ECONOMIE- PERSONNALITES- LES FRERES
KOUNINEF
©Fayçal Metaoui/www.24hdz.com,lundi 7/9/2020
Tarik-Noah, Réda et
Abdelkader-Karim Kouninef, fils de l’homme d’affaires
Ahmed Kouninef, doivent être jugés, mercredi 9
septembre 2020 au tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger, après deux
reports du procès. Ils auront à répondre à plusieurs chefs
d’inculpation dont « blanchiment d’argent », « obtention d’indus
avantages », « trafic d’influence », « non respect des
engagements contractuels dans la réalisation de projets publics » et
« détournement de fonciers et de concessions ».
Les trois hommes
sont en détention depuis le 24 avril 2019. Les comptes de leurs nombreuses
entreprises sont gelés depuis cette date. Etablie en Suisse, Souad Kouninef, l’unique fille d’Ahmed Kouninef,
a refusé de répondre à la convocation de la justice algérienne. Elle fait
l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé en juillet 2019. Leur mère, la suisse Rose Marie Lislote Horler, aurait essayé de jouer la carte des pressions
politiques pour les faire sortir de prison en sollicitant discrètement les
autorités helvétiques. Mais qui sont les frères Kouninef ?
Avant 1999, les fils
d’Ahmed Kouninef étaient inconnus en Algérie. Élevés
en Suisse, Tarik-Noah, Réda, Abdelkader-Karim Kouninef,
qui ne s’expriment qu’en français, ne se sont intéressés à l’Algérie, pays
d’origine de leur père, qu’avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir,
même si Abdelkader-Karim, l’aîné, avait entamé sa scolarité dans les années
1980 à Oran avant de la poursuivre en Suisse.
En 1999, Ahmed Kouninef avait grandement contribué au financement de la campagne
électorale du premier mandat présidentiel de Bouteflika. Contribution aussi de
ses fils pour les campagnes des trois autres mandats en 2004, 2009 et 2014. Les
Kouninef étaient également prêts à financer
partiellement la campagne pour le 5ème mandat en soutenant le projet mort né de
la chaîne de télévision El Istimraria (la
continuité).
E« Sociétés-écrans »E
Durant ses Eséjours en Suisse, dans les années 1980 et 1990, l’ancien ministre
des Affaires étrangères de Houari Boumediène avait
été hébergé par Ahmed Kouninef (Kheninif
en arabe) dans une villa au canton de Vaud, à proximité de Lausanne. Les deux
hommes natifs d’Ouajda, au Maroc, se connaissaient
depuis les années 1950.
Abdelaziz Bouteflika
était soutenu en Suisse par un autre homme d’affaires, natif d’Ouajda aussi, Mustapha Berri. Bouteflika et Berri avaient
grandi ensemble dans la ville du Maroc oriental, restés proches pendant plus de
quarante ans. Berri, décédé en 2016, était un homme aussi secret que Kouninef. « Ahmed Kouninef
était très pointu pour créer de sociétés-écrans dans les paradis fiscaux, ce
qui n’est pas forcément illégal. Ses enfants, notamment Redha,
ont été bien formés dans des écoles de commerce à Lausanne », témoigne un
homme d’affaires installé à Genève, dans un journal suisse.
Les trois frères Kouninef, menés par Redha,
nettement plus intelligent que les deux autres, ont vu s’ouvrir devant eux un
immense boulevard après l’arrivée de l’ami de leur père au sommet de l’Etat
algérien. Redha se lie rapidement d’amitié à Saïd
Bouteflika, conseiller du nouveau président. Une
relation qui se renforce après la mort d’Ahmed Kouninef
en 2006. Bouteflika, déjà fragilisé par la maladie, s’était senti obligé de
protéger les enfants de son bienfaiteur d’ami. « C’était une carte blanche
donnée aux frères Kouninef », se rappelle un
ancien cadre.
Kou.G.C, « la moelle épinière » du groupe Kouninef
Dans les salons de
Club des Pins, résidence d’Etat, Rédha Kouninef était considéré comme « un président ».
Bien introduit, Redha Kouninef
a constitué un véritable réseau d’influence à Alger et à Oran pour placer ses
« hommes et femmes » dans des postes de responsabilité. Natif d’Oran,
Abdelkader-Karim Kouninef, 50 ans, était le plus
« exposé » de la fratrie. Après des études de commerce en Suisse, il
rentrait au pays dans les années 1990 pour s’occuper des chantiers de Kou.G.C à Hassi Messaoud.
Kou.G.C,
créé au début des années 1970, est spécialisée en travaux publics, bâtiment,
génie civil et hydraulique. Elle est parmi les premières entreprises privées
algériennes à investir dans le secteur pétrolier dans le sud du pays. Elle a
notamment travaillé avec la firme américaine Mobil. Kou.G.C
est souvent présentée comme « la moelle épinière » du groupe Kouninef. Un groupe qui pèse plus de 500 millions de dollars.
« Il faut
savoir que j’ai commencé tout en bas. Petit à petit, j’ai gravi les échelons
et, en parallèle, je m’occupais d’une entreprise qui exportait du café au
Cameroun. C’est pour dire un peu que j’ai touché à beaucoup de
secteurs », a confié Abdelkader-Karim Kouninef,
en 2011, dans une interview au Dziri Magazine dans
laquelle, il révélait que son père l’envoyait dans les chantiers dès l’âge de
12 ans en le privant de vacances. C’était aussi la première fois que le
visage de l’aîné des Kouninef apparaissait en public.
Les Kouninef évitent la presse, les apparitions en
publics, les réseaux sociaux, les déclarations, la lumière…Un culte du secret
perçu comme « un moyen » de se protéger.
Ne pas
« mélanger » politique et argent
Le conseil du père
était d’éviter de mélanger « argent et politique » pour réussir.
