HISTOIRE –PERSONNALITES- MOUFDI
ZAKARIA
© Ahmed Cheniki, août 2020
MOUFDI ZAKARIA,
LE GRAND POETE DONT ON NE CONNAIT QUE QASSAMAN, le grand poète dont on ne
connait que le symbole, Qasaman
-Il y a 43 ans,
le 17 août 1977 décédait le poète et militant Moufdi
Zakaria. Je reproduis, à cette occasion, un texte que j'ai écrit il y a tout
juste deux mois.
Gandourah verte,
chemise blanche, cravate rouge frappée d’une étoile et du croissant, Chéchia
rouge, il était reconnaissable de loin, il était présent dans tous les meetings
du PPA et du MTLD. Moufdi Zakaria est le symbole
d’une Algérie libre, nouvelle. Depuis les débuts du mouvement national, il est
aux avant-postes pour revendiquer l’indépendance, combattant férocement l’assimilationnisme et l’indifférence qui sévissaient dans
certains milieux. Natif de Beni Izguen
dont je garde un excellent souvenir, bibliothèque pleine de manuscrits anciens
qui donnent à lire la présence d’une grande culture, cet enfant d’une famille
de commerçants établis à Annaba où il fait ses premiers pas dans
l’apprentissage du fiqh et de la grammaire avant
d’aller à Tunis, va poursuivre ses études à la Zaytouna.
Etudiant, il s’initie à la poésie et au patriotisme, l’un ne semble pas aller
sans l’autre, il se lie d’amitié avec deux grands poètes, Aboul
Qacem Chabbi et Ramdane Hamoud. Ils vont, tous les trois, animer entre 1925 et
1930, une association littéraire affublée du nom « El Wifak
». A Tunis, il découvre la dimension nord-africaine, il en fera l’un des thèmes
fondateurs de sa réflexion. Il est membre de l'Association des Étudiants
musulmans de l'Afrique du Nord à partir de 1925. Ce n’est pas sans raison qu’il
épouse les thèses indépendantistes de l’Etoile Nord-Africaine (ENA).
Zekri Chikh, son
véritable nom, beaucoup de gens le connaissent uniquement comme l’auteur de Qasaman, mais son parcours va au-delà, lui qui a rencontré
les pires prisons coloniales, la torture et les insidieuses conséquences de ces
espaces carcéraux. Il est aussi un grand homme de lettres, un poète et
également quelqu’un qui ne peut ne pas emprunter les sentiers sinueux de
l’écriture historique et sociologique. Il n’arrête pas d’écrire, de fonder des
associations et de créer des journaux et des revues. Même s’il sympathise avec
les Oulémas de Ben Badis, il opte pour le PPA dont il
a même occupé le poste de secrétaire général. Il sera l’un de ceux qui
organiseront le secteur éditorial de cette structure patriotique. A son retour
de Tunis en 1933, il lance une revue, El Hayet. Il
est d’une activité débordante, ponctuée par des séjours en prison. Il
participera à la constitution de nombreux journaux du PPA, Echaab,
Al Watan, L’Action algérienne, Le Parlement algérien.
Son militantisme
va de pair avec la création littéraire, il le mènera aussi dans les geôles
coloniales. Il sera, emprisonné à cinq reprises, la première fois, le 22 août
1937 avec Messali et d’autres membres du comité
directeur du PPA, il ne sera libéré qu’en 1939. Il est de nouveau arrêté en
1940, puis après les massacres du 8 mai 1945. Les geôles n’y peuvent rien
devant sa pugnacité légendaire et son extraordinaire résistance. Moufdi Zakaria croyait dur comme fer à l’indépendance, rien
ne pouvait le changer d’avis, incapable de reculer, il avait fait son choix,
lui qui découvrant l’organe de l’ENA, El Oumma, se
serait juré de se battre pour l’indépendance de l’Algérie et de l’Afrique du
Nord, quel qu’en soit le prix. Il le dit ainsi : « Je jure sur l'Unicité de
Dieu que j'ai foi dans l'unicité de l'Afrique du Nord pour laquelle j'agirai
tant qu'il y aura en moi un cœur qui bat, un sang qui coule et un souffle
chevillé au corps. ». Ses choix étaient clairs : la libération de l’Algérie et
de l’Afrique du Nord.
