Le 19 septembre 1958, l’Algérie
combattante proclamait à partir du Caire la naissance de son premier
Gouvernement par la voix de son président, Ferhat Abbas. Retour sur cet acte
fondateur.
Ferhat Abbas,Président
Belkacem Krim, Vice-président et Ministre des Forces armées
Ahmed Ben Bella, Vice-président
Hocine Aït Ahmed, Ministre d’Etat
Rabah Bitat, Ministre d’Etat
Mohamed Boudiaf, Ministre d’Etat
Mohamed Khider, Ministre d’Etat
Lamine Debaghine, Ministre des Affaires extérieures
Mahmoud Chérif, Ministre de l’Armement et du Ravitaillement
Lakhdar Bentobbal, Ministre de l’Intérieur
Abdelhafid Boussouf, Ministre des Liaisons générales et des
Communications
Ahmed Francis, Ministre des Finances
Abdelhamid Mehri, Ministre des Affaires nord-africaines
M’hamed Yazid, Ministre de l’Information
Benyoucef Benkhedda, Ministre des Affaires sociales
Tewfik el Madani, Ministre des Affaires culturelles
Lamine Khène, Secrétaire d’Etat
Omar Oussedik, Secrétaire d’Etat
Mustapha Stambouli, Secrétaire d’Etat
Ferhat Abbas (1899-1985), à l’âge de 59 ans, fait figure
d’ancien, de sage. Il vient de l’UDMA (Union Démocratique du Manifeste
Algérien) et non du courant principal du Mouvement national, du PPA (Parti du
Peuple Algérien) qui a formé la plupart des cadres de la Révolution, mais c’est
lui que la Direction de la Révolution décide de porter à la tête du premier
Gouvernement de l’Algérie en lutte. Sa nomination marque l’apogée d’un parcours
militant national entamé dans les années 1920 dans le mouvement étudiant. Il
sera notamment président de l’AEMAN (Association des Etudiants Musulmans d’Afrique
du Nord) de 1928 à 1931. Ferhat Abbas rejoint le FLN en avril 1955. Il
fait partie du CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne) formé par le
Congrès du FLN d’août 1956, et il rejoint le CCE en 1957. A l’issue de son
congrès, le FLN s’était doté d’un organe de direction, le CNRA, dont émanait
une structure exécutive, le CCE (Comité de Coordination et d’Exécution),
composé de Ramdane Abane (1920-1957), Belkacem Krim, Larbi Ben M’hidi
(1923-1957), Benyoucef Benkhedda et Saad Dahlab (1918-2000). Le CNRA de
1957 élargit la composante du CCE où figurent dorénavant Ramdane Abane, Ferhat
Abbas, Belkacem Krim, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf, Mahmoud Cherif,
Lamine Debaghine, Abdelhamid Mehri et Amar Ouamrane (1919-1992).
Belkacem Krim (1922-1970) est déjà depuis longtemps, et bien avant
le 1er novembre 1954, une
légende de la résistance nationale au colonialisme. Il est membre des Six (aux
côtés de Mohamed Boudiaf, Mostefa Benboulaïd (1917-1956), Larbi Ben M’hidi,
Rabah Bitat et Mourad Didouche (1927-1955)) qui décident du Premier novembre et
qui forment la première Direction du Front de Libération Nationale. Il sera le
premier responsable de la Zone 3, un des six congressistes de la Soummam (avec
Ramdane Abane, Larbi Ben M’hidi, Lakhdar Bentobbal, Amar Ouamrane et Youcef
Zighoud (1921-1956), penseur et chef de l’Offensive du 20 août 1955 qui marque
le véritable début de la guerre), et membre du premier CCE ainsi que de celui
auquel succédera le GPRA.