Installée à la Rue des Tourelles, à Hydra, à Alger, Kou.G.C
s’est diversifiée en s’intéressant à d’autres secteurs comme la pose des lignes
électriques à haute tension, le négoce des minerais et l’agroalimentaire.
Profitant du soutien politique des Bouteflika, le groupe a lancé d’autres
entreprises dans le génie civil, la fibre optique, l’immobilier et les
télécommunications.
En 2012, le groupe
employait 5000 salariés dont 20 % d’étrangers. « Je considère que
l’Algérie est encore un bébé. Si aujourd’hui, on ouvre la porte à toutes les
grandes multinationales, où sera ma place en ma qualité d’entreprise privée
algérienne ? « , s’est interrogé
Abdelkader-Karim Kouninef qui trouvait « tout à
fait normal » qu’on freine l’investissement étranger en Algérie. Les
blocages dressés devant cet investissement durant l’ère Bouteflika trouvent ici
une explication partielle ! »En Algérie, tout le monde cherche à
devenir riche rapidement quitte à être illégal. C’est l’histoire de notre pays
qui fait que l’Algérien n’a pas confiance dans le futur. Il n’arrive pas à
investir sur le long terme. Il veut tout, tout de suite », a soutenu,
plus loin, le fils Kouninef.
C’était exactement
« la stratégie » mise en place par le groupe Kouninef
qui profitait de la commande publique, prenait les projets sans les terminer (à
Ain Oussera, Jijel, Laghouat et Ksar El Boukhari notamment), faisait la sur-facturation
sur des projets obtenus et accédait aux crédits bancaires sans garanties
suffisantes, selon l’enquête ayant abouti à la mise en prison des fils d’Ahmed Kouninef.
De
juteux contrats
Des crédits qui ont
surtout profité aux filiales Nutris, Unihuile, Monetix, Mobilink et Ferial. En 2005,
Kou.G.C peinait à payer ses salariés et ses
sous-traitants, comme ceux travaillant pour un grand projet hydraulique à
Ténès, à Chlef. Malgré cela, elle continuait de
bénéficier de projets y compris avec la Sonatrach et
la Sonelgaz. Des facilités étaient accordées aux
filiales du groupe pour l’obtention de nombreux terrains agricoles et assiettes
foncières notamment à Jijel, Alger et Oran.
Le groupe Kouninef a bénéficié également d’un effacement de 1500
milliards de centimes de dettes, obtenu des « subventions » du Fonds
national d’investissement (FNI) évaluées à près de 20 milliards de centimes et
« décroché » le juteux contrat de l’extension du métro d’Alger (3,6
km, entre Haï El Badr et Aïn Naâdja)
pour un montant de 115 millions de dollars avec le français Colas Rail. Les Kouninef ont obtenu aussi avec beaucoup de facilités pour
leur filiale Secour Group (société de gardiennage
armé) deux contrats importants de protection et de surveillance pour le compte
de GTP (Grands travaux pétroliers) à Hassi Messaoud et pour une autre société à In Amenas.
Sonatrach
leur a confié aussi le marché de réalisation d’une base-vie au niveau du
gisement gazier de Tin Fouyé Tabankort
(TFT). Le groupe Kouninef a également décroché
l’important marché de la carte Chifa, en s’associant
avec le franco-néerlandais Gemalto, à travers la
société Tesiame. Il a obtenu en un claquement de
doigt le contrat de BaridiNet avec Algérie Télécom et
celui de déploiement de terminaux de paiement électronique pour le compte de la
Satim (Société d’automatisation des transactions
interbancaires et de monétique).
280
milliards de centimes pour un projet non réalisé
Et, à travers sa
filiale Mobilink, le groupe Kouninef
a signé en 2004 un « protocole d’accord transactionnel » pour
l’installation de 20.000 cabinets de téléphonie fixe sous la marque Oria. Développer la téléphonie fixe alors que le pays
comptait déjà des millions d’abonnés à la téléphonie mobile était déjà un non
sens. De retard en retard, le projet n’a jamais été réalisé, malgré
l’installation de quelques cabines dans les grandes villes avant d’être
arrachées.
L’objectif tracé par
Redha Kouninef était tout
autre : accuser Algérie Télécom de n’avoir pas respecté ses engagements
contractuels et la faire payer. En 2017, Algérie Télécom a été forcée à verser,
après une procédure judiciaire, 280 milliards de centimes, presque 30 millions
de dollars. Un véritable scandale puisque les comptes du groupe public ont été
gelés pour l’obliger à verser la somme réclamée, présentée comme un
dédommagement. En 2015, un juge d’instruction du tribunal de Mostaganem a
ouvert une enquête sur une affaire de blanchiment d’argent impliquant
Tarik-Noah Kouninef. L’affaire a été étouffée et le
mandat d’arrêt lancé contre le fils d’Ahmed Kouninef
annulé.
Faillite
en série
Selon la presse
suisse, plusieurs entreprises crées par les Kouninef,
souvent de taille modeste, déclaraient rapidement leur faillite. Une faillite
en série. C’était le cas notamment de LITL SA, spécialisée en travaux
hydrauliques et électriques, dissoute en 2007. Almass
International, entreprise de transformation et de négoce de pierres précieuses,
d’exploitation minière et forestière et de travaux pétroliers, a également été
liquidée en mai 2011 par décision du tribunal de Lausanne.
Almass
International, qui était administrée par Tarik-Noah Kouninef
et son épouse Ahlam, portait le nom de Kaizer Gaz Construction International avant de changer
d’appellation et de disparaître ensuite. Autre société: Bol d’air SA,
spécialisée en édition des magazines et en organisation de voyages, a également
mis la clé sous le paillasson.