VIE POLITIQUE
–PERSONNALITES- SAID BOUTEFLIKA – PORTRAIT LIBERTE (2003)
© Farid
Alilat, facebook, vendredi 4 septembre 2020
« Said
Bouteflika donnait des ordres à mon père alors qu'il était en état d'ivresse »,
dit le fils (Skander) de Djamel Ould Abbès au tribunal (Tribunal de Sidi M’hamed/Alger,
mercredi 2 septembre 2020) . Djamel Ould Abbès dit dans le même tribunal que
Said faisait la pluie et le beau temps à la présidence. Tayeb Louh dit au juge
que Said dirigeait le ministère de la Justice. Bref, le frère de Bouteflika
était l'autre « Reb Dzaïr ».
En août 2003, alors directeur de « Liberté », j'avais demandé
à une de nos journalistes de faire une enquête sur Said Bouteflika. Je l'ai
publiée dans l'édition du jeudi 7 août
2003, cinq jours avant la Une "Tous des voleurs?! Expliquez vous !
" 17 ans après sa publication, ce portrait est remarquable de justesse.
Bien sûr avec le recul et avec tout ce que l'on sait maintenant de la
gouvernance des deux frères, on pourra toujours dire qu'il manque ceci ou cela
à ce portrait, qu'une information est biaisée, erronée ou fausse.
Ramenée au contexte de l'époque, sa
publication pouvait être considérée comme osée ou courageuse. Il n'y avait
aucun courage à publier un portrait de Said Bouteflika. Pour ma part,
j’estimais que le frère du président était devenu, un an avant la fin du
premier mandat de Bouteflika, un personnage tellement important qu'il fallait
lui consacrer un portrait fouillé. C'était d'autant plus pertinent et opportun
que Said était un homme de l'ombre, un intriguant qui cultive le mystère. J'ai
choisi de le titrer " Said Bouteflika ou le Président Bis" parce que
c'était exactement ce qu'il était en 2003. Il le sera encore davantage au cours
des 15 ans qui suivront ce fameux premier mandat.
Beaucoup de lecteurs n'ont sans doute
pas lu ce portrait signé Nadia Mellal.
Je le reposte ici parce qu'il permet de mieux connaitre ce personnage. On n'a
pas encore fini avec Said Bouteflika.
PS : Dans cet article, il était déjà de
Said Bouteflika qui humiliait Djamel Ould Abbès et de Tayeb Louh homme des
basses besognes.
IL A ACCAPARÉ LES PRÉROGATIVES DE SON FRÈRE
Saïd Bouteflika ou le Président BIS
Il est l’homme à tout faire à la
présidence. Frère de Bouteflika,Saïd se mêle de tout. Il nomme les hommes,
dégomme des ministres et distribue l’argent à ceux qui lui font
allégeance.C’est le président bis de la République.
Saïd Bouteflika est officiellement
conseiller à la présidence de la République. Il a été nommé à ce poste en 1999
par un décret présidentiel non publiable. Mais dans la réalité, c’est le
Président bis. Rien pourtant ne prédisposait cet ingénieur en électronique,
détenteur d’un doctorat en informatique, aux plus hautes fonctions de l’État.
Il n’en a d’ailleurs pas le profil. Ses collègues de l’université ne
reconnaissent pas chez lui les attributs d’une personne pouvant prétendre à un
destin d’envergure. Membre du conseil national de l’enseignement supérieur
(Cnes) depuis 1995 à la section de Bab-Ezzouar et chargé de cours
d’informatique, ses collègues ne se souviennent pas avoir vu cette personne à
la pointe de n’importe quel combat politique du temps où les islamistes du
front islamique du salut (FIS dissous) faisaient la loi dans les universités. Discret,
il rasait les murs lorsqu’il ne se faisait pas remarquer par ses absences.
Jamais au grand jamais, Saïd Bouteflika ne s’est jeté dans un combat politique
ou à caractère social. Il n’a quitté le confort de cet anonymat qu’au début de
la campagne pour l’élection de son frère. Face à la cohorte de personnalités
grenouillant autour d’Abdelaziz, Saïd adoptait le profil bas. Ne connaissant
personne dans le monde politique et le mouvement associatif, il s’appliquait à
afficher, à l’égard de tous, de la courtoisie. Et une prudence calculée.