Ahmed Ben Bella (1916-2012), responsable de l’OS
(Organisation spéciale) pour l’Oranie, a remplacé à Hocine Ait Ahmed à la tête
de l’Organisation en 1950, qui en a été injustement évincé dans les remous de
la crise dite «berbériste» de 1949. Cette crise avait sérieusement ébranlé le
PPA et Hocine Ait Ahmed qui ne pouvait pas être suspecté de berbérisme en a
pourtant été une « éminente victime collatérale ». Ahmed Ben Bella ne
possédait pas la même légitimité politique que Hocine Ait Ahmed, mais il avait
pour lui une expérience militaire prestigieuse acquise dans les rangs de
l’armée française pendant la Deuxième guerre mondiale. En outre, son séjour en
Egypte, puis, notamment, le détournement du 22 octobre 1956, lui assurent une
reconnaissance et des sympathies politiques et médiatiques en France et dans le
monde arabe.
Hocine Ait Ahmed (1926-2015), membre de la
Direction du PPA/MTLD, adjoint puis successeur de Mohamed Belouizdad
(1924-1952) comme chef de l’OS qui avait été créée en 1947 par la Direction du
PPA pour préparer la lutte armée, rédacteur (à l’âge de 22 ans !) du
lumineux «rapport de Zeddine» qui lui avait été commandé par Hocine Lahouel
(1917-1995), Secrétaire général du PPA/MTLD, et présenté en décembre 1948 à un
Comité central élargi du parti. A partir du Caire où il s’est exilé en 1952, il
déploie une intense activité diplomatique qui propage, de Bandung à New-York, à
travers le monde, la cause de la lutte des Algériens pour leur indépendance.
Hocine Ait Ahmed est l’auteur de la proposition de constituer un Gouvernement
provisoire, envoyée au CCE début 1958 alors qu’il est emprisonné avec Ahmed Ben
Bella, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf (1917-2007) suite à
l’arraisonnement de l’avion qui les transportait le 22 octobre 1956 de Rabat à
Tunis où ils devaient participer à une réunion maghrébine avec le Président
tunisien, Habib Bourguiba, et le Sultan du Maroc, Mohamed V. L’idée de
constitution d’un Gouvernement algérien sera reprise par la Conférence
maghrébine de Tanger d’avril 1958 dans les termes suivants : «La conférence
recommande la constitution, après consultation des gouvernements tunisien et
marocain, d’un Gouvernement algérien.»
Rabah Bitat (1925-2000) est militant PPA dès son plus jeune âge.
Membre de l’OS, il participe à la réunion des «22» (Mokhtar Baji, Othmane Belouizdad,
Ramdane Ben Abdelmalek, Ben Mostefa Benaouda, Mostefa Benboulaïd, Mohamed-Larbi
Ben M’hidi, Lakhdar Bentobbal, Rabah Bitat, Zoubir Bouadjadj, Slimane Bouali,
Ahmed Bouchaïb, Mohamed Boudiaf, Abdelhafidh Boussouf, Mourad Didouche,
Abdeslam Habachi, Abdelkader Lamoudi, Mohamed Mechati, Slimane Mellah, Mohamed
Merzougui, Boudjemaâ Souidani, Youcef Zighoud) réunis en juin 1954 par Mohamed
Boudiaf au domicile de Lyès Derriche au Clos Salembier, en vue de lancer la
préparation de l’insurrection. Il fait partie du groupe des Six qui décident de
déclencher la Guerre de libération le 1er novembre
1954. Premier responsable de la Zone 4 (Algérois), il est arrêté en 1955 et
sera emprisonné pour la durée de la guerre.
Mohamed Boudiaf (1919-1992), militant PPA, responsable
de l’OS pour le Constantinois, membre du CRUA avec Mostefa Benboulaid, Mohamed
Dekhli et Ramdane Bouchebouba. Le CRUA est une initiative de Hocine Lahouel et
Mohamed Boudiaf en vue de prévenir la scission du PPA/MTLD en tentant de le
réunifier dans la perspective du lancement de l’action révolutionnaire armée.
Mohamed Boudiaf est désigné par les 22 (qui en fait élisent à bulletin secret
Mostefa Benboulaïd comme coordinateur du groupe, lequel choisira de se désister
en faveur de Boudiaf qui est l’initiateur et la cheville ouvrière du processus
en cours) pour organiser le déclenchement de la Guerre de libération.
Coordinateur du groupe des Six, rédacteur, avec Mourad Didouche, de la
proclamation du 1er novembre,
il joue un rôle éminent et décisif dans la préparation du 1er novembre et le déclenchement de la
Révolution. Il est, lui aussi, emprisonné depuis le détournement du 22 octobre
1956.
