SPORTS –
PERSONNALITES – RACHID MEKHLOUFI
© Ahmed Cheniki, blog Mediapart :Cultures , Algérie et médias, 11 septembre 2020
C'est
l'un des meilleurs joueurs de l'ASSE (Saint-Etienne), son capitaine
emblématique qui quitta la France en 1958 pour Tunis, à la veille de la coupe
du monde de Suède, sélectionné aux côtés de Kopa, Fontaine, Piantoni
et d'autres grands joueurs de l'époque, pour rejoindre le Front de Libération
Nationale, en lutte pour l'indépendance de l'Algérie.
J’ai
toujours apprécié Rachid Mekhloufi comme joueur et
comme personne. Parler de cet immense footballeur, c’est aussi décrire le
parcours de l’ASSE, de joueurs comme Herbin ou d’un président de club, à
l’instar de Rocher et du mouvement sportif national algérien. Pas
uniquement du football. Rachid n’est pas n’importe quelle personne, c’est
quelqu’un qui a pris la courageuse décision, alors qu’il était le plus grand
joueur de France et de Saint-Etienne, de rejoindre, en 1958, au summum de sa
gloire, Tunis et le FLN. C’est là que va naître l’équipe du FLN qui a vu de
nombreux joueurs quitter leurs clubs en France pour témoigner un peu partout de
la grande épopée révolutionnaire de l’Algérie combattante. Artistes, sportifs, étudiants,tous allaient prendre le
chemin les menant aux sentiers de la liberté. Mekhloufi
m’avait raconté son choix qui était inéluctable, soulignait-il, dans un
entretien qu’il m’avait accordé à Tunis où il résidait en
1994 : « C’était un
devoir, je ne pouvais faire l’indifférent alors que mon peuple souffrait le
martyre. Je jouais, certes, à Saint-Etienne, mais j’attendais justement cet
appel. J’étais heureux, extrêmement heureux d’être avec mes frères ».
Il parlait, souriait,
Rachid, timide, mais bon vivant, aimait raconter des blagues, rire, c’était
pour la première fois que je rencontrais mon idole, lui, il était dans ce
magasin d’équipements sportifs du boulevard Bourguiba, très à l’aise, un
entretien pour l’hebdomadaire algérien, Algérie-Actualité. Mekhloufi,
en me parlant de l’équipe du FLN et du désenchantement qui a suivi, ne pouvait
résister aux larmes, l’interview devenait difficile, presque impossible, il
était d’une grande sensibilité. Dans un documentaire, l’autre grand joueur,
Éric Cantona, un amoureux de l’Algérie, avait insisté sur l’engagement
politique de Mekhloufi, « le rebelle », pour reprendre le
titre et surtout sa désertion de Saint-Etienne en 1958, abandonnant tous ses
biens pour retrouver un certain bonheur de participer à l’éclosion d’une
lumière qui fut un peu assombrie par la suite, juste après la libération.
Rachid a toujours été
brillant. Déjà à l’USMS (club algérien de la ville de Sétif), ce club où évoluaient
deux autres joueurs qui avaient accompagné Mekhloufi
à Tunis, Mokhtar Arribi (AS
Cannes, RC Lens, Avignon Football 84) et Abdelhamid Kermali
(Olympique de Lyon, OL), Ferhat Abbas, le président d’un mouvement
nationaliste, l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien) était le
président d’honneur à vie, il était le buteur attitré du club. L’entraineur
Jean Snella, ne pouvait ne pas être conquis par son
talent, il avait vite convaincu l’un des plus grands clubs de France, l’ASSE
(Saint-Etienne) de le compter dans ses effectifs, ce qui fut fait. C’est en
1954 qu’il débarqua à Saint-Etienne, cette ville réputée pour son industrie
minière et la présence ouvrière, il y resta quatre années avant de prendre les
sentiers escarpés du combat révolutionnaire, abandonnant l’ASSE, championne de
France et lui, meilleur buteur avec 25 buts et l’équipe de France, il a joué
quatre rencontres, il était le capitaine emblématique de l’ASSE, très proche de
Robert Herbin qui lui vouait une extraordinaire admiration, il avait conquis le
staff qui l’avait sélectionné pour la coupe du monde de 1958, en Suède. Il
était l’un des meilleurs joueurs du moment. Il devait accompagner Just
Fontaine, Raymond Kopa, Roger Piantoni, Jean Vincent
et les autres.