D’ailleurs, après l’élection de son frère aîné à la magistrature suprême, il ne
s’était pas précipité au palais d’El-Mouradia. C’est le Président fraîchement
élu qui l’a revendiqué au cours d’un dîner organisé deux semaines à peine après
son élection. Ce jour-là, tous les Bouteflika (Nacer, Abdelghani, Mustapha et
Saïd) étaient présents. “Maintenant, chacun de vous doit rejoindre son poste
!”, a recommandé le Président. Mais sa requête a fortement déplu à Saïd,
racontent de bonnes sources. Et tout le monde, à cette époque, s’attendait à ce
que les frères Bouteflika se fassent oublier en devenant des citoyens comme les
autres. Mais voilà que Saïd réapparaît. À la surprise générale. Comme
conseiller à la présidence. Mais un conseiller bien particulier, sans précédent
dans l’histoire de la présidence algérienne. Il n’est affecté à aucune mission
de réflexion, d’étude ou d’évaluation comme c’est le cas pour tous les autres
conseillers du Président. Opérant d’abord dans l’ombre, il a su étendre son
pouvoir grâce à un jeu de manœuvres et d’intrigues dans lequel il s’est révélé
assez habile. La transparence n’est pas sa tasse de thé. Il ne fait rien au
grand jour qui puisse le rendre comptable de ses agissements. Ses proches rapportent
qu’en quatre ans d’exercice à la présidence, il n’a laissé aucune trace
concrète : pas un rapport n’a été élaboré par lui et aucun document n’a été
signé de son nom. Saïd donne ses instructions, soit directement à ses hommes de
main ou alors par téléphone. Même quand il distribue de l’argent, il s’arrange
toujours pour le donner soit en liquide ou en faisant signer le chèque par une
tierce personne. Une démarche d’ailleurs vérifiée lors d’un périple
présidentiel à Bruxelles en 2001. Lors de cette visite, le chef de l’État était
accompagné par une importante délégation. Saïd n’avait pas signé de chèque pour
payer les frais de prise en charge. Muni d’une valise remplie de billets, il
préférait payer cash. Le personnel de l’hôtel bruxellois dans lequel séjournait
la délégation s’était plaint du fait que Saïd ait “bloqué la caisse pendant
toute une journée”. “Pourquoi paye-t-il cash ? Il n’a pas de chèques ou quoi
?”, se sont interrogés les employés. La discrétion de Saïd s’illustre également
par son absence lors des conseils des ministres. Jamais les membres du
gouvernement n’ont eu affaire à lui, publiquement, à l’occasion de ces
conseils.
La courtoisie de naguère, l’arrogance d’aujourd’hui
À la présidence de la République, ce
conseiller est très craint. La courtoisie de naguère n’est plus là, cédant le
pas à une arrogance qui lui fait manier le mépris et la menace. Le professeur
discret et effacé a appris le langage des puissants au point de semer la
terreur parmi le personnel du palais présidentiel. “Je vais vous broyer, je
vais vous laminer, vos jours sont comptés”, répète-t-il à longueur de journée.
À telle enseigne que personne ne lève les yeux devant lui à la présidence, de
peur d’essuyer ses foudres. Personne ne lui parle non plus. Le personnel se contente
d’exécuter ses ordres. Mais pourquoi tant de mépris à l’endroit du personnel de
la présidence ? Ceux qui l’ont côtoyé disent de lui qu’il ne se considère pas
comme un conseiller du Président pour une durée de cinq ans, mais comme le
conseiller d’un roi éternel. Cela tient du fait que Saïd Bouteflika tout comme
l’ensemble de sa famille d’ailleurs sont nés et ont vécu une bonne partie de
leur vie au Maroc. Ils sont donc imprégnés de la culture monarchique du régime
marocain. Aussi, pour les personnes qui l’ont connu, le frère cadet du
Président est de nature méprisante et se croit tout permis. Pour preuve, son
mépris, il ne l’exprime pas uniquement envers le personnel de la présidence. Il
le témoigne à tout le monde.
