DEFENSE- DOCUMENTS ET TEXTES REGLEMENTAIRES-
ESSAIS NUCLEAIRES FRANÇAIS AU SAHARA- RAPPORT ICAN FRANCE 2020
© Synthèse Nadjia Bouzeghrane/El Watan, jeudi 27
août 2020
A l’appui
de leur étude, «Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais
nucléaires français en Algérie : analyse au regard du Traité sur
l’interdiction des armes nucléaires», publiée par la fondation Heinrich Böl, présentée mercredi
(26 août 2020) en conférence de presse à Paris, Jean-Marie Collin, expert et co-porte-parole
d’ICAN France (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons France) et Patrice Bouveret,
directeur de l’Observatoire des Armements et co-porte-parole
d’ICAN France fournissent de nombreuses raisons techniques, juridiques et
politiques qui expliquent pourquoi le dossier des essais nucléaires ne peut
être clos.
Les deux auteurs de l’étude rappellent que les présidents
Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron «semblent vouloir faire avancer cette question». «Ils ont chacun
nommé (en juillet 2020) une personnalité pour réaliser un travail mémoriel de
‘‘vérité’’ entre les deux pays incluant la question des essais nucléaires.
Leurs conclusions sont attendues pour la fin de l’année 2020.»
Par cette
étude, Jean-Marie Collin et Patrice Bouveret affirment qu’ils souhaitent contribuer à un «débat qui aborde les trois dimensions des essais nucléaires :
leur irresponsabilité du point de vue de l’environnement et de la santé publique,
leurs effets déstabilisateurs d’un point de vue politique et leur injustice
d’un point de vue post-colonial».
Pour ce
faire, ils font référence au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires
(TIAN) comme un outil efficace pour traiter les trois dimensions sus-mentionnées, car ce traité contient «des obligations positives pour la décontamination des zones
touchées et une interdiction claire de toute forme d’essai nucléaire» ; en outre, le TIAN «met fin à
la pratique du deux poids, deux mesures», car ses
droits et obligations sont les mêmes pour tous les Etats parties au traité. En
juin 2020, le TIAN compte 81 signataires et 38 ratifications. Le traité entrera
en vigueur lorsqu’il aura atteint 50 ratifications.
Entre 1960
et 1996, la France a réalisé 17 essais nucléaires en Algérie et 193 en
Polynésie française. En Algérie, les essais atmosphériques et souterrains ont
été effectués sur les sites de Reggane et d’In Ekker, «dans une
atmosphère de secrets et de conflit, entre une nation algérienne en construction
et une puissance coloniale en quête d’une autonomie stratégique».
Une
majorité d’essais – 11 – a été réalisée postérieurement aux Accords d’Evian du
18 mars 1962 qui actent l’indépendance de l’Algérie. «Il faudra attendre les années 1990 pour lire les premières études
indépendantes relatant certains événements sombres de cette période.» En effet, les premières recherches spécifiques sur les
conséquences des essais nucléaires français ont débuté en 1990, avec les
travaux de l’Observatoire des armements, sous la direction de feu Bruno Barrillot.
«Face à
l’absence de documents et au poids du ‘‘secret défense’’, l’objectif était
alors d’apporter de l’information sur le programme des essais nucléaires et sur
leurs conséquences, en recueillant le plus grand nombre de témoignages sur les
différents acteurs, sur l’implantation des sites, sur les conditions de vie et
sur les accidents qui se sont produits tant au Sahara qu’en Polynésie.»
Les
révélations sur des accidents lors de certains essais, sur la mise en danger
des populations comme des soldats, en Algérie comme en Polynésie, permettront
de parvenir à l’adoption de la loi du 5 janvier 2010 «relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes
des essais nucléaires français». Mais
celle-ci ne prend pas en compte les conséquences environnementales. Et «si 75 propositions d’offre d’indemnisation ont été faites auprès
de victimes civiles et militaires ayant séjourné en Algérie durant la période
des essais, une seule victime ‘‘habitant en Algérie’’ a reçu une indemnisation
en près de 10 ans ! Cette importante différence de traitement s’explique en
grande partie par l’impossibilité pour les habitants et les ‘‘Populations
laborieuses des oasis’’ (PLO), selon le nom donné aux travailleurs algériens
recrutés pour effectuer différents travaux, de prouver leur présence par des
documents écrits (feuille de salaire, contrat, preuve de résidence), sur les
zones désignées par la loi, sans oublier l’absence de documents pour la demande
d’indemnisation en langue arabe…». Selon
les chiffres du ministère de la Défense, 150 000 personnes civiles et
militaires ont participé aux essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le
27 janvier 1996, sans compter les populations saharienne et polynésienne.
Le
«‘‘passé nucléaire’’ ne doit plus rester profondément enfoui dans
les sables»
Pour
l’Algérie, en raison de «relations
franco-algériennes tumultueuses, d’absence d’archives consultables, d’absence
de registres des travailleurs locaux ayant participé aux essais, les données
sur les conséquences des essais restent très parcellaires et incomplètes». C’est seulement en 2010, grâce à une «expertise indépendante»,
que fut révélée une carte du ministère de la Défense français montrant que le
continent européen fut aussi affecté par des retombées des essais nucléaires
réalisés tout au sud du Sahara.
