HISTOIRE-
EUDES ET ANALYSES- COLONIALISME OTTOMANE- THESE KAMEL KHELIFA
©www.algerie1.com/Kamel Khelifa* , lundi 7/9/2020
Thèse versus «La présence ottomane qui ne peut
être considérée comme colonialiste»
Lors d’une interview réalisée
avec le quotidien El Watan du 02/09/20, l’historienne Mme F.Z Guechi,
Professeure à l’université de Constantine, affirme que « la présence
ottomane ne peut être considérée comme colonialiste ». Par souci de
partage et de confrontation de la vérité historique, je me permets d’apporter
un autre point de vue au débat.
Tout d’abord, il importe de
s’entendre sur le sens à donner au terme « colonialisme » et les
contextes présentés pour expliquer une colonisation. Je vais tenter de
résumer les différentes conditions qui participent au processus de
colonisation, doctrine impliquant invariablement : une occupation
militaire d’un territoire et les actions de mise sous tutelle de ses
habitants ; une politique de peuplement dudit espace occupé ;
la marginalisation des populations autochtones des affaires du pays, puis enfin
leur assujettissement complet…
De la colonisation de
l’Algérie
Ceci dit, nous allons tenter
de corroborer par des faits historique les conditions énumérées plus haut pour
qualifier la présence ottomane de colonisation, valable également par
leur caractère à certains égards impérialiste de la politique de la Porte
sublime, dans les autres protectorats et vassalités ; à l’exception peut
être de la Tunisie qui renvoya finalement la milice des Janissaires, à
l’origine du désordre prévalant dans le Maghreb central ; acte politique
majeur ayant favorisé l’assimilation des éléments civils et militaires ottomans
et leur intégration dans la dynastie Husseïnide, où des sujets autochtones
participèrent également aux affaires de la Cité...
Il faut dire aussi que la
Turquie ottomane ne pouvait faire face durablement, compte tenu de l’immensité
de son empire, à ses besoins de domination territoriale et des populations
uniquement avec sa soldatesque (servant principalement à la sécurité de Dar
Sultan, du Diwan et des caravansérails), sans le recours aux renégats*
(mercenaires des mers et pourvoyeurs de butins), aux Janissaires levantins,
agissant comme garde prétorienne et milice de la Régence, outre le makhzen
(mercenaires sur terre), composés de supplétifs autochtones, venant de
différentes tribus, pour lever l’impôt local.
Les renégats enrôlés par la
Régence d’Alger furent en grande majorité de confession chrétienne,
originaires du bassin méditerranéen. Ceux-ci, constituant une société
cosmopolite étrangère au pays, où ils exerçaient leurs métiers, sont arrivés
dans le sillage des frères Barberousse, au Maghreb central, et deviendront des
corsaires de l’empire, sous l’emblème de la Régence d’Alger…
Selon l’historien
Gosse : « En 1588, à Alger, 24 galiotes sur 35 étaient commandées par
des équipages de renégats, représentant presque toutes les nations chrétiennes
(appelés «Turcs de profession») et les 11 autres furent placés sous
commandement de Rais turcs» (…) Et d’ajouter : «…Plusieurs milliers
de Corses vivaient à Alger, ils préférèrent quitter leur île plutôt
que d'accepter la domination génoise (1559). Parmi ceux-ci certains arrivèrent
au sommet de la hiérarchie de la Régence, ce qui ne fut pas le cas des
meilleurs sujets autochtones, à l’exception de Rais Hamidou, un sujet
isolé.»
Présence ottomane en
Algérie et défiance des populations autochtones
L’histoire officielle a
présenté cette tranche de vie de trois siècles comme étant salvatrice pour le pays,
justifiée par la « délivrance du pays de l’occupant espagnol et des visées des
croisés». « La communauté de religion a atténué, selon Mme Guechi, le
ressentiment des Algériens, envers les Ottomans… » Ceci correspond
en effet à la version de l’histoire officielle, au nom de laquelle il n’est pas
officiellement admis (et encore moins reconnu) que la Régence d’Alger ottomane
présentât toutes les caractéristiques d’une colonisation véritable, accompagnée
d’une occupation militaire intégrale, avec tout ce que cela implique comme
conséquences : perte de souveraineté, d’identité, de culture, etc. Plus
grave encore, est occulté l’autoritarisme généralisé et les cruautés l’ayant
accompagné de la part de la milice des Janissaires (les Odjaks), de la soldatesque
Yoldach et des supplétifs du Makhzen, lors de la collecte de l’impôt.