Plusieurs personnes ont eu à le vérifier
à leurs dépens. À l’instar, par exemple, de Djamel Ould Abbès, l’ex-ministre de
la solidarité nationale. C’était en septembre 2000, à l’hôtel El-Aurassi, lors
d’une rencontre du gouvernement avec le Medef, en présence du président de la
République. Des membres du gouvernement Benflis, présents sur place, racontent
que Saïd Bouteflika avait proféré contre Ould Abbès des “insultes et des propos
obscènes”. C’était dans un angle du salon où les ministres attendaient le
Président. Mais ce qui avait étonné l’assistance, c’était la réaction de
l’ex-ministre de la Solidarité qui était resté figé. Ce même mépris, Saïd a eu
à l’exprimer à l’ensemble du gouvernement. C’était en 2002, et plus précisément
à l’occasion de la Journée internationale de l’enfance. Ce jour-là, sept
ministres (dont Saïd Barkat, Chérif Rahmani, Boubekeur Benbouzid) étaient
réunis à l’hôtel Moncada pour une réception. Saïd Bouteflika ne voulait pas,
dans un premier temps, intégrer la salle où devait avoir lieu la réception.
“Khalini men rabhoum !”, avait-il répondu, en substance, à une personne qui
l’avait informé de la présence de tous les ministres. Plus tard, Saïd les avait
rejoints. Mais il avait soigneusement évité de se mêler aux invités.
Un contrôleur zélé
Saïd n’est pourtant pas que cela. Il est
systématiquement le contrôleur de tout le cabinet présidentiel. À tel point que
le personnel de la présidence dit de lui qu’il est le “bon Dieu”, ou alors
“c’est un chef d’État bis, avec tous les attributs du Président”. Il fait et
défait les évènements au palais d’El-Mouradia. Mais, surtout, il décide de
tout. Sans en référer à personne. Même pas à son frère, Abdelaziz. C’est le
président de la République qui en a décidé ainsi. Il a donné à son frère toutes
les prérogatives qui lui permettent de gérer la première institution de la
république à sa guise. C’est donc Saïd le véritable gestionnaire du palais
d’El-Mouradia. Il prend les initiatives dans tous les dossiers qui concernent
cette institution. La distanciation de Abdelaziz Bouteflika des affaires de la
présidence de la république tient, en fait, de sa conception même du rôle de
chef de l’État : assis sur son trône de calife, il doit tout simplement régner
par la magie de sa puissance supposée. Tout le reste, c’est-à-dire la gestion
des dossiers ayant trait à l’État, ce n’est pas de son ressort. Lui, il ne veut
que des résultats. De bons résultats jugés à l’aune de cette conception. Quand
Saïd le consulte et lui pose un problème, ce dernier lui répond :
“Débrouille-toi !” Il a une confiance infinie en Saïd. Cela découle également
du caractère de l’homme. Il est d’une méfiance sans égale, disent ses proches.
C’est carrément la paranoïa. Le rapport aux autres n’est perçu que sous cet
angle. Tout le monde veut lui porter préjudice, y compris par l’attentat ou le
coup d’État. C’est d’ailleurs pour cela que Abdelaziz Bouteflika évite de
manger à la présidence. Des mains indélicates pourraient assaisonner les plats
d’une épice mortelle ! D’où sa décision de ne tolérer que sa famille autour de
lui. Un autre trait de caractère du président se rapporte au culte quasi
mystique qu’il voue à sa mère. La soumission est totale et le frère cadet sait
en tirer profit. C’est, entre autres, pour cette raison que Abdelaziz a donné
carte blanche à son frère. L’entourage du Président ne critique jamais, au
grand jamais, Saïd auprès de son frère. Même s’il les malmène, les insulte ou
empiète sur leurs prérogatives. Ce qui est d’ailleurs souvent le cas. Ils ont
tous peur de lui, mais également de Abdelaziz. Surtout de Abdelaziz. L’actuel
Président est connu, à ce propos, pour sa rancune légendaire. C’est quelqu’un