Les
auteurs de l’étude précisent que «si
aujourd’hui, les connaissances sur les essais nucléaires, les accidents et
leurs conséquences sont plus nombreuses, il manque toujours d’importantes informations
concernant la présence de grandes quantités de déchets nucléaires et non
nucléaires pour assurer la sécurité des populations et la réhabilitation de
l’environnement». Dès le début des
expérimentations nucléaires, la France a pratiqué une politique d’enfouissement
de tous les déchets dans les sables, rappelle l’étude. Le désert est alors vu
comme un «océan», ou du simple tournevis – comme le montrent dans cette étude des
notes «Secret défense» et des photos – aux avions et chars, tout ce qui est
susceptible d’avoir été contaminé par la radioactivité doit être enterré. «La France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni
leurs quantités. A ces matériaux contaminés, laissés volontairement sur place
aux générations futures, s’ajoutent deux autres catégories : des déchets non
radioactifs (issus du fonctionnement et du démantèlement des sites et de la
présence de l’armée algérienne depuis 1966) et des matières radioactives
(sables vitrifiés, roche et lave contaminées) issues des explosions
nucléaires.» «Cet ensemble de déchets se retrouve en très grande partie à l’air
libre, sans aucune sécurité, et accessible par les populations créant une forte
insécurité sanitaire et environnementale.» En
1997, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques français reconnaissait que «sur la
question des déchets qui auraient pu résulter des campagnes d’essais réalisées
au Sahara, il n’existe aucune donnée précise».
Cette
présente étude «Sous le sable, la radioactivité !» est une première réponse et
dresse ainsi un inventaire de l’ensemble des déchets, notamment radioactifs,
présents sur ces sites, précisent ses auteurs. Des déchets qui devraient faire
l’objet d’un travail approfondi de repérage et de récupération sur le terrain
par des équipes spécialisées et avec des observateurs indépendants.
Un travail
qui apparaît désormais possible avec l’adoption, le 7 juillet 2017, du Traité
sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Les articles 6 («Assistance aux
victimes et remise en état de l’environnement») et 7 («Coopération et
assistance internationales») comportent des obligations pour s’assurer que les
zones contaminées soient pleinement connues, pour protéger les populations, les
générations futures, l’environnement et la faune de cette pollution. Cette
étude s’inscrit donc aussi sur «la mise en
œuvre de ce droit qui est en cours de création».
«Tout oppose
la France et l’Algérie. L’un est dit ‘‘doté’’ et l’autre ‘‘non doté’’ au sens
du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et leur vue sur le TIAN sont à
l’opposé».
«La France
n’a cessé de le dénoncer, l’Algérie a participé aux négociations du TIAN, signé
le traité et débuté son processus de ratification. Une fois que le traité sera
ratifié par l’Etat algérien et entré en vigueur (perspective pour 2020-2021),
Alger devra mettre en œuvre ses obligations positives (articles 6 et 7).» «Même si la France refuse de se lier
au TIAN, elle pourrait très bien participer à ce processus.»
En effet,
l’ouverture depuis 2012 «d’un
nouveau chapitre de leurs relations», selon la
Déclaration d’Alger, signée entre le président Hollande en visite officielle en
Algérie en décembre 2011, et le président Bouteflika, «comme la poursuite d’initiative (groupe de travail mixte
sur l’indemnisation des victimes algériennes des essais, Comité
intergouvernemental de haut niveau algéro-français)
montre que ce travail de coopération peut être réalisé, sans que la France ne
rompt avec sa position actuelle concernant le TIAN».
Et les auteurs
de l’étude de rappeler qu’«il existe
de nombreux cas de coopération interétatique de programmes d’assistance, dont
l’histoire les a opposés ou dont l’un des deux ne reconnaît pas des obligations
légales internationales. Des cas qui peuvent constituer un modèle à suivre pour
la relation entre la France et l’Algérie».
Cette
étude propose ainsi «un ensemble
de recommandations (mesures de dialogue entre les deux Etats pour améliorer la
situation humanitaire ; mesures concernant les déchets nucléaires ; mesures de
protections sanitaires ; mesures auprès des populations, réhabilitation et
protection de l’environnement) pour parvenir à faire évoluer cette sombre page
atomique de l’histoire entre la France et l’Algérie». Et de considérer que le «‘‘passé
nucléaire’’ ne doit plus rester profondément enfoui dans les sables».
En
soulignant qu’«après des décennies d’affirmations
mensongères, il faudra attendre 2016 pour qu’un président de la République,
François Hollande, lors d’un déplacement en Polynésie, théâtre de 193 essais
nucléaires, déclare : ‘‘Je reconnais que les essais nucléaires menés entre
1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué
des conséquences sanitaires’’. Les Algériens attendent toujours de la France une
telle déclaration de reconnaissance de l’impact des essais nucléaires».