A enseigne-t-elle qu’en
1572, excédés par les abus de la Régence ottomane, les Algérois demandèrent à
la France de mettre la ville sous sa protection, comme cela fut le cas avec les
Barberousse… Ainsi, le Roi de France Charles IX accéda à cette requête en
désignant son jeune frère le Duc d’Anjou pour occuper le trône d’Alger. Ces
révélations sont attestées par l’existence de documents d’archives d’Etat, même
s’ils sont fournis par la « Revue Africaine » qui n’est pas en odeur
de sainteté, à Alger. En outre, des appels à l’aide de certaines catégories de
populations, souvent excédées par les cruautés commises par les autorités
beylicales, au retour des Espagnols en Algérie, ne se comptent pas.
Du reste, les faits
historiques sont là pour attester qu’une partie du pays à l’ouest
(l’Oranie) fut sous occupation ibérique pendant 287 ans (1505 à 1792), sans
trop de sédition par rapport à l’état insurrectionnel quasi-permanent vécu par
la Régence d’Alger ; la partie centrale du pays fut sous occupation ottomane
(1515-1830) et une partie de l’Est algérien, d’Annaba à El Kala, fut louée par
la Régence d’Alger à une compagnie française pour l’exploitation du corail et
autres activités de pêche.
Dès les origines, la
présence française fut tout bonnement une occupation économique, ce qui ne fut
pas le cas des Ottomans qui tiraient leurs richesses (des tributs) de la
course, des impôts et taxes ruraux et des «prévenances » (3aouyeds), doux
euphémisme pour désigner le bakhchich accordé par les puissances maritimes aux
Kerassa (gens du trône) pour s’assurer d’un bon commerce avec les autorités
locales et la libre pratique de la navigation maritime.
Ceci pour dire que
l’occupation ottomane de l’Algérie ne fut pas porteuse de projets de
développement et encore moins de richesses pour ce pays, puisqu’une partie du
territoire fut loué par le Régent à une puissance étrangère pour en tirer
l’usufruit ; autrement dit le droit de jouissance d’un bien appartenant à
autrui, en l’occurrence les populations locales qui en furent
dépouillées...
Mais, il paraît certain que
les rébellions des populations contre l’ordre ottoman établi furent une
constante rapportée par les chroniqueurs, voyageurs, consuls étrangers et historiens,
signe du joug pesant de la présence ottomane en Algérie. Par comparaison, ce
fut moins le cas en Oranie, occupé par l’Espagne, même si des vestiges des
supplices sont encore prégnants de vérité, à la sortie d’Oran vers Ain El
Turc ; un endroit de tortures, comme fut un haut lieu de supplices Dar
Sarkaji, avant que celle-ci ne change de destination pour devenir une maison de
débauche à l’usage des soldats turcs, condamnés au célibat.
Ainsi, fut jeté une contrée
entière entre les mains d’aventuriers, venus des quatre coins de la
Méditerranée, n’ayant ni femmes, ni enfants, ni foyer, ni pays, ni terre, ni
nationalité, ni culture, ni langue… En fait de langue parlée, en dehors du
sabir (une sorte de patois local difficilement compréhensible) chaque terroir
va fabriquer son propre mode d’expression langagier (sabirique, dirais-je)
rendant ainsi les habitants du pays étrangers les uns aux autres, comme il en
est aujourd’hui avec l’usage d’une langue du coran maltraitée et de la langue
de Molière, à laquelle on tord le cou quotidiennement… Le slogan de
ralliement des supporters de l’équipe nationale de football « One, two,
three, viva l’Algéré ou l’Algiré », témoigne du sabir à l’état pur…
Ainsi les nouveaux maitres
du pays affichaient-ils tout juste une certaine « bravoure » de répression des
populations, une expérience de la mer et une religion chrétienne que des
renégats sacrifièrent (au plus offrant), en se convertissant par intérêt à
l’islam, non sans empêcher le dévoiement de la morale dans la Régence, où
s’entrechoquent le plus vieux métier du monde avec la pédophilie pratiquée à
grande échelle par les soldats turcs, envers et contre toute autorité :
beylicale, religieuses, parentale.