qui peut garder rancune des décennies durant, sans oublier de se venger au
moment opportun. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs avec Bachir Boumaza,
l’ex-président du Sénat en l’éjectant de son poste, en 2001 pour un différend
qui l’opposait à lui en 1967. En plus, tout le monde sait au palais
d’El-Mouradia que le Président ne compte que sur son frère. Dire du mal de Saïd
signifie forcément s’attirer les foudres du Président. C’est ce qui fait que
les fonctionnaires de la présidence, en s’adressant au chef de l’État, vantent
toujours les qualités de Saïd : “C’est grâce à Saïd que ce dossier a…, c’est
Saïd qui est sur cette affaire…, Saïd a entrepris telles démarches… C’est Saïd
qui m’a…” Une règle à laquelle déroge une seule personne. C’est le général
Larbi Belkheir. À plusieurs reprises, le directeur de cabinet a interpellé le
président sur le comportement de son frère. Larbi Belkheir reproche à Saïd son
ingérence dans des départements qui relèvent des compétences même du directeur
de cabinet. À l’image du protocole, de la sécurité, de la communication. Aussi
et bien que les deux hommes ne se parlent pas, Larbi Belkheir a signifié à Saïd
qu’il outrepasse ses prérogatives en empiétant sur ses plates-bandes. Mais dans
la discrétion la plus totale. Belkheir n’aime pas étaler ses démêlées en
public. Saïd a également étendu son pouvoir à la sécurité présidentielle. C’est
ce qui a provoqué, il y a deux ans, le départ du général Sadek Aït Mesbah après
une colère mémorable. Le général Sadek a été promu juste après sa démission au
rang de chef adjoint de la région militaire de Tamanrasset et ne veut en aucun
cas parler du président ou de son frère. Il a été remplacé à son poste par
Abdelmalek Kerkeb, un général à la retraite. Le service du protocole est
également sous la coupe du frère cadet qui gère l’agenda. De même que le
service communication. Saïd touche à tout ce qui a trait à l’image de marque du
Président. Des sources au fait des rouages de la présidence révèlent, à ce
propos, que c’est bien Saïd qui prend les contacts avec les médias étrangers
pour les entretiens du Président. Ces sources affirment même que la multitude
de voyages de Saïd en Europe se font précisément à cette fin. Avec les médias
nationaux, le frère du Président agit de la même manière. Il convoque
régulièrement des journalistes qu’il rencontre à l’hôtel El-Djazaïr. Saïd les
briefe. Pour les journalistes dont il a besoin, mais avec lesquels il n’a pas
de relation, il les contacte à travers deux de ses fidèles amis : Khomri, le DG
de l’Anep, et Nacer Mehal, le DG de l’APS. Le frère cadet du Président est
aussi “le rédacteur en chef de l’ENTV”, dit-on de sources sûres. Ces dernières
affirment qu’il prend toujours connaissance du contenu du JT avant sa
diffusion. On rapporte qu’il voulait faire le black-out sur le meeting animé
par le secrétaire général du FLN, Ali Benflis, à Blida, en juillet dernier. Il
avait, pour ce faire, totalement bloqué le compte-rendu du journaliste de la
Télé. La raison en est le succès du meeting.
Et ce n’est qu’après l’intervention du
DG de l’ENTV, Hamraoui Habib Chaouki, auprès du Président en personne que
l’Unique a couvert le meeting de Blida.
Quels sont les rapports de Saïd avec le Président ?
Saïd considère Abdelaziz Bouteflika
comme son frère et non comme le Président. Au palais d’El-Mouradia, Saïd
s’estime chez lui, pas à la présidence. Le bureau du Président, lui, est
toujours grand ouvert et il y entre sans protocole. Saïd représente les yeux et
les oreilles du Président. Il l’informe de tout. Il lui expose, dans le menu
détail, tout ce qui se passe dans le pays et tout ce qui touche à sa personne.