Mohamed Khider (1912-1967), militant de l’ENA (Etoile
Nord-Africaine) dans les années 1930, cadre du PPA/MTLD, élu en 1946 député
MTLD d’Alger à l’Assemblée nationale française, il s’exile au Caire en 1951 où
il devient l’adjoint du responsable de la section algérienne du Bureau du
Maghreb arabe, Chadli Mekki, avant de le remplacer un an plus tard. Il fait partie
depuis 1954 de la Délégation extérieure du FLN au Caire avec Hocine
Ait Ahmed et Ahmed Ben Bella.
Lamine Debaghine (1917-2003), ancien dirigeant du PPA
qu’il intègre en 1939, de facto son premier responsable dans les années 1940,
en l’absence de Ahmed Messali, emprisonné ou exilé, le Dr Lamine Debaghine est
une grande figure du PPA/MTLD. Il fait partie avec Messaoud Boukadoum
(1910-2007), Djamel Derdour (1907-2007), Mohamed Khider et Ahmed Mezerna
(1907-1982), des députés MTLD élus à l’Assemblée nationale française en 1946.
Comme Hocine Ait Ahmed, il est évincé de la Direction du parti à l’occasion de
la crise de 1949. Il décline l’offre du FLN de le porter à sa tête en 1954.
Comme de nombreux dirigeants nationalistes connus des services de police, il est
arrêté après le déclenchement de la Révolution. En 1955, il rejoint au Caire la
Délégation extérieure du FLN et contribue dès lors à son action politique et
diplomatique.
Mahmoud Cherif (1912-1987) est militaire de formation. Il est aussi
un vétéran de la Deuxième guerre mondiale. Il est militant UDMA jusqu’à ce
qu’il rejoigne le FLN et le maquis en 1955. En 1956 il est officier de l’ALN en
Wilaya 1 et en devient le premier responsable. En 1957, il est membre du CNRA
et du CCE.
Lakhdar Bentobbal (1923-2010) s’engage à l’âge de
17 ans dans les rangs du PPA. Membre de l’OS et clandestin dans les Aurès après
la dissolution de l’Organisation, il fait partie du Groupe des «22». Le 1er novembre 1954, il est avec Mourad
Didouche et Youcef Zighoud, un des premiers responsables du FLN en Zone 2. Sous
l’autorité de Youcef Zighoud, il est un des principaux chefs de l’offensive du
20 août 1955. Un an plus tard, le 20 août 1956 il est un des six congressistes
de la Soummam et devient à l’issue de ce premier congrès du FLN, membre du
CNRA. En septembre 1956 il succède à Youcef Zighoud à la tête de la Wilaya 2. A
l’issue du CNRA de 1957, il devient membre du CCE avec la responsabilité de
l’Intérieur.
Abdelhafid Boussouf (1926-1980) milite dès son plus
jeune âge au sein du PPA. Membre de l’OS, il participe à la réunion des «22».
En 1956, il devient membre du CNRA et il succède à Larbi Ben M’hidi à la tête
de la Wilaya 5 après avoir été son adjoint. Le CNRA de 1957 le désigne comme
membre du CCE.
Ahmed Francis (1912-1968) commence son parcours militant au sein
de l’AEMAN à Paris où il effectue ses études de médecine, et le poursuit dans
les AML (Amis du Manifeste et de la Liberté). Dans le contexte de la répression
qui s’abat sur le peuple algérien en mai 1945, il est arrêté et interné dans un
camp du Sud. Très proche de Ferhat Abbas il sera avec lui, et avec, notamment,
Ahmed Boumendjel (1908-1984) et le Docteur Cherif Saadane (1893-1948), membre
fondateur de l’UDMA en 1946. Désigné membre du CNRA de 1956, il rejoindra
le Caire cette année-là et effectuera alors de nombreuses missions politiques
et diplomatiques pour le FLN. En avril 1958, la Conférence de Tanger, qui
réunit les représentants de l’Istiqlal marocain, du Néo-Destour tunisien et du
FLN, le nomme au Secrétariat permanent chargé d’assurer l’exécution des
décisions de la conférence.