Perception de la Régence
par des auteurs étrangers au pays
Le capitaine d’artillerie
français Walsin Esterhazy, écrivit un livre en 1840, intitulé « la
domination turque dans l’ancienne régence d’Alger ». Dans cet
ouvrage, on observe que l’auteur, qui manie bien le verbe et l’écriture arabe,
a bien étudié les mœurs et mentalités des habitants et le mode de
fonctionnement de la Régence ottomane. Ainsi, décrit-t-il minutieusement, en
page 206 et suivantes, les méthodes employées par les Turcs, résumées en ces
termes : « Les Turcs étaient craints et respectés, les tribus tremblaient à la
moindre colère des beys… »
L’érudit et grand voyageur
français, Venture de Paradis, écrivit dans son livre « Alger au XVIII
siècle », op, cit. Page 113: « Baba Ali, lorsqu’il était Agha, s’amusait à
essayer son fusil sur le premier Maure qui passait.» Le nom de ce
monstre est donné à un quartier de la banlieue d’Alger, habité aujourd’hui par
environ 50 000 âmes. Il existe une foultitude d’autres noms d’Aghas et de Deys
sanguinaires, qui ont encore aujourd’hui droit de cité... En tête de liste de
ces Régents étrangers figure Hussein Dey, le dernier pacha déchu dont un des
plus grands quartiers à Alger porte le nom. Hussein fut baptisé par
la volonté de la France coloniale, en signe de reconnaissance, à celui qui leur
offrit Alger et le trésor de la casbah, se comptant en dizaines de millions de
Francs. Cf. l’ouvrage de l’historien français Michel Habart « histoire
d’un parjure ».
Hussein Dey, dépourvu de
courage pour défendre la ville, négocia avec l’armée française la capitulation
de la capitale, en échange de sa protection personnelle, celle des soldats
turcs, des milices janissaires et de leurs fortunes personnelles
incalculables. Dans l’ancienne Régence, tous les « gens du trône »
finissent un jour par quitter l’Algérie, pays où ils furent gavés comme des
oies, pour repartir dans la lointaine Turquie, une fois leur mission accomplie
et les poches bien remplies. Mais, nombre d’entre eux prendra aussi la
direction de certaines principautés méditerranéennes (Livourne, Gênes, Naples,
etc.), des sortes de paradis fiscaux de l’époque.
Des séditions populaires
et de la répression ottomane
En réalité, la consommation
de la rupture avec le régime ottoman commença avec certaines tribus hostiles
depuis la prise du pouvoir par les frères Barberousse et l’étranglement par
traitrise du Cheikh Selim El Tûmi (Toumi), par Baba Aroudj. Les victimes
algéroises du régime ottoman fuiront dans les montagnes de Kabylie, de
l’Ouarsenis, des Aurès, les Hauts plateaux, voire dans le Sud, territoires
devenant le repaire des résistants à l’ordre ottoman.
Les premiers fuyards
algérois seront accueillis par le souverain des Koukous, Ben El
Qadhi, et d’autres tribus Kabyles alentour, appuyées par des renforts venus
même du beylicat hafside tunisien, qui engageront une guerre sans merci contre
les troupes de Barberousse, avec des renversements de situation militaire et
des revers de fortune aussi. Finalement, grâce à l’aide décisive de la Porte
Sublime, suite à l’arrivée en force de troupes expédiées par Constantinople,
les Barberousse reprendront le pouvoir à Alger, ville ne faisant guère que 3000
habitants à l’époque. Alger se peuplera à la longue pour attiendre les
60 000 habitants au XVIIIème S, pour moitié des étrangers à la solde de la
Régence.
Une fois la Régence
fortifiée politiquement, plus particulièrement à l’égard du Sultan de
Constantinople, et militairement sur une partie du littoral algérien, le
beylerbey de la Régence, Salah Raïs Pacha (1552-1556) décida de soumettre
d’autres régions fiscalement profitables en échange de la perception de l’impôt
par certaines tribus autochtones contre leurs coreligionnaires, connues sous le
nom de Makhzen ; celui-ci fut longtemps constitué des tribus Zouaoua,
acquises, depuis les débuts de la pénétration ottomane à la Régence, moyennent
rétribution.