Saïd exerce, par ailleurs, un grand ascendant sur le Président. C’est ce que soutiennent
des sources proches de ce dernier. Ils en veulent pour preuve le rôle qu’a joué
Saïd auprès du Président pour le maintien de Tayeb Louh, le ministre du
Travail, à son poste. On rapporte à ce sujet que le Président avait fermement
décidé de limoger Tayeb Louh de son poste de ministre. C’était en novembre 2002
et plus précisément à l’issue d’une réunion que le Président avait tenue,
pendant plus de trois heures, avec Louh, en présence de Mohamed Terbèche,
ex-ministre des finances, Yazid Zerhouni, ministre de l’lntérieur, et
Abdelhamid Aberkane, ministre de la santé, autour des dossiers de la sécurité
sociale. Le Président, confie-t-on, avait conclu que “Louh est une calamité,
l’incompétence personnifiée et incapable de gérer” ! Il a tranché que “Louh ne
mérite pas d’être ministre” ! Mais Saïd Bouteflika a dissuadé son frère de le
limoger. Comment et à quelle fin ? Il a dit au Président : “Il ne faut pas le
limoger, on a besoin de lui. Grâce à lui, on a un pied au FLN. Puisqu’on ne
peut pas contrôler le FLN via Benflis, on pourra le faire grâce à Louh en
déstabilisant le parti.” Et c’est ainsi que le Président s’est ravisé. Les
mêmes sources révèlent également que c’est bien Saïd qui a convaincu le
Président de démettre Ali Benflis de son poste de chef de gouvernement, en mai
dernier. Il y avait en réalité deux thèses qui s’affrontaient : celle de Larbi
Belkheir et celle de Saïd Bouteflika. Le directeur de cabinet à la présidence
avait proposé au chef de l’État de maintenir Ali Benflis à son poste jusqu’en
octobre prochain et de ne pas le limoger dans l’immédiat. Ses arguments étaient
: “Le laisser maintenant à la tête du gouvernement avec tous les problèmes qui
se posent va l’affaiblir considérablement s’il décidait de présenter sa
candidature. La population lui dira que tu es complice de la gestion chaotique
des affaires de l’État. Le limoger, par contre, maintenant signifie le libérer
et lui donner plus de temps et de pouvoir pour s’occuper des affaires de son
parti.” La proposition de Saïd était tout le contraire. Il revendiquait le
limogeage illico presto de Benflis. Ses arguments étaient : “Son limogeage
provoquerait son affaiblissement considérable. Il sera lâché, lui dit-il, par
ses ministres, ses parlementaires, ses kasmas, ses mouhafadhas et tout le monde
se retournera contre lui. S’il reste au gouvernement, il nous bouffera et
installera ses relais partout.” En définitive, le frère conseiller a dit au
Président : “Tu le limoges et le reste, c’est nous !” Devant ces deux cas de
figure, le Président a tranché pour la position de son frère. Personne ne sait
pourquoi. Toujours est-il que, malgré cette implication du frère cadet dans
cette affaire, ce n’est pas pour autant lui qui a exercé le chantage sur Ali
Benflis pour son maintien à la tête du gouvernement. C’est bien Larbi Belkheir
qui a exigé de Benflis de “soutenir avec le FLN la candidature de Bouteflika
pour 2004 contre son maintien au gouvernement”. Ceci confirme que Saïd possède
la haute main sur les nominations. Il n’a pas besoin de recommander une
personne, dit-on. Il ordonne tout simplement. Comment procède-t-il ? En
précisant à ses interlocuteurs : “Erraïs gal” (c’est le Président qui a dit).
Mais Saïd n’exerce ce pouvoir que sur les ministres du Président. Selon des
sources sûres, il interfère aussi dans les dossiers de certains ministres. On
dit d’ailleurs qu’il est le véritable gestionnaire du ministère de
l’enseignement supérieur et pas Rachid Harraoubia, le ministre en charge du
portefeuille. L’ancien professeur ne semble pas vouloir couper avec son corps,
même si son constat a changé par rapport à celui du Cnes dont il était membre.
La soumission de Rachid Harraoubia est telle que Saïd avait pensé à lui pour
succéder à Benflis à la tête du gouvernement.
Comment Saïd prépare-t-il un second mandat pour son frère ?
Les personnes très au fait des
convulsions du sérail disent de Saïd qu’il est obnubilé par un second mandat
pour son frère. Il en fait même sa raison de vivre, disent certains. Dans ce
cadre, l’argent compte beaucoup pour lui. Son slogan : “L’argent d’abord.” Pour
faire une bonne campagne, selon lui, “il faut beaucoup d’argent”. Mais comment
l’obtenir ? “En encourageant ceux qui en ont et qui peuvent dans le même temps
soutenir Bouteflika.” Un autre aspect de la personnalité de Saïd est qu’il
“aime beaucoup les affaires”. C’est ainsi qu’il organise, régulièrement, des
rencontres avec des hommes d’affaires. C’était d’abord au restaurant le Bardo à
Alger. Mais depuis que la presse fait état des manœuvres du frère-conseiller,
ce dernier a opté pour des rencontres privées dans les résidences d’État qui
sont aussi sous sa férule. Comment ? En contrôlant les directeurs des
administrations générales (DAG) de ces résidences. Celles situées au
club-des-Pins, elles sont gérées par M. Melzi. S’agissant de celles réparties
sur l’ensemble du territoire national, elles sont dirigées par M. Mezhoud.
