CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN
HEDIA BENSALHI – « L’AGONISANT »
L’agonisant. Roman de Hedia Bensalhi.
Editions Frantz Fanon, , Boumerdès, 2020, 197
pages, 700 dinars
Ce sont, en fait,
deux histoires , l’une lointaine, l’autre assez proche qui se croisent et
souvent se mêlent pour décrire une seule et même situation…..frisant, bien
souvent, dans une atmosphère, surréaliste et presque toujours noire, de liberté et de répression……. de
« révolution culturelle et artistique »
La première, la
cause ou la source (c’est selon !) s’est déroulée en Autriche, à Vienne,
juste avant la première guerre mondiale, avec Egon Schiele (et son modèle et
amante Wally)…..un peintre et dessinateur – fan de Gustave Klimt, le peintre ,
figure clé de l’ Art nouveau viennois -
qui se met, avec des amis à « casser » les codes
classiques et petits bourgeois de le peinture…..et à développer un graphisme
d’une exceptionnelle tension , notamment dans l’érotisme et la morbidité , ce
qui en avait fait un maître de l’expressionnisme.
La seconde se
déroule en Algérie, dans une ville de l’Ouest algérien, juste avant le Hirak (je suppose ) avec Hamid, un peintre ,enseignant
(pour faire plaisir à ses parents) qualifié de « farfelu et
évaporé » par ses beaux parents,
libre penseur, adepte de la subversion (culturelle) et
poète qui, en compagnie de son
épouse , muse et amante , Louisa, marqué par l’histoire d’Egon et une copie
saisissante du portrait de Wally par Egon en sa possession, avec quelques amis aussi engagés que lui
dans la « révolution » artistique
(les « activistes de l’esprit » , les « agitateurs
d’idées » dont les échanges permettent la réflexion, l’innovation puis
l’émergence de leurs mouvements respectifs)
, font face à l’incompréhension d’une société « travaillée »
par le conservatisme, la religiosité exacerbée et la bureaucratie. Une société
dont la dynamique est en berne : « les universitaires ne produisent
rien de transcendant et les artistes ne travaillent que pour leur propre
gloire. La nouvelle bourgeoisie est plus préoccupée par l’instauration de
l’écart financier entre elle et cet agrégat inculte ; elle se construit
son cocon douillet… ». Une incompréhension… qui va jusqu’à la
répression des « Rencontres » programmés (des peintres et des
poètes, les éternels laissés –pour compte et écorchés) avec les publics ,
en public … la prison…..Le dialogue interdit (alors que « même les
arbres communiquent et prennent soin les uns des autres ») !
L’ « assassinat » judiciaire
programmé de la créativité et de l’originalité ! Le nivellement par
le bas et le « rien » !Le drame d’une
société aux multiples contradictions qui truandent l’espoir, le plombe.
« Aucune perspective d’épanouissement, rien ne bouge, aucune
transcendance… une médiocrité instaurée et admise pour éviter les
remous…….» .Des larves partout…..dans un pays qui
agonise.
L’Auteure : Née à Ténès. Master en littérature
(Alger) et Dea en didactologie
des langues et des cultures (Paris III) , enseignant et, accessoirement, photographe. Son premier roman , « Orages » , a
été prix Yamina
Mechakra 2019 (langue française)
Extraits : « L’ancienne clé de la
maison de mon grand-père est magnifiquement réalisée, un vrai travail d’artisan
passionné, comme il disait, mais elle ne sert qu’à ouvrir une porte physique,
matérielle ! Pas les cerveaux ! » (p 37), « Le mythe et le
conte ne peuvent pas devenir obsolètes…Ce sont des paraboles du dépassement de soi , ils servent à rappeler la nature humaine et ses
surpassements possibles. Derrière ces histoires émerge toujours une certaine
façon métaphorique de saisir le monde. C’est cela ma modernité :
comprendre l’intemporalité des situations humaines. » (p 76)
Avis : Il faut le terminer pour
comprendre la forte dose philosophique……et le dur, le très dur combat des
« révolutionnaires » de la culture et des arts.
Citations : « Une fois qu’un
peuple, s’abandonnant à la mollesse, goûte de la mendicité, avec complaisance
et impudeur de surcroît, c’en est fait pour lui :car
en retour, il vomit sa valeur dont il digérait la vertu » (p 24),
« Sans le foisonnement des mots libres pour construire un raisonnement ,
la pensée complexe restera entravée ! Elle devient même impossible. Or, il
n’y a pas de pensée critique sans pensée de base » (p 28), « Le
« Système » , ce n’est pas un homme, c’est
un tout ! C’est une conspiration !C’est un
principe de fonctionnement !C’est une construction de l’esprit » (p
95), « Les mots doivent être libres, sinon la pensée ne l’est pas,
puisqu’ils la reflètent. Les mots, les langues, ce sont des outils de la
pensée, pas des trophées » (p 126), « La langue qui ne sert pas à
émanciper l’esprit construit des cadavres ambulants » (p 127)