Cependant, Salah Rais
Pacha négocia également avec la tribu des Béni-Abbas, pour conquérir une partie
du Sud-est utile (Touggourt, Ouargla, Biskra, Souf, etc.) ; territoire
fiscal et sécuritaire qui sera placé par les Turcs entre les mains d’autres
feudataires autochtones, les Bouakkaz des Douaouda, rivaux des Bengana. A
propos des tribus Zouaoua et des Beni Abbas, voir site http://ethnopolis-net.over-blog.com/2014/11/l-algerie-sous-le-regime-beylical-1515-1830.html
Précisons que la charge de
percepteurs d’impôts fut une pratique courante recherchée, pour ne pas dire
disputée, par maintes tribus qui y trouvaient, outre une opportunité
d’enrichissement, un moyen d’acquérir puissance et influence vis-à-vis des
autres tribus rivales, profitant de la présence d’empires étrangers sur leur
territoire…
A cet égard, il semble,
selon divers écrits, que les tribus Zouaoua avait fait de l’auxiliariat un
métier durant la Régence d’Alger. Les Ottomans utilisèrent des supplétifs
locaux pour lever l’impôt, afin d’éviter les affrontements directs avec les
populations, sur lesquels ils n’avaient pas prises. Cependant, les Français ne
cherchaient des recrues indigènes seulement pour conquérir des territoires à
exploiter ; appelée en langage politique, au début de la colonisation
« campagne de pacification » du pays.
La rupture avec la Régence
atteindra cependant son paroxysme avec les révoltes des Kouloughlis qui
refusaient à un moment ou un autre de se soumettre à la législation du ban
militaire et à la dictature imposée par la Régence ottomane aux populations
algériennes… Ces enfants nés d’une union d’un janissaire et d’une femme du
pays, furent environ 5000 sujets en 1610, seulement dans la capitale du
« royaume d’Alger (Mamlaket Dzair), représentant à eux-seuls environ 10%
de la population de cette ville. Suite à leur hostilité récurrente à l’égard de
la Régence, tout ce beau monde fut souvent transplanté dans différentes régions
du pays pour casser leur soudure unitaire et néanmoins patriotique.
En effet, devenant soldats
d’office, ou corsaires à l’âge adulte, puisqu’ils venaient dans l’ordre social
et des priorités à la 3ème position après les Turcs et les Janissaires,
les Kouloughlis entrèrent souvent en dissidence contre l’ordre ottoman qu’ils
qualifiaient d’«occupation étrangère du pays». Pour cette raison, ils furent
bannis du service militaire et de certaines villes, à maintes reprises par les
maîtres de la Régence, et cantonnés dans différentes régions du
pays.
Ainsi, les zones de
prédilection de la dispersion des Kouloughlis sont : au centre, le Nord de
Djebel Zouatna et alentour (Tizi Ouzou, Dellys, Tigzirt, Azzefoun) ;
à l’ouest, la région de Tlemcen, Nedrouma et Msirda ; dans l’Est, la
région de Béjaia-Jijel-Constantine. Contraints à raser les murs, tant ils
furent ostracisés, les Kouloughlis se fondèrent dans la masse où ils migrèrent
à leur corps défendant.
Anarchie au sommet du
pouvoir et règlements de compte claniques
Selon divers rapports de
consuls en poste à Alger, dont voici quelques extraits, Alger vivait, sous la
domination des Turcs, au rythme des insurrections, des supplices, des
exécutions et des assassinats… Après le meurtre du dey Moustapha, son
remplaçant, le Dey Ahmed exerça le pouvoir pendant trois ans, mais il fut à son
tour renversé en mars 1808. Le nouveau dey est décapité le jour même de son
élection et dès le lendemain, c'est Ahmed qui reprend le pouvoir jusqu'au 7
novembre 1808, année de sa pendaison… Ali Khodja, qui lui succède, meurt à la
suite d'une guerre malvenue contre les Tunisiens. Son successeur Hadj Ali promu
en 1809 ne se maintient que quatre ans au pouvoir et meurt empoisonné le 22
mars 1815 ; Omar renégat grec, coopté pour prendre la succession, se
récuse et c'est Mohamed qui est élu dey, mais il meurt assassiné quatorze jours
après son élection. Déjà en 1556, le supplice réservé par Tekerli, un nouveau
Régent nommé par Constantinople, à Hassan Corso, renégat corse, officier
janissaire, proclamé par ses soldats Beylerbey, fut le châtiment des
crocs ; un supplice effroyable réservé aux officiers désobéissants aux
ordres de la Sublime Porte. Hassan Corso vécut trois jours entiers suspendu à
des crocs et au bout de trois jours de souffrances cruelles il mourut.
Mauvais traitements des
populations et stratification de la société
A cet égard, Venture de
Paradis fait état de cette politique à géométrie variable : « les Turcs
répugnent à étrangler ou à pendre les musulmans, ils se servent pour cela des
chrétiens et des Juifs, pris au hasard dans la rue (Ibid., Op. Cit., P 74).
