CULTURE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI/BIOGRAPHIE AMER OUALI ET SAID KACED-« IDIR , L’ÉTERNEL »
Idir , l’éternel. Essai(et biographie)
de Amer Ouali et Said
Kaced (Préface de Yasmina Khadra), Koukou Editions, Cheraga Banlieue (Alger), 2020 , 159 pages, 700 dinars
« Idir. Yidhir en Kabyle. Celui qui doit vivre. Qui est promis à
l’éternité. Le prénom donné à un bébé par les couples ayant espéré en vain une
naissance. Ou ayant perdu prématurément un enfant. Yidhir
naît pour vivre longtemps ».
Hamid Cheriet est
né le 25 octobre 1945 dans la famille des Ath-Larvi,
à Ath-Lahcène , un des dix villages qui composent
alors la commune des Ath-Yani………région réputée pour
sa art de ciseler les métaux, dont des armes à feu (….et de la fausse monnaie pour « inonder
les villes contrôlées par la Régence d’Alger)……mais région ayant a connu , en
raison des ses résistances, durant la période coloniale , bien des répressions et dépossessions. Hamid, le futur Idir
grandira , au départ, avec deux frères et une sœur
dans une certain dénuement , face à une
montagne peuplée de légendes et à un écrin de collines perlées de
villages. Durant le guerre de libération nationale,
avec d’autres enfants, tout en gardant les chèvres, il apprend à chanter les
louanges de l’insaisissable Amirouche…..Déjà, la flûte ne le quittait pas….même si cela
agaçait son père.
Il y a , aussi,
l’école, puis le collège (où il y découvre l’arpège), puis Alger, en 1959 (connaissant, déjà , disait-il , un
certain déracinement dans son propre pays, car on y parlait « une autre
langue que la mienne » ….puis le lycée (Gauthier et Emir Abdelkader), puis
le bac, Sciences ex’…puis l’Université
durant cinq années (géologie/ Fac’centrale)
Le reste est
une longue histoire faite de rencontres (le hasard et la nécessité)
, certaines lumineuses , d’autres
enrichissantes, avec Cherif Kheddam, Mouloud Mammeri,
le poète Benmohammed, les animateurs de la chaîne 2,
le poète Mohya, Abdelmadjid Bali, Arezki Nabti , les frères Sadi….les escaliers mythiques de la
Bu……….et , en l’absence de Nouara, qu’il devait
accompagner à la guitare, lors d’une émission radio de Bali , il est « poussé » par « Moh Bab el Oued » le
producteur, à passer seul pour combler
le vide……Hors de question que son nom soit diffusé…..Naissance d’un
pseudo…..qui va franchir le temps et l’espace. Alea jacta est (“Le sort en
est jeté”)!
La suite est une autre histoire faite des succès (avec un
premier 45 tours de deux chansons dont « Vava Inouva »,
enregistrée « clandestinement », grâce à Dda
Cherif , à la
radio publique) qui se suivent, bien souvent loin du pays natal…..un pays
toujours au cœur. C’est , d’abord, la chanson kabyle qui conquiert l’Algérie et qui entre dans les
foyers. Ensuite, lors de la visite du président Valéry Giscard d’Estaing en Algérie , ne voilà-t-il pas qu’Elkabach,
le juif d’Oran, qui, animant une
émission spéciale à partir d’Alger, diffuse « Vava
Inouva »……Idir
conquiert , d’abord à travers la communauté algérienne , le marché
européen. Le monde va suivre assez
rapidement.
Son seul regret, ne pas avoir assez chanté en
Kabylie, région qu’il incarnait… Une bataille judiciaire contre ses anciens
producteurs….. les années 90 avec ses années de drames dûs
au terrorisme…. les années 2000 de Bouteflika avec un culte de la personnalité
étouffant….la maladie…..la peur bleue de la récupération politique , et
seulement des courtes visites beaucoup plus de pèlerinage et d’études.