C’est Saïd, par ailleurs, qui donne instruction pour héberger telle personne ou
telle délégation dans telle ou telle résidence d’État. Cela dit, lors de ses
rencontres avec les hommes d’affaires, Saïd leur dit : “L’après-Bouteflika sera
très difficile. Ceux qui vont venir après lui vont nous détruire. C’est pour
cela qu’il faut tout faire pour qu’il soit réélu.”
Outre les affaires, Saïd est en contact
avec les walis. En juillet, il leur avait demandé un listing des associations
susceptibles d’aider à la réélection du Président. Une fois sélectionnées, ces
associations ont été convoquées à la présidence. Saïd les a briefées autour du
mot d’ordre : “Pour un second mandat du président” et les a orientées vers “le
Fonds de solidarité” placé sous l’autorité du ministre Tayeb Belaïz. Le
ministre est chargé de donner des subventions à ces associations.
L’autre instruction de Saïd aux walis
consiste à octroyer les marchés publics aux entreprises qui peuvent aider le
Président : “Vous leur dites que c’est le Président qui donne les budgets aux
wilayas, il faut donc, en contrepartie, nous aider avec 10% de bénéfices.” Du
coup, dans les wilaya, on surnomme Saïd “Monsieur 10%”. Dans cette quête folle
d’un second mandat pour son frère, Saïd sollicite même l’argent de la
Sonatrach. Des sources affirment qu’il s’arrange toujours pour être présent au
moment où des responsables de Sonatrach remettent des chèques aux clubs sportifs.
Des sources affirment que c’est bien Saïd qui recommande les clubs sportifs
auxquels il faut remettre les chèques auprès de Chakib Khellil, le ministre de
l’énergie et des Mines. Mais, en contrepartie, les clubs doivent se mobiliser
pour son frère.
Saïd finance aussi les congrès des
organisations. C’est ce qu’il a fait avec l’organisation nationale des enfants
de chouhada (Onem) de Khalfa M’barek. Ce membre du bureau national du RND, à
qui il aurait donné la faramineuse somme de 700 millions de centimes, tente
actuellement de faire basculer la tendance au sein de son organisation pour
l’amener à soutenir Bouteflika pour 2004. Saïd a fait de même avec Bounedjma,
le président de l’organisation des fils de chahid. Il lui aurait offert la
somme de 500 millions de centimes lors de son conseil national, tenu le
week-end dernier. Cette organisation dont le président d’honneur n’est autre
que Saïd Barkat, le ministre de l’agriculture, a exprimé, tout récemment, son
soutien à un second mandat du président.
Récemment, par ailleurs, le frère du
Président a contacté ses anciens amis du Cnes. Il voulait les inviter “à
prendre un café ensemble”, rapporte une source proche de ce syndicat. Ces
derniers, qui ont vu dans cette invitation une intention électoraliste, lui ont
répondu sèchement que “ce café on l’attendait depuis 4 ans”.
N. M.
Ses voyages à l’étranger
Saïd fait beaucoup de déplacements aux
Émirats arabes unis et plus précisément au ranch acheté par son frère. Ses
déplacements, il les effectue soit via Paris, soit via Genève. C’est pour
“brouiller les pistes”, expliquent des sources sûres. Des témoins oculaires
rapportent que, le jeudi 3 novembre 2001, le frère du Président s’était rendu à
Dubaï sur un vol de Khalifa Airways. À l’aéroport de cette ville, il a était vu
en train de récupérer 18 valises et cabas. Impossible de savoir ce que
contenaient ces bagages. Mais il ne pouvait s’agir de vêtements ou d’affaires
personnelles, puisque Saïd reprendra le vol à destination d’Alger cinq jours
plus tard. Soit le 8 novembre, en classe affaires. Parti seul d’Alger, Saïd
rentrait ce jour-là en compagnie d’un jeune homme d’Ighil Ali.