Jamais, il n’avait été
aussi à l’aise que durant ces quatre années passées dans l’équipe du FLN (Front
de Libération Nationale). L’indépendance acquise, il revient à Saint-Etienne,
après un bref passage au Servette de Genève, parce
qu’il lui était difficile d’aller directement à l’ASSE. Là, il va gagner
beaucoup de titres, il a été d’ailleurs considéré comme le meilleur joueur
évoluant en France dans le prestigieux classement de France-Football pour les
saisons 1964, 1966 et 1967. L’apothéose, c’était le match de finale de coupe de
France contre Bordeaux, il avait inscrit les deux buts de la victoire. Je me
souviens avoir vu le match dans un café, tout le monde supportait Rachid qui
allait terminer sa carrière à Bastia comme joueur et entraineur-joueur.
Puis, il s’installe entre l’Algérie
et la Tunisie, à la Marsa. Je ne sais pourquoi, mais
chaque fois que Mekhloufi est présent, il y a le
bonheur. Je me souviens de cette finale explosive des Jeux Méditerranéens, ce
n’était pas un match de football, mais deux Histoires, deux mémoires qui
s’affrontaient, ma mère, tenant le drapeau criait comme une folle, tous les
Algériens étaient mobilisés, c’était la guerre, Mekhloufi
était l’entraineur, un peu comme Zidane au Real, tous les joueurs algériens et
français connaissaient sa réputation, mais aussi le fait qu’il ait choisi la
patrie à l’argent, un match à suspense, Kassaman et
La Marseillaise avaient été de la partie, avec le respect dû aux deux hymnes ,
toute l’Algérie était triste à dix minutes de la fin, la France menait au
score, le président de l’Algérie, Houari Boumediene n’en pouvait plus, en
colère, des larmes, avait-on dit, avait quitté les tribunes, puis était revenu
juste après l’égalisation de l’ailier droit algérien, Omar Betrouni.
Il souffla, il se mit à se dire que peut-être il se dispensera de l’acte de
remettre la médaille d’or, Mekhloufi ne tenait pas à
sa place, il m’avait raconté que pour lui si l’Algérie avait perdu, c’était
comme si elle avait perdu son indépendance. Boumediene aurait décidé de couper
la télévision si les Français avaient gagné. Mais le joueur Menguelti
avait tout remis en ordre en crucifiant le gardien français d’un tir des 20
mètres. Ce fut la « seconde indépendance » de l’Algérie, la « guerre » avait été remportée par
cette Algérie qui se faisait appeler « la Mecque des Révolutionnaires ». Le match s’était terminé
avec la joie des supporters algériens, mais aussi avec une belle rencontre
entre les joueurs.
Mais Mekhloufi,
le grand Mekhloufi n’a pas réussi à sauver l’Algérie
contre la Tunisie, à Tunis, un 29 décembre 1968, ce match qualificatif pour la
coupe du monde de 1970, il y avait huit professionnels. Mais en 1982, en
Espagne, il est là et bien là quand l’Algérie battra l’Allemagne par deux buts
à un.
Ce joueur connu pour sa
correction et son excellente éducation, n’ayant jamais écopé d’un carton, est
un véritable gentleman, élégant, souriant, avec une conception du foot qui ne
s’accommode nullement de la primauté de l’argent sur la dimension humaine.
L’important, c’est l’homme, insistait-il dans notre entretien tout en évoquant
avec une grande passion et une émotion non contenue l’expérience de la fameuse
réforme sportive qui avait permis au sport algérien de gagner en maturité avant
que l’argent sale ne pourrisse le sport et l’Algérie à partir des années 1980.
Ce que raconte si Rachid n’a pas uniquement affecté le sport, mais tous les
autres secteurs appauvris par une gestion anachronique.