Heureusement un « immensitissime » concert , début janvier 2018, à la Coupole Boudiaf
d’Alger…..
Malade, Idir s’en
est allé le 2 mai 2019, victime d’une fibrose pulmonaire, une maladie n’ayant
pas encore de solution thérapeutique….mais
son œuvre lui survit….et ses chansons (dont Vava Inouva, Ssendu ou Azger) resteront , au-delà des genres , des modes et du
temps….éternelles. Paix à son âme !
Les
Auteurs : Amer Ouali est un ancien
prof’ de français et , journaliste, il avait dirigé le
bureau Afp d’Alger de 2014 à 2017. Lauréat, avec ses collègues d’Alger, du prix Bayeux (1997) et du Prix Pierre Lazaref du reportage (1998). Déjà auteur d’une recueil de poèmes , en 2020 (« Une cuillère de braises »).
Said Kaced , est un ancien journaliste, enseignant de français (en France/Normandiie). Auteur d’un essai, « Kabylie assassinée (2001), d’un roman
(en 2007) et d’un autre essai avec Meziane Ourad (en
2002)
Quant
au préfacier, il n’est plus à présenter.
Sommaire : Préface/
Présentation/ Avertissement/ 16 chapitres accompagnés d’un 17ème
comportant des Textes choisis, en français (Ajeğğig,
Mliyi, Tout ce temps, Le silence de la montagne, Ur zrɣ(Je
ne sazs …) , Sans ma fille, Le rêve, Ce cœur venu
d’ailleurs (duo avec Noa).
Extraits : « Idir, en ce temps là (note : années 70) était
la voix des moments de grâce .Il était surtout ce visage radieux qu’on
s’évertuait à arborer devant le monde entier » (Yamina
Khadra, préface, p 6), « Chaque chanson de Idir est un livre. Elles sont toutes porteuses de messages
précis et directionnels. Les thèmes choisis puis explorés sont souvent
revendicatifs, exprimés à la fois dans une poésie accessible et une musicalité
sereine et pédagogique… » (Azouz Hachelaf, présentation, p 13), « Il est porteur de
« kabylité », cette irrépressible sensation
provoquée par un mot, une image, un son et qui s’exprime sous la forme d’un
frisson qui parcourt le dos et « électrise le corps.. » (p 39),
« L’irruption d’Idir est une rupture. C’est une
« déchirure créatrice » juge le sociologue Kamal Chachoua »
(p 58), « Chez Idir, il y a la mélodie, les sonorités. Il y a aussi
la langue. elle est débarrassée de toutes les scories.
Les mots sont des images et créent des sensations » (p 59), « Quand
je retourne en Algérie, ce pays que j’aime, même si je suis un nationaliste
révolutionnaire, comme diraient certains, je vais là où je suis né » (Idir, p 128) , « Ce n’est pas
un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille « (Pierre
Bourdieu à propos d’Idir, p 147)
Avis : « Idir s’en est allé et son œuvre lui survit, déjà ample et
vivante dans nous cœurs . Pour chaque moment de la
vie, Vava Inouva, Ssendu ou Azger viendront
spontanément s’immiscer en nos joies et nos peines » (p 150). Il a très
rarement chanté en Algérie, mais il a fait connaître l’Algérie à travers le
monde grâce à la chanson kabyle. A signaler un chapitre très émouvant, « Ssendu,
au nom de la mère » (pp 105-110),
celui consacré à sa mère, à la femme
(kabyle) , à l’amour paternel.
Citations : « Pour
exister, il faut être visible, et pour être visible, il faut agir, créer et
séduire » (Azouz Hachelaf,
présentation, p 13), (Chez les artistes), il y a besoin de mythes et de
repères, mais pas au point de manquer totalement de créativité. Il faut un peu
de « vache enragée » (p 94) , « Etre
universel, c’est , bien sûr, sauvegarder nos valeurs, mais il faut laisser la
culture kabyle s’oxygéner un petit peu, car j’ai l’impression qu’on
étouffe » (Idir, p 98)