apporté en tant que formation dans la mesure
où j’ai fait mes écoles en Algérie. Par contre, j’ai découvert d’autres textes
et d’autres auteurs comme Koltès et Pirandello (revisité) montés par de grands
metteurs en scène. Si j’ai trouvé ma place en France, c’est grâce à mes acquis
antérieurs. On ne m’a pas fait de cadeau. C’est vrai, j’ai été confronté à
d’autres expériences, d’autres intelligences et à de nouvelles approches
théâtrales. Avoir toujours les mêmes partenaires, c’est sclérosant. Cette
sortie du pays m’a permis de visiter des lieux ludiques extraordinaires,
d’autres pays où j’ai joué comme le Canada, la Suisse, la Belgique, la France.
J’ai appris comment fonctionne le théâtre dans ces contrées parce que le
théâtre est une merveilleuse entreprise qui exige une remise en question
perpétuelle et un travail infini. »
Il allait ainsi découvrir une autre manière de pratiquer le
théâtre, de vivre et d’aimer davantage le pays. Sid Ahmed poursuit son chemin,
toujours élégant, le rire en bandoulière, un regard très lointain, gestes et
mouvements amples…