Pour les châtiments réservés aux Maures les crocs de boucher à Bab Azzoun
» (Op. Cit Page 20) et pour les chrétiens et aux Juifs, c’était le bûcher à Bab
El Oued. On apprend (Page 129) que « le beylik prête aisément des
sommes importantes aux Juifs, aux négociants européens et aux Consuls étrangers
sans aucun intérêts » ; et de renchérir : « la politique d’Alger
est très cruelle envers les Maures et les Arabes ; pour la plus légère faute on
les faisait mourir, parce que le gouvernement a pour principe de dépouiller les
Maures et de leur faire toutes sortes d’injustices et de vexations pour les
tenir asservis, cause des fréquents soulèvements des gens de la montagne, des
Hauts plateaux et du Sud »… En Page 122 : « les Turcs ont pour ennemis les
Kouloughlis qu’ils n’emploient que malgré eux ; les Maures qu’ils accablent ;
les esclaves, sur lesquels ils ne peuvent point compter. »
A propos de lois
somptuaires, en page 155 : « les Maures ne peuvent porter de l’or sur
leurs habits (à l’exception des femmes qui en portent en quantité pendant les
mariages et les fêtes, note de l’A) ni aucune espèce d’armes, seuls les gens de
paye (équivalents à apparatchiks, Ndl’A) ont ce privilège de porter le yatagan
ou Sif (sabre) et de porter des broderies ; en matière d’impôts (P. 161) :
« les impositions sont assises sur les boutiques et les métiers, donc el Khardj
(l’impôt) ordinaire payé par les Juifs est de 500 livres la semaine (environ
30 000 livres/an ) et celui des Maures de 700 (environ 37 000
livres/an)...»
Qu’est-ce que le beylik,
sinon une oligarchie militaire sectaire, fondé sur un socle de plusieurs
catégories sociales superposées en classes inégalitaires, parlant chacun
sa propre langue, même si le Turc fut la langue officielle, parlée uniquement
par l’élite ; ceci nous explique l’absence de ses traces, à la différence
de l’espagnol qui est parlé encore aujourd’hui en Oranie.
La hiérarchie sociale fut la
suivante :
- d’abord les Turcs, maîtres
absolus des « États barbaresques »;
- en seconde place arrivent
les Janissaires (majoritairement des Slaves, issus des Balkans et «
convertis » à l’Islam, avant d’être organisés en milices ;
- ensuite, suivent les
Kouloughlis (enfants nés de l’union – rarement forcée- entre un janissaire et
une femme autochtone dont les familles affichaient fièrement leur alliance avec
les membres de cette classe d’étrangers détenteurs d’une part importante du pouvoir
et de la richesse du pays) ;
- puis à la quatrième place
arrivent les Juifs (usuriers, préteurs sur gages, négociants, bijoutiers,
commerçants, etc.), ayant toujours puisé leur richesse et influence avec
l’étranger où des liens séculaires sont tissés avec leurs congénères établis en
disaspora, plus particulièrement en Occident ;
- après s’amènent les
corsaires, constitués d’un mélange de renégats chrétiens de Sardaigne, de
Corse, de la mer Égée, de l'ile de Rhodes, de Bosnie, d'Albanie, etc., venus
par vagues successives dans le sillage des frères Barberousse ;
- à cela s’ajoutent un fond
de citadins andalous, habitants des principales villes (devenues des
citadelles) du pays.
- enfin, viennent clôturer
la liste des tribus locales faisant partie du Makhzen, acquises à l’empire
ottoman, avec lequel elles partageaient les prébendes, provenant de la levée
forcée de l’impôt... Un impôt qui n’avait jamais participé à l’enrichissement
des populations autochtones, mais partagé entre les seigneurs de guerre des
tribus locales acquises au Diwan de la Régence et dont une partie substantielle
prenait (quand les relations sont au beau-fixe) la direction de la Sublime
Porte…
Au fil du temps, la populace
très appauvrie, par des décennies de disettes, vivaient d’expédients, loin
des villes-citadelles gouvernées par l’empire ottoman, avec lequel elles ne
voulaient pas composer et encore moins se soumettre. Les tribus vivaient entre
elles de petits trocs échangés par les montagnards sédentaires, les transhumants
des hauts plateaux et les caravaniers du désert.
A la lumière de ce bref
exposé, en tous cas loin d’être exhaustif, l’auteur de cette contribution est
fondé à croire que tous les éléments de consubstantialité sont ici réunis pour
qualifier de colonialiste la présence ottomane en
Algérie.
*Kamel Khelifa
journaliste
indépendant, essayiste, expert en relations internationales