VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ESSAI
NASREDDINE AKKACHE-« LES COULISSES D’UNE DÉCENNIE ALGERIENNE… »
LES COULISSES D’UNE DÉCENNIE ALGERIENNE . TÉMOIGNAGE D’UN COMMIS DE L’ÉTAT. Essai de Nasreddine Akkache (préface de Bakhti Belaib ). Editions Non-Lieu,
Paris 2014, 231 pages, 1500 dinars
Quatorze années après sa mise à la retraite,
et forcé à l’exile, voilà donc un haut fonctionnaire, s’appuyant sur sa seule
mémoire, qui « se met à table » , l’a
fameuse « obligation de réserve » n’étant plus applicable à son cas.
Il dit tout, ou presque tout, sur ce qu’il a vu, ce qu’il accompli, ce
qu’il a subi, ce qu’il a réussi, ce qu’il a raté durant une assez longue carrière de (haut-) fonctionnaire , bien souvent à des
postes-clé de la gouvernance du pays , tant au niveau local que central.
Cala commence très fort avec « la
premier règne d’Ouyahia, 1995-1997. C’est le temps
des « gesticulations et des incertitudes », au moment ou le pays
vivait un des épisodes les plus dramatiques et les , plus
sanglants de son histoire contemporaine. Le président Liamine Zeroual venait
d’être élu le 16 novembre 1995 et Ouyahia allait
remplacer Sifi.
L’auteur était déjà à la primature en tant que chargé de mission (Belaib Bakhti l’était aussi) . Il savait qu’il ne serait pas en « odeur de
sainteté », malgré les paroles « mielleuses ». du « Chef ».D’autant qu’une atmosphère malsaine et
délétère allait très vite
s’installer face à l’arrogance et à la condescendance. Ainsi , les conseils interministériels et les conseils de
gouvernement allaient devenir de « véritables supplices » pour
chacun, « les susceptibilités étant parfois mises à rude épreuve » .
On eut dans la foulée –comme d’habitude -
une « armée de sacrifiés et une chasse aux sorcières » (des gestionnaires,
des Dec... accusés de mauvaise gestion...et qui
furent, pour beaucoup acquittés lors de
procès équitables....mais que de foyers détruits et de familles disloquées et
de déprimes inguérissables !)
« Les années de feu » furent, aussi le temps des illusions et de la
perfidie .....les
cadres, en général, « ne s’appartenant plus, encore moins à leur
famille ou à leur entourage : le rythme, les exigences et les
circonstances n’avaient plus rien d’humain ».Durant ces années-là,
« le cadre algérien n’est pas un taré congénital, comme semblent le
suggérer quelques esprits malfaisants »....c’est un « cadre qui aime
foncièrement son pays et qui est prêt à payer le prix fort pour le
préserver ». Il est vrai que les « farces » électorales
programmées et le règne d’un « système rentier » avec toutes
ses aberrations ont entraîné une contestation permanente, en facilitant pas la
tache des « commis de l’Etat ». Ainsi, des zones de non-droit se sont
constituées, entre autres, grâce « au chantage citoyen auprès d’un pouvoir
public de plus en plus sur la défensive et fortement affaibli »
La « décennie noire » est devenue
assez vite rouge du sang des victimes – pour ceux qui résistaient, combattaient
ou protestaient ou tout simplement n’aidaient pas -du terrorisme islamiste. Les citoyens dans
la précarité et en marge du développement cantonnés dans les banlieues dépourvues de toutes les commodités
, frappés durement par le chômage la mal vie ne pouvaient longtemps
résister aux discours populistes, promettant de surcroît le paradis sur terre
ou, à défaut, dans l’au-delà et la libération d’un joug trop longtemps
subi.
