VIE POLITIQUE- DOCUMENTS
POLITIQUES- TEBBOUNE A., ENTRETIEN , « L’OPINION »
(FRANCE), MER 7/10/2020
« L’Opinion organisait mardi
soir, avec l’agence de communication 35° Nord, la web
conférence «Gouvernances, afri-capitalisme et soft power : la nouvelle donne
africaine»
Dans ce cadre, le président algérien
Abdelmadjid Tebboune nous a accordé une interview exclusive, en duplex depuis
Alger, dans laquelle il revient sur les crises politiques en Afrique, en donnant
de précieux conseils à ses pairs du continent » (Pascal Airault)
Abdelmadjid Tebboune a accordé une interview au journal français L’Opinion.
Le président a parlé du Hirak, de la « confiance entre les Algériens et
les institutions », des arrestations de militants et de journalistes et
sur la jeunesse algérienne. Il a également été interrogé sur la situation en
Libye, au Mali et sur la révision constitutionnelle.
A. Tebboune a d’abord été interrogé sur le
« rétablissement de l’autorité de l’Etat » après « des années de
gestion folklorique qui tenait de la république bananière » sous Abdelaziz
Bouteflika, dont il a été ministre de l’Habitat. Le président a rappelé que le
Hirak « béni », « protégé par l’armée et les services de
sécurité », a mis fin à la « comédie » qu’était la préparation
d’un cinquième mandat. « Ses représentants avaient plusieurs doléances : l’arrêt
du processus électoral, la fin du quatrième mandat, un changement radical de la
gouvernance… « , a-t-il déclaré, affirmant que
les « élections du 12 décembre 2019 sont les premières
élections propres et transparentes ». Le président a a rajouté « avoir procédé à des
changements dans tous les corps de l’Etat pour montrer que le changement était
radical au niveau de la gestion locale, régionale, nationale ».
« Nous nous sommes attelés à fournir les efforts pour
que l’avant-projet de Constitution soit le reflet réel de la demande
populaire de changement, comme je m’y étais engagé durant la campagne », a
rajouté M. Tebboune.
Interrogé
sur les arrestations de militants politiques et de journalistes, M. Tebboune a
répliqué qu’une « République qui cherche à entamer une vraie
démocratisation de la vie publique tient compte de l’avis de la majorité tout
en respectant les avis minoritaires. Il y a des ONG qui sont stigmatisées pour
leur accointance, leur manière de voir les choses, leur négativisme. D’autres sont
très respectables et nous comptons sur leur avis », a-t-il dit.
Pour le chef de l’Etat, « il n y’aura pas de
répression mais de la protection de l’ordre public ». « Quand il y a
violation du droit du citoyen à la sérénité et à la vie paisible, l’Etat doit
intervenir », a-t-il indiqué. A
propos des arrestations de militants, il a rajouté que
celles-ci « ne sont pas faites sur la base des idées, des slogans ou le
fait d’être opposant… Aucun journaliste n’a été arrêté pour le fait d’être
journaliste (…) Seulement, le fait d’être journaliste ne donne aucune immunité
concernant l’atteinte à l’ordre public », argumente-t-il.
Le
président a par la suite été interrogé sur la la place de la jeunesse dans la
vie politique et économique. « Samedi, j’ai commencé à concrétiser ce
changement (« générationnel », NDLR) afin de créer une nouvelle
génération d’entrepreneurs, de permettre aux jeunes de s’émanciper
économiquement, de ne pas être obligé de montrer patte blanche à tel ou tel
oligarque », a-t-il déclaré. Abdelmadjid Tebboune fait référence au
lancement du Fonds de financement des startups et de ses engagements au
profit des porteurs de projets. « Les startups algériennes
deviennent une réalité », a-t-il ajouté.
Sur
le plan politique, Tebboune dit « s’être engagé à introduire le maximum de
jeunes au niveau des instances élus, y compris au sein de l’Assemblée
nationale. Ils seront là pour représenter le peuple de manière plus moderne.
Les jeunes sont restés honnêtes, propres et n’ont pas répondu aux sirènes des
oligarques. A ce titre, ils méritent de gérer le pays avec l’aide et les
conseils de leurs aînés », a-t-il affirmé. Si le président a nommé à son
élection quelques ministres relativement jeunes, notamment dans le domaine des
télécommunications, des startups et de la Jeunesse et des Sports,
l’introduction de jeunes au niveau des instances élues dépendent
notamment des partis politiques. « J’espère
avoir une majorité de jeunes aux assemblées nationales, régionales, au niveau
des wilayas et des municipalités. Si les partis présentent des jeunes, c’est
une excellente chose. La société civile peut aussi présenter des jeunes :
enseignants, magistrats, avocats, universitaires. Nous sortons 250.000 universitaires
par an », a-t-il déclaré.
Interrogé
sur bouleversements politiques ont eu lieu en Afrique depuis 2011, M. Tebboune
a affirmé que l’Algérie a eu « son printemps en 1988. « La société
s’est métamorphosée, le pouvoir aussi. Le multipartisme a aidé à l’introduction
de nouvelles idées. Le pays a commencé à sortir de l’économie socialiste et
administrée ». Il évoque un « dérapage en 1992 et cette démocratie
débutante a été « squattée » par un mouvement islamiste ».
Le Haut conseil de sécurité (HCS) avait décidé, le 12 janvier
1992, d’annuler le second tour prévu pour le 16 janvier, à la suite de la
victoire, au premier tour, le 26 décembre 1991,
des islamistes du Front islamique du salut (FIS) avec 188 siège. « Nous nous
prévalons de l’exception au Maghreb, en Afrique et dans le monde arabe. Nous
sommes le seul pays qui s’est libéré au prix d’une guerre très longue et très
coûteuse puis d’une révolution qui a rejeté presque toute l’organisation
laissée par l’ex-colonisateur », a-t-il ajouté.
« A
la fin des années 2012-2014, on a revécu les mêmes déviations avec un pouvoir
personnel adossé à la kleptocratie qui s’est emparée des richesses du pays.
Cela a donné le « hirak béni » du 22 février. Les pays maghrébins ont
fait leur mue, le reste de l’Afrique est resté malheureusement sur l’héritage
colonial », estime M. Tebboune. A
propos de la situation au Mali, il estime que la
« crise est triple ». « Une crise politique, de remise en cause
presque générale de la gouvernance – telle qu’elle était exercée par le
président Ibrahim Boubacar Keita – doublée par une fragilité économique et
sociale extrême », explique-t-il.
Il
affirme que « la solution malienne est à 90 % algérienne. C’est une vérité
géographique et historique. Depuis leur indépendance et la nôtre, il n’y a pas
un trimestre où l’Algérie ne s’est pas occupée à régler des contentieux
ethniques et géographiques. Lorsque j’étais préfet dans une région limitrophe
du Mali, j’avais des contacts et des déplacements fréquents avec le gouverneur
de Gao et de Tombouctou », a-t-il témoigné. « (…) La solution réside
dans les accords d’Alger. Concernant la
Libye, le chef de l’Etat estime que « la crise se traduit par un Etat en
dehors de ses limites territoriales où il n’y a pratiquement plus
d’institutions, dans un pays sans réel héritage institutionnel avant la
révolution ». « Pour reconstruire la Libye, il faut commencer par
bâtir la légitimité populaire. Il faut donc organiser des élections, quitte à
le faire d’abord région par région », estime encore M. Tebboune.
« Ensuite, la démarche consistera à reconstruire toutes les institutions :
Assemblée nationale, élection d’un Premier ministre, peut-être même d’un
président de la République ».
Sur
la révision constitutionnelle, dont la campagne référendaire débute ce mercredi
07 octobre 2020, Abdelmadjid Tebboune a souligné « les conséquences de ces
prolongements successifs » de mandats présidentiels via des révisions
constitutionnelles. « Je m’interdis
de juger mes pairs et ne jette la pierre à personne (…) Le président Zeroual
avait fixé une limite à deux mandats. Moi j’y tiens personnellement, aussi bien
pour la présidence que pour le Parlement. Dix ans, c’est suffisant pour
exprimer ses idées, développer son schéma de développement politique »,
a-t-il déclaré.
Tebboune,
qui rappelle que la « Constitution est un document sacré », affirme
que « plus personne ne pourra toucher la Constitution pour [réaliser] un
troisième mandat ». Une affirmation déjà faite par l’ex-Premier ministre,
Ahmed Ouyahia, lorsqu’il présentait la révision constitutionnelle de 2012, qui
a réintroduit la limitation des mandats présidentiels à deux exercices dans son
article 74. Instauré dans la Constitution de 1996, le principe avait été amendé
en 2008 par le président Abdelaziz Bouteflika, lui permettant ainsi de se
représenter à un troisième mandat en avril 2009, puis à un quatrième en avril
2014. « S’agissant des révolutions
récentes, les pays maghrébins comme la Tunisie ont fait leur mue. Nous avons
fait la nôtre. Le reste de l’Afrique est malheureusement resté sur l’héritage
colonial. La misère, la pauvreté, la non-structuration réelle des Etats s’est traduit par une certaine fragilité dans la gouvernance. Je
souhaite personnellement que ce qui s’est passé au Mali ne soit pas le début
d’un Printemps africain », a-t-il ajouté.
Le
président Tebboune a de nouveau exprimé sa « confiance en le président
Macron, en son raisonnement, en sa probité, sa manière de voir les choses. Nous
nous entendons très bien sur beaucoup de sujets même s’il y a des lourdeurs qui
le freinent, de temps en temps », a-t-il dit.
Concernant
les relations bilatérales, « il est allé assez loin. Par rapport à la
gestion de la Libye et du Mali, les visions sont assez proches. Nous, notre
vision est purement fraternelle. Nous n’avons aucune ambition géopolitique ou
économique mais de sauvetage de nos pays frères. La vision, qui ne tient pas
uniquement au président de la République française, est peut-être une vision de
puissance, d’ex-puissance coloniale », a-t-il estimé. « Mais l’objectif est le même: c’est de stabiliser le
Mali, de l’aider à éradiquer le terrorisme. On peut travailler ensemble sans
que les actions des uns soient antonymiques à celle des autres. En partenaires
égaux – et je maintiens égaux », a conclu M. Tebboune.
Réfugiés: l’Algérie critique « le sous
financement » du HCR en Afrique
Par
Merouane Mokdad
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