VIE POLITIQUE –
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI MOHAMED KACIMI- « DISSIDENCES.CHRONIQUES DU
HIRAK »
Dissidences. Chroniques du Hirak. Essai de Mohamed Kacimi, Editions Frantz
Fanon, Alger 2019, 208 pages, 700 dinars
A travers ses chroniques,
l’auteur qui s’est volontairement voulu plus observateur et journaliste
qu’écrivain du mouvement socio-politique qu’est le Hirak, n’y est pas allé de « main morte ».
Il ne s’est pas
,aussi, contenté de présenter la révolution populaire in situ .
Il a remonté le temps en
revenant sur les causes profondes et lointaines de la révolte : Ben Bella,
Boumediene (on apprend qu’il aurait fait ses études au Caire avec une bourse du
Gouvernement français et que Werner Herzog, avant de réaliser son
film « Aguire ou la colère des Dieux » avec
Klaus Kinsky, avait d’abord pensé à Boumediene et lui
avait écrit à ce sujet) , le socialisme arabo-islanique,
le Fln (le parti unique), les résidences surveillées de personnalités
politiques éminentes (Abbas, Ait Ahmed, Benkhedda..)
, la répression, les liquidations physiques des opposants
politiques (Krim, Khider, Medeghri,Chabou….) , la politique cultu(r)elle
de Taleb Ibrahimi, celle éducative de Kharroubi…..sans oublier Chadli et 1980 en Kabylie ,
Octobre 88 et ses centaines de morts, le Fis, les massacres du Gia durant la
décennie noire, la religion et ses excès …..et, bien sûr ,
Bouteflika… « qui va fonder une vraie kleptocratie » ….
Il décrit le « tsunami »
du Hirak populaire à travers ,
entre autres, son « printemps fou à Alger » , un 1er mars
2019. Il y était. Il nous emmène de Hydra à la Place du 1er mai
en passant par la « colonne Voirol », le Chemin de Gascogne, un
barrage de Cns, les hauteurs de l’hôpital Mustapha,
la rue Hassiba Benbouali,
le square Sofia, la place des Martyrs, puis le tunnel des Facultés et le retour
vers la Place Audin, le Boulevard Mohamed V…….et la
foule, des vieux mais surtout des jeunes , filles et garçons qui dansent, chantent….drapeaux
agités….Louisa Hanoune qui est chassée du
cortège…. Avec, bien sûr, toujours , en
mains, un sachet avec de l’eau et une bouteille de vinaigre . Quatre
heures de marche. « Pas de casse » et des jeunes équipées de sacs
poubelle nettoyant les rues jonchées de bouteilles d’eau vides et de
papier….Une révolte populaire demandant la « libération de l’Algérie et
son avenir ». Une journée de fou…qui fait dire à l’auteur qu’il « est
en train d’aimer de nouveau cette ville (Alger) qu’il « a tant connue
et tant haïe ». Lui qui avait fini par ne plus croire en son pays, qui
avait pris tant de chemins de traverse pour l’oublier….et qui
, de retour , en février 2019, au pays (rentré pour veiller sa mère
mourante) a assisté (et participé) au « redémarrage » d’un pays
« tombé en panne en 62 ».
L’Auteur :Né en 1955 à Zaouia
El Hamel. Vit à Paris. Plusieurs romans, essais et pièces de théâtre.
Très impliqué dans le théâtre , animant dans une
association internationale des ateliers d’écriture.....
Sommaire : Avant-propos / Vingt cinq chroniques
dont un entretien(2006, Libération) , des
articles de presse (Libération : 2003, 2004, 2006, Le Nouvel Obs : 2014, Mediapart :)2019)…..
Extraits : « …Bouteflika, sorti tel un
lapin du chapeau de l’armée, une fois encore. Pervers narcissique,
mégalomaniaque en diable, vociférateur, dictateur, de la même trempe que Bongo
ou Mobutu, l’homme était convaincu qu’il avait fait l’Algérie et non
l’inverse » (p 18), « Ce qu’attendent les Algériens, en ces moments de
gestation convulsive, ce n’est pas un imam, ni un mufti, mais un maçon, un
entrepreneur, un visionnaire qui pourrait leur montrer comment construire une
démocratie dont ils rêvent depuis près de soixante ans » (p 133)
Avis : Style plus journalistique qu’académique,
pamphlétaire et rageur (on le comprend, comme on comprend tous les
« enfants de l’indépendance qui avaient cru que le monde allait
« leur appartenir » )…..mais qui vise
juste et fort. Se lit d’un seul trait. Le « roman » du Hirak !
Citations : « Derrière chaque voile, il y a
trois mille ans de haine envers la femme qui nous regardent » (p 36),
« L’intégrisme est le stade suprême de l’analphabétisme » (p
39), « Une culture ne se juge pas sur les Andalousies
qu’elle a connues, mais sur les Andalousies qu’elle
peut engendrer » (p 47), « Telle peut être la devise de l’islam
wahhabite : on peut vivre dans la merde , mais faut se prosterner sur du
marbre, au moins « (p70), « Les islamistes n’ont pas réussi à
prendre par les armes le pouvoir, mais le régime , pour faire la paix avec eux,
leur a donné en pâture toute la société » (p
81), « L’humour est l’arme qui permet à l’Algérien de ne pas prendre
au sérieux sa détresse » (p 117), « On ne construit pas l’avenir
sur l’oubli et on n’édifiera pas une République sur la clémence. Juger
Bouteflika, c’est nous épargner la honte devant nos enfants » (p 138),
« Spoliés de leur terre, les Algériens ont fait de la religion leur
patrie, et, depuis la décennie noire, toutes les couches sociales rivalisent de
piété et de la connaissance de la Charia » (p 175), « La démocratie
n’est pas un mot d’ordre, elle résulte de l’effort de chaque citoyen pour
accepter les idées, les croyances de l’autre, même si elles ne sont pas les
siennes » (p 178), « Le Hirak est certes un
mouvement de contestation, mais il doit être également et avant tout un temps
de réflexion et d’introspection » (p 178