On disait de lui
qu’il était infatigable, un grand bosseur qui avait des objectifs clairs. Il a
été l’auteur de plusieurs hymnes, le plus connu, c’est Qasaman,
commandé par Abane Ramdane,
mis en musique une première fois par Mohamed Triki,
puis par le compositeur égyptien, Mohamed Fawzi et
enregistré à la télévision tunisienne en 1957. Il a mis en forme d’autres
hymnes dont Fida’el djazair
(PPA) et d’autres chants révolutionnaires. C’était un homme de conviction dont
la raison de vivre était la patrie. Il a composé des chants en Tunisie (Union
des Femmes Tunisiennes, armée marocaine).
Son combat
s’inscrit dans une perspective maghrébine, il insiste sur ce volet, sa patrie,
aimait-il dire, dépassait un seul pays, englobant l’Afrique du Nord. D’où ses
va et vient et ses implications militantes dans les trois pays. C’est ce qu’il
déclare lors du 4e Congrès de l'Association des Étudiants Musulmans d’Afrique
du Nord (AEMAN) à Tlemcen en 1931: « Je ne suis ni musulman, ni croyant, ni
Amazigh si je ne sacrifie pas mon être, mes biens et mon sang pour libérer ma
chère patrie (l'Afrique du Nord) des chaînes de l'esclavage et la sortir des
ténèbres de l'ignorance et de la misère vers la lumière du savoir, de la
prospérité et d'une vie heureuse. (…) Ma patrie est l'Afrique du Nord, patrie
glorieuse qui a une identité sacrée, une histoire somptueuse, une langue
généreuse, une noble nationalité, Amazigh. Je ne fais aucune distinction entre
un Tunisien, un Algérien, un Marocain ; ni entre un Malékite, un Hanéfite, un
Chaféite, un Ibadite et un Hanbalite: ni entre un Arabe et un Kabyle, un citadin
et un villageois, un sédentaire et un nomade. Tous sont mes frères, je les
respecte et les défend tant qu'ils œuvrent pour la cause de Dieu et de la
patrie. Si je contreviens à ce principe, je me considérerai comme le plus grand
traître à sa religion et à sa patrie. ».
L’Afrique du
Nord considérée comme espace attenant du Machrek,
allant dans le sens de la mise en œuvre d’un discours syncrétique, constitue
l’élément central de la philosophie de Moufdi Zakaria
qui a rejoint le FLN en 1955 avant de retrouver encore une fois les affres de
la prison de Barberousse et de la torture. Il en sort trois années après, en
1959, meurtri, mais toujours aussi fort, c’était un homme debout qui ne pouvait
abdiquer devant l’arbitraire colonial. Il rejoint Tunis, après un séjour au
Maroc, et écrit pour les pages culturelles d’El Moudjahid. Ces passages
fréquents entre Alger, Tunis et Rabat consacrent son option pour une identité
maghrébine. Ce qui caractérise aussi Moufdi Zakaria,
c’est sa maturité politique. Quand éclate la crise du MTLD au début de 1952, il
a décidé de ne prendre position pour aucune partie en conflit, il s’en est
allé, son bâton de militant en main, mener des actions en Tunisie et au Maroc.
L’indépendance
acquise, il prend une décision radicale, mécontent du train où allaient les
choses, les conflits de l’été 1962 avaient fini par le désarçonner et provoquer
chez lui un désamour définitif de Boumediene, il se met à faire ce qu’il aimait
par-dessus tout, la littérature. Et, pour vivre, il n’avait besoin de personne,
il a choisi un métier simple, représentant de commerce d’une firme belge de
parfumerie.
C’est ainsi
qu’il décide de rompre toute relation avec les gouvernants du moment.
Boumediene ne l’aimait pas à tel point qu’il avait cherché à changer l’hymne
national, mais lui aussi n’accordait point d’importance à celui qui avait
suivi, comme lui, le cursus de la Zaytouna. Le sens
de son combat entrait en collision avec le discours de Boumediene, lui qui a
accompagné le mouvement nationaliste depuis l’Etoile Nord-Africaine jusqu’au
FLN de la lutte de libération qu’il abandonnera en 1962, en grand militant, une
fois la victoire contre le colonialisme actée, pour plonger dans les jeux
ludiques de la littérature et de l’écriture historique. Il publie ses textes ici
et là, dans des revues, des recueils paraissent comme « Le Feu sacré » , « À l’ombre des oliviers », « Sous l’inspiration de
l’Atlas », « