AGRICULTURE- OPINIONS
ET POINTS DE VUE- CHASSE (2020)
© Par Slim
Sadki/El Watan, jeudi
8/10/2020
Le
12 septembre 2020, lors de l’installation du Conseil supérieur de la chasse et
du patrimoine cynégétique, le ministre de l’Agriculture et du Développement
rural, Abdelhamid Hemdani, a pris de court beaucoup
de monde en annonçant la levée de l’interdiction de la chasse imposée en 1992
face à la situation sécuritaire et sa réouverture dans 3 jours, le 15
septembre.
Une annonce applaudie par les centaines
de milliers de chasseurs qui réclamaient haut et fort de pouvoir reprendre leur
hobby après qu’ils aient récupéré les armes qu’on leur avait retirées au début
des années 1990 pour les protéger des incursions de terroristes.
Un mois après cette décision, chez les
forestiers, les protecteurs de la nature et même dans les rangs des chasseurs
dignes de ce nom, on continue toujours de s’interroger sur l’opportunité de
cette réouverture impromptue après une fermeture qui aura duré 28 ans. Tout le
monde s’accorde à dire que c’est une décision précipitée, irréfléchie et même
irresponsable. Suspecte.
Pour ou contre la chasse proprement
dite, et indépendamment, pour forestiers, les chasseurs et les protecteurs de
la nature, il aurait fallu au préalable une période de préparation assez longue
pour permettre d’une part la remontée des effectifs de gibiers laminés par le
braconnage et une formation sérieuse et non de circonstance pour les chasseurs
patentés et également les forestier et les services de sécurité, dont seuls les
plus anciens ont gardé quelques souvenirs sur les vieilles procédures.
Pour nos interlocuteurs, quel que soit
leur bord, il ne fait aucun doute que cette décision est politique et qu’elle a
été prise en perspective du référendum pour la nouvelle Constitution. On nous a
rapporté qu’une manœuvre identique avait été entreprise par la sœur d’un
ministre de Bouteflika pour impliquer les chasseurs dans le soutien au 5e
mandat. Des milliers de signatures ont été récoltées de la sorte. Lever
l’interdiction et rouvrir la chasse, alors que depuis des décennies, le pays
est livré aux braconniers de toutes sortes qui écument le pays du Nord au Sud
en employant toutes les armes, les engins et les pièges interdits, c’est donner
un blanc-seing pour achever ce qui reste de la faune. Bien que chasseur et
braconnier soit très souvent la même personne, autoriser de tuer des animaux
légalement, c’est lâcher des dizaines de milliers de nouveau fusils dans la nature.
Les commentaires sont innombrables sur les réseaux sociaux pour s’indigner de
la décision du ministre de l’Agriculture.
Le président de la Commission nationale
pour la protection de l’environnement et le climat, MustapahLahouiri,
une association répartie sur 16 wilayas, a appelé le président de la République
à annuler cette décision qu’il a qualifiée de très grave et a appelé des
protecteurs de la nature à se mobiliser pacifiquement contre cette décision.
Pour lui, le pays a besoin de mettre en œuvre des actions de protection et de
restauration de la faune. A commencer par une période de plusieurs années de
repos biologique pour la remontée des effectifs des populations de gibiers et
la reconstitution des milieux naturels saccagés. Simple à faire : amodier
les terrains sans y chasser et les mettre sous la protection des chasseurs
dignes de ce nom.
Du temps également pour encadrer
efficacement l’activité. Comment, nous dit un forestier de la vieille garde,
faire face à la fois aux braconniers et aux chasseurs patentés avec 4000 agents
des forêts dont les trois quarts sont dans les bureaux. Les 1000 qui
théoriquement sont sur le terrain n’ont aucune expérience en la matière.
Autrefois, les jeunes recrus apprenaient sur le tas avec leurs collègues plus
âgés, mais il y a eu une coupure longue d’une génération.
Les 20 ans ont laissé le champ libre
aux braconniers et le vrai saccage a commencé après la restitution des armes.
«Comme pour le corail», nous dira un chasseur de Annaba.
«Ils se sont vengés aveuglement de leur années de privation.» Cela a conduit à
l’extermination du cerf de Barbarie. Ils ne laissent aucune chance au
porc-épic, au lièvre, à l’hyène et autres espèce rares et protégées même au
plus profond du désert. Autre chose, nous apprennent nos interlocuteurs, en 20
ans, les espaces naturels et les forêts se sont drastiquement réduites par
l’occupation et les incendies. Des routes et des chemins ont été ouverts sans
discernement, faisant fuir les animaux dérangés vers des refuges où ils vont
être maintenant pourchassés impitoyablement.
Le faune, patrimoine naturel national,
espèces protégées ou pas, gibier ou pas, est en extinction. Pour les chasseurs
dignes de ce nom et les protecteurs de la nature, le rôle premier de l’Etat,
c’est de le reconstituer et de lutter énergiquement contre toutes les formes de
braconnage. Après, seulement après, on pourra parler de chasse proprement dite.
La loi n’a
jamais été appliquée
La chasse est réglementée en
Algérie, elle l’a toujours été. Pendant la colonisation et après
l’indépendance. Elle l’a été aussi depuis l’antiquité, régie par des codes
éthiques établis entre les royaumes, les tribus, les communautés. De tout
temps, on a tué des animaux pour se nourrir ou se protéger, à l’origine puis
devenu sédentaire avec la culture et l’élevage, l’homme a tué l’animal sauvage
pour le plaisir, le trophée.
La
première loi sur la chasse date de 1982 dans le flot des textes promulgués au
début des années 1980 sur l’environnement et la protection de la nature. Une
loi (n° 82-10 du 21 août 1982 relative à la chasse) considérée à l’époque comme
rigide – le permis de chasse par exemple valable une seule année et délivré à
des conditions excessives – et inapplicable faute de moyens coercitifs en dépit
de l’omnipotence de l’Etat. Trop protecteur de la nature et déséquilibré en
faveur du gibier, disaient les chasseurs et les «porteurs de fusils», comme on
se plaisait à nommer ceux qui écumaient le pays sans discernement jusqu’aux
confins du désert.
La loi de
2004 (n° 04-07 14 août 2004 relative à la chasse) est une actualisation de
celle 1982 imposée par l’avancée sur la conservation de la biodiversité
apportée par les textes qui ont suivi le Sommet de Rio, notamment celle
relative à la protection de l’environnement dans le cadre du développement
durable de juillet 2003.
Elle a
été promulguée alors que la chasse avait été interdite 10 ans auparavant pour
des raisons de sécurité. Dans les campagnes, les armes de chasse ont même été
retirées à leurs propriétaires pour les protéger des incursions terroristes qui
cherchaient à s’armer. Ce qui par ailleurs a rendu les douars et mechtas plus
vulnérables face aux terroristes. Pour l’histoire, la débâcle des groupes armés
terroristes a commencé lorsque les armes ont été rendues à leurs propriétaires
qui se sont alors organisés en groupe de self défense apportant de la sorte une
aide précieuse aux services de sécurité. Le texte de 2004 fait plus dans le
détail et apporte quelques éléments de modernité, notamment sur la nature des
équipements et des armes et les moyens de capture qui ont évolués. Elle
interdit par exemple les moyens de locomotion motorisés, comme les véhicules,
motos, hélicoptères, aéronefs et autres engins utilisés, soit comme moyen de
rabat, soit comme moyen de chasse.
Les
sanctions sont revues à la hausse, les amendes passent de 1000-5000 DA à
50 000-100 000 DA. Le permis de chasse est valable 10 ans. Il se
trouve que cette loi n’a jamais été appliquée puisque la chasse est interdite
sur tout le territoire national depuis sa promulgation.
La
chasse, c’est-à-dire poursuivre et tuer un animal dans un cadre organisé et
réglementé, mais pas le braconnage qui, malgré l’interdiction stricte de porter
ou de transporter une arme de chasse, a fait des ravages jusqu’à exterminer des
espèces emblématiques comme le cerf de Barbarie dans les forêts du Nord-Est et les gazelles dans les endroits les plus isolés
du Sahara. La question qui se pose avec la réouverture officielle aussi bien
chez les forestiers, les chasseurs dignes que les protecteurs de la nature
est : sera-t-elle respectée avec des milliers de nouveaux fusils lâchés
légalement dans la nature sans pouvoir les contrôler ?