DEFENSE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- OFFICIERS
SUPÉRIEURS ANP– MISE A L’ÉCART/JUSTICE
© Salima Tlemçani/El Watan, mercredi 26 août
2020
La fuite organisée
vers la Turquie de l’adjudant-chef Guermit Benouira, boîte noire du défunt chef d’état-major de l’ANP,
a fait tomber de nombreux officiers supérieurs qui entouraient ce
dernier. Ils étaient importants, ils se retrouvent aujourd’hui soit sous
le coup de mandats d’arrêt internationaux pour «haute trahison», soit
emprisonnés pour «enrichissement illicite». Certains sont tout simplement
soumis à une interdiction de sortie du territoire national en attendant la fin
des enquêtes.
Après une
ascension fulgurante dans les grades et les postes, le général Ghali Beleksir, ex-commandant de la Gendarmerie nationale, se
retrouve aujourd’hui sur la liste des fugitifs faisant l’objet d’un mandat
d’arrêt international pour «haute trahison».
Un pied à
la Présidence, un autre à l’état-major de l’Anp, il a
été, durant les deux dernières années, au centre des luttes de clans et des
règlements de comptes au sommet de l’Etat et de l’armée.
Il a
rejoint d’autres officiers supérieurs, les généraux-majors Lahbib
Chentouf, ex-commandant de la 1re Région militaire (RM), et Abderrazak Cherif, ex-commandant de la 4e RM,
ainsi que l’ancien ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar, qui ont tous fuit le pays pour échapper aux
poursuites engagées contre eux, à tort ou à raison, par le défunt vice-ministre
de la Défense et chef de l’état-major de l’Anp.
Contrairement
aux autres, le général Beleksir, et après son
débarquement de son poste en juillet 2019, a quitté le pays par le salon
d’honneur de l’aéroport d’Alger et avec son passeport diplomatique, en
direction de la France, alors que dans les usages, les officiers supérieurs
sont soumis à autorisation pour pouvoir voyager.
Son
épouse, Fatiha Boukhers, l’ex-présidente de la cour
de Tipasa, est partie avec ses trois enfants en France, après avoir bénéficié
d’une mise en disponibilité de deux ans.
L’avènement
du mouvement de contestation populaire du 22 février 2019 a servi
au «débarquement» manu militari de son «protecteur» Tayeb
Louh, ex-ministre de la Justice. Ce dernier était
très proche de son époux, dont les relations remontent aux années où les deux
étaient en poste à Maghnia, à l’extrême ouest du
pays.
L’un était
juge au tribunal et l’autre chef de compagnie. Le nom de la magistrate Fatiha Boukhers, épouse Beleksir, a surgi
dans de nombreuses affaires. Citons à titre d’exemple le scandale du matériel
de communication israélien importé par des Jordaniens – qui ont pris la fuite
après avoir bénéficié d’une mise en liberté provisoire, accordée par son amie,
une juge du tribunal de Koléa, qui était en charge de
l’instruction – le dossier avait fait tache d’huile avant d’être étouffé.
Il faut
dire que le choix de la capitale française comme lieu d’asile des Beleksir n’est pas fortuit. C’est là que la famille a
acquis des biens immobiliers durant ces dernières années, dont un grand
appartement bien situé, au nom des deux filles, offert comme donation par un
ressortissant français. Mais la situation de la famille va basculer de celle de
protégée à celle de fugitive, après le décès du vice-ministre de la Défense et,
surtout, l’extradition de la Turquie du secrétaire particulier de feu Gaïd Salah, l’adjudant Guermit Benouira, après sa fuite organisée avec des documents
confidentiels.
Ce jeune
adjudant, faut-il le préciser, était au cœur même du système d’écoute de
l’état-major de l’Anp, mais aussi la boîte noire du
défunt vice-ministre de la Défense.
Il avait
été recommandé par les officiers supérieurs les plus écoutés par le défunt chef
de l’état-major de l’Anp, à savoir l’ex-chef de département
des transmissions et systèmes d’information, le général-major Abdelkader Lechkhem, le général-major Ali Akroum,
chef du département organisation et logistique, et le patron de la Sécurité
intérieure, le général Wassini Bouazza,
pour lui confier la gestion du nouveau matériel d’écoute et, par la même
occasion, être informés de tout ce qui remonte au bureau du «chef».
Dans quel
but ? Difficile d’avoir une réponse. Néanmoins, il est certain que Benouira n’a pas été exfiltré, en ce début du mois d’avril
2020, avec sa famille pour rien. Est-ce pour protéger ceux qui l’ont fait fuir
et avec lesquels il est resté en contact ?
La
question se pose. Ses aveux ont vite fait tomber ceux
qui l’ont parrainé ainsi que ceux qui étaient au cœur même des décisions au
sein de l’état-major de l’Anp. Mais avant, et dès sa
sortie du pays, c’est le général Bouazza qui est
limogé, arrêté puis déféré devant le tribunal militaire de Blida.
Durant la
même période, le directeur de la justice militaire, à l’origine des nombreuses
procédures de poursuites judiciaires devant les tribunaux militaires et les
deux lois sur l’obligation de réserve (une mesure pourtant statutaire) imposée
aux retraités et aux réservistes de l’Anp, le général
Boussis est également limogé.
Quelques
semaines plus tard, plus d’une dizaine d’autres officiers supérieurs sont mis
en congé spécial. Tous font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire
national. Les premiers à voir le décret présidentiel de leur mise de fin de
fonction (à partir du 27 juin) dans le Journal
officiel sont les généraux-majors
Abdelkader Lechkhem, Ali Lakroum
et Rachid Chouaki, directeur de la fabrication
militaire, homme de confiance de feu Gaïd Salah, en
charge des marchés d’acquisition militaire. Parmi eux, Abdelkader Lechkhem est entendu par le tribunal militaire de Blida.
En
parallèle, des contacts ont été entrepris par des personnes interposées, entre
des cercles proches de la Présidence et les généraux-majors Lahbib
Chentouf et Abderrazak Cherif ainsi que le général
Khaled Nezzar, se trouvant à l’étranger, pour leur
permettre de rentrer au pays et d’assainir leur situation avec la justice
militaire. Peut-on dire que l’armée fait sa mue après les événements qui l’ont
secouée ces deux dernières années ? La question reste posée…