Abdelhamid Mehri (1926-2012) a également
participé à la Conférence de Tanger comme membre de la délégation FLN présidée
par Ferhat Abbas. Abdelhamid Mehri est militant du PPA/MTLD, il devient membre
de son Comité central en 1953. Après le déclenchement de la Révolution, il
entre en clandestinité à Alger, jusqu’à ce que la Direction du FLN lui demande
au printemps 1955 de rejoindre la Délégation extérieure. Il est membre du CNRA
de 1956 et devient membre du CCE après le CNRA de 1957.
M’hamed Yazid (1923-2003), militant PPA depuis son jeune âge. Il
est arrêté en 1948 et condamné à deux ans de prison. Il devient membre du
Comité central du PPA/MTLD en 1951. Envoyé en mission au Caire par le CRUA, le 1er novembre l’y surprend. Il
s’adjoindra alors à la Délégation extérieure du FLN et accomplira un important
travail politique et diplomatique, notamment à l’ONU. Il est membre du premier
CNRA.
Benyoucef Benkhedda (1920-2003) adhère au PPA en
1942. Il devient membre du Comité central du PPA/MTLD en 1947 et son Secrétaire
général en 1951. Il rejoint le FLN en 1955 et travaille directement avec
Ramdane Abane. Le congrès du 20 août 1956 le désigne comme membre du CNRA et du
CCE. Avec Larbi Ben M’hidi et Ramdane Abane, ils organisent et dirigent la Zone
Autonome d’Alger, et ce, jusqu’à l’arrestation et l’assassinat de Larbi Ben
M’hidi en mars 1957.
Tewfik el-Madani (1898-1983) effectue toute sa
scolarité à la Zitouna de Tunis. Il prend part à la lutte anticoloniale du
peuple tunisien, prône la lutte armée, et sera emprisonné de 1915 à 1918. En
1920 il est un des fondateurs et un des dirigeants du parti du Destour. En 1925
il est expulsé vers son pays d’origine. En 1931 il est un des membres
fondateurs de l’Association des Oulémas d’Algérie dirigée d’abord par
Abdelhamid Ben Badis (1889-1940), puis par Bachir el-Ibrahimi (1889-1965). En
1956 il rejoint le FLN et fait partie de son premier CNRA.
Lamine Khène (1931-) devient militant du PPA à l’âge de 15 ans.
Etudiant en médecine, il milite à l’AEMAN puis à l’UGEMA dont il est un des membres
fondateurs. Au printemps 1955, il s’engage dans le FLN sous l’autorité de
Ramdane Abane qui avait été chargé dès sa sortie de prison en janvier 1955 par
Belkacem Krim et Amar Ouamrane de diriger et d’organiser le FLN à Alger. Lamine
Khène préside l’assemblée des étudiants qui décident la grève des cours et des
examens, rédige l’Appel du 19 mai 1956 et, quelques jours plus tard, le 1er juin, rejoint le maquis en Zone 2
en compagnie de son camarade Allaoua Benbaatouche (1930-1958). Officier de
l’ALN, il met en place le service de santé de la Wilaya 2. En 1957, il est
désigné comme membre du CNRA. En tant que Secrétaire d’Etat à l’intérieur, il
représente l’Est du pays.
Omar Oussedik (1920-1992), militant PPA, membre de l’OS, arrêté en
1948, il est emprisonné jusqu’en 1951. Il rejoint le FLN en 1955. Officier de
l’ALN, il est membre du CNRA de 1957. En tant que Secrétaire d’Etat à
l’intérieur, il représente le Centre du pays.
Mustapha Stambouli (1920-1984), officier de l’ALN,
a fait des études de droit. Il est militant PPA dès la fin des années 1930,
plusieurs fois détenu par les autorités coloniales, et notamment, en 1948, il
est arrêté à la frontière libyenne sur son chemin pour aller combattre en
Palestine. En tant que Secrétaire d’Etat à l’intérieur, il représente l’Ouest
du pays.
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Le 19 septembre 1958, l’Algérie
combattante proclamait, à partir du Caire, la naissance de son premier
Gouvernement par la voix de son président, Ferhat Abbas.