Cela a entraîné, bien sûr la mise en place
d’un dispositif de lutte anti-terroriste..et l’affrontement.....et
des changements continus de gouvernements.......avec ses fauteuils éjectables,
bien souvent en fonction des humeurs des nouveaux arrivants......toujours aux
« oreilles réceptives ».....d’où encore un (court) séjour « au
frigo »
Puis......voilà Ouyahia
qui « règne » une deuxième fois (1997-1998) : « Quelques
satisfactions et beaucoup de reniements » !
L’Auteur : Né en 1954 à Ain Boucif
(Médéa) , diplômé de l’Ena
(Alger) . A exercé plusieurs fonctions supérieures : chef de daira, wali (dont wali d’Alger chargé de la gestion
administrative) , chargé de mission à la Chefferie du
gouvernement puis directeur de cabinet .
Retraite en 2000 , à 44 ans (?!), ce qui en a
fait un des plus jeunes retraités de l’Administration publique.
Extraits : « Ces sorties lui (Ahmed Ouyahia, chef
de gouvernement) ont permis de roder substantiellement son discours et de ses
construire un « personnage » qu’il qualifiait , avec un sourire en
coin et en la jouant modeste , de « saisonnier de la politique » , insinuant qu’il
avait incontestablement la capacité de damer le pion aux plus chevronnés des
« permanents » de la politique » (p 56), « Il n’osait
s’attaquer aux hommes politiques qui l’avaient précédé dans la gouvernance du
pays que s’il se trouvait en cercle restreint. Là, en sa qualité d’initié, il
ne se privait pas de citer des noms, en dénonçant des pratiques immatures et des
goûts immodérés pour la rapine, le lucre et la luxure » (p 59), « Un
opération « mains propres » ! Il n’a pas été le premier, il ne
sera pas le dernier à en déclencher dans un pays où l’amnésie défie parfois la
théorie de l’inconscient » (p 65)
Avis : Etre
mis à la retraite à l’âge de 44 ans à peine
(« alors que des octogénaires, voire des nonagénaires
, continuent de s’affairer dans les arcanes du pouvoir ») a de quoi
vous « braquer » totalement contre le « système », tout en
sachant que vous avez , peu ou prou, contribué, tout en sacrifiant bien des
choses de votre vie, à le construire.
Donc, essai ou pamphlet, un
« réquisitoire » (plutôt les « 2 ou 3 ou 4 vérités »....ce
qui laisse une impression de subjectivité) très bien écrit, assez bien argumenté
car bien documenté .......nous laissant, à la fin, assez « angoissé »
sur l’avenir du pays (et sur le présent aussi !)
Citations : « L’oubli
n’existe pas, il n’est souvent qu’une traîtrise ou une lâcheté de la
mémoire » (p 14) , « Le vertige des hauteurs est tel qu’il trouble
ou altère profondément nos capacités de discernement ; il nous suggère des
attitudes rocambolesques et loufoques comme celles de s’imposer de venir
au bureau à l’heure du laitier» (p 29), « Chez nous, le silence a
toujours constitué un élément fondamental de la gouvernance ; préserver
son siège et sa position a toujours été la principale préoccupation de nos
gouvernants à tous les niveaux de responsabilité » (p 103), « La
paix et la sécurité ne valent et ne durent que par la volonté humaine de les
préserver et à les respecter ;elles
s’étiolent et se cassent dès que ce contrat moral est rompu » (p 117) ,
« Cette propension à voir le complot partout, à nier les évidences de l’histoire
et de la géographie, et à dresser des réquisitoires à charge , allant jusqu’à
surveiller les écarts langagiers, est une constante pour notre appareil
policier, qui n’épargne aucun citoyen, fût-il au-dessus de tout soupçon »
(p 137) « Comme toujours, ce sont les meilleurs qui partent, laissant
derrière eux une population d’opportunistes, de roublards et de planqués qui
chantent la gloire de la paix retrouvée » (p 160), « La duplicité
dans les comportements vous dégoûte à jamais de la politique. En revanche , elle vous enseigne la meilleure manière de vous
mettre à l’abri des péchés mortels » (p 219)