Après l’Appel du 1er novembre 1954 qui fixe l’objectif
et le moyen : l’indépendance nationale par la lutte armée du peuple
algérien, après le Congrès du 20 août 1956 qui organise la Révolution,
développe et consolide son assise politique, la création du GPRA procède à la
rupture irréversible avec la France coloniale par l’instauration de la
souveraineté nationale de l’Algérie.
La proclamation du GPRA, suivie de la
reconnaissance internationale de nombreux Etats, crée un fait historique qui
s’impose au monde et, en premier lieu, à la France coloniale qui n’y pourra rien,
malgré le redoublement de la violence contre le peuple algérien, que met en
œuvre De Gaulle dès son retour au pouvoir en mai 1958.
L’indépendance sera obtenue (le 3
juillet 1962) grâce à la détermination et aux sacrifices (encore méconnus) du
peuple algérien, et grâce à la clairvoyance et à la sagesse de ses dirigeants.
En effet, malgré les dissensions, les crises, les rivalités, les luttes
fratricides et les drames, les dirigeants du FLN s’avèreront capables de mener
le pays à bon port.
Lorsqu’on pense à la disparité des
forces en présence, à la puissance économique, militaire et diplomatique de la
France, adossée à l’Otan et à 132 ans de domination coloniale en Algérie, on ne
peut que reconnaître les qualités du peuple algérien et admirer la grandeur de
sa révolution.
Ces hommes, qui ont eu l’honneur de
faire partie du premier Gouvernement de l’Etat-nation algérien, sont les
héritiers du long combat d’un peuple conduit par l’extrême violence de la
domination coloniale au bord de l’annihilation.
Son économie détruite, ses structures
sociales brisées, sa culture écrasée et ridiculisée, ses valeurs piétinées, ce
peuple est parvenu à trouver au fond de lui-même les ressources spirituelles,
morales, intellectuelles et politiques pour inverser le cours d’une histoire
qui semblait le destiner à subir (comme aujourd’hui les Palestiniens) le sort
des Indiens d’Amérique.
Sur le plan politique ces hommes sont
les héritiers du mouvement national moderne qui, depuis l’Emir Khaled et
Messali, depuis l’Etoile Nord-Africaine jusqu’au Front de Libération Nationale,
a patiemment forgé les instruments de sa libération.
Génération après génération, le
peuple algérien a produit des élites politiques qui, malgré les difficultés et
un rapport des forces tragiquement déséquilibré, se sont constamment efforcées
d’assumer le défi de l’existence de leur peuple, en faisant preuve de
détermination et d’abnégation, mais aussi d’intelligence, de créativité, de
souplesse et d’imagination.
Même si la distance entre le rêve de
l’indépendance nationale et la douloureuse et déprimante réalité de
l’oppression coloniale pouvait souvent paraître infinie, cela n’a pas empêché
les résistants, les militants, les révolutionnaires algériens de maintenir la
flamme vivante et d’avancer à travers «la nuit coloniale».
En septembre 1958, ces hommes, jeunes
pour la plupart (la moyenne d’âge des membres du GPRA est de 39 ans), ont déjà
derrière eux une précieuse expérience militante du combat et du débat
politiques, de la réflexion stratégique, de la connaissance de leur société et
des réalités du monde.
Quelles qu’aient pu être les
problèmes surgis entre eux, et leurs limites à chacun, ils avaient eu la chance
de travailler et d’agir avec des compagnons de lutte et des dirigeants de la
stature de Abane, Benboulaid, Belouizdad, Ben M’hidi, Dahlab, Didouche, Lahouel
ou Zighoud, pour ne citer que ceux-là…
Au cours de leur vie militante, ils
ont eu à faire des choix et des compromis difficiles. Ils ont eu à assumer des
décisions tout aussi difficiles. Mais, finalement, la valeur de ces hommes
s’est révélée dans l’épreuve de la révolution.
La création du GPRA ne limitait pas
l’ambition de la révolution à l’instauration de la souveraineté nationale.
Comme le soulignait Hocine Ait Ahmed,
à l’occasion du 50ème anniversaire
de sa création: «Parmi les raisons multiples qui ont conduit à la
proclamation du GPRA, il est nécessaire de rappeler la protection et le respect
des droits de l’Homme. Dans notre souci politique, le GPRA avait l’ambition de
faire appliquer les conventions de Genève, pour protéger notre population et
nos combattants, pour interdire les bombardements de villages, pour interdire
la prise d’otages et les représailles collectives, pour le respect du soldat,
pour sauver nos jeunes de la guillotine, nos cadres de l’assassinat…»
D’emblée le GPRA se conçoit donc
comme instance de direction de la guerre, de l’Etat et de la révolution. Et la
complexité des tâches qui découlaient de ces responsabilités n’aurait pu être
appréhendée et gérée sans le déploiement de grands talents politiques.
Faire face à l’intensification de
la guerre, au Plan Challe, à la fermeture des frontières par la ligne Morice, à
la pénurie en armes et en argent des maquis, à la fatigue d’une population
éprouvée comme jamais, aux influences et aux pressions plus ou moins amicales
de l’Egypte, de la Tunisie et du Maroc, à la diplomatie française et à ses
négociateurs, n’aurait pas été possible autrement.
Malheureusement, victimes de
l’occultation de l’histoire par le régime, les 45 millions d’Algériens
d’aujourd’hui ignorent, et donc ne peuvent vraiment apprécier la valeur de la
révolution, celle de ses dirigeants, ou encore celle des 9 millions de leurs
compatriotes de l’époque.
Et savent-ils que, pour que l’indépendance, si chèrement acquise, continue
d’avoir un sens dans le monde d’aujourd’hui et de demain, le peuple algérien
doit renouer avec les valeurs essentielles de la révolution, les mêmes valeurs
qui lui permettront de construire l’Etat de droit, un Etat pleinement souverain
et démocratique?
De façon dramatique, la victoire de
l’Algérie combattante sous la direction du GPRA en 1962 s’accompagne d’une
défaite politique de grave conséquence, durable jusqu’à nos jours, puisque le
GPRA se divise et éclate en violences fratricides au moment même de la victoire
et de l’indépendance.
Cette scission violente de la
Direction de la Révolution est l’aboutissement des tensions, des rivalités, des
conflits et des contradictions qui ont miné la Révolution dès 1954, entre ceux
qui voulaient déclencher l’insurrection le plus rapidement possible et ceux qui
souhaitaient disposer de plus de temps afin d’assurer une meilleure
préparation, entre ceux qui souhaitaient associer les Centralistes, les
Udmistes et les Oulémas et ceux qui souhaitaient que la Direction de la
Révolution reste entre les mains des anciens de l’OS et du PPA, entre «ceux de
l’intérieur» et «ceux de l’extérieur», entre «politiques» et «militaires»,
entre «Kabyles» et «Arabes», entre régions ou entre tribus, entre individus en
compétition pour le «pouvoir»…
Il est remarquable que, malgré tout,
c’est la dynamique de la révolution qui a prévalu sur les conflits internes, et
que ceux-ci, même si parfois, «réglés» dans le sang, n’ont pas dégénéré au
point de la remettre en cause.
Et ceci, probablement du fait que les
archaïsmes présents dans la culture des combattants et des dirigeants étaient
«contrebalancés» chez eux par la vigueur des valeurs forgées dans une pratique
militante moderne et démocratique acquise dans les partis et les associations,
où la légitimité politique s’obtenait, essentiellement, par la capacité de
convaincre.
Si la dynamique de la Révolution et
la qualité de ses dirigeants ont permis la conquête de l’indépendance
nationale, depuis, les conditions historiques ont changé, dans le sens de la
difficulté et de la complexité.
Aussi, la réduction décisive des
archaïsmes, un progrès radical de la culture politique démocratique dans la
société, s’avère aujourd’hui absolument nécessaire, non seulement au
développement de l’Algérie, mais à son existence même, en tant qu’Etat-nation
pleinement souverain et indépendant.
Ce défi à relever, aujourd’hui, comme
hier ou demain, c’est celui de la légitimité. Car fondamentalement, c’est la
légitimité du combat pour l’indépendance, et la légitimité de ceux qui l’ont
mené, qui ont permis l’accomplissement de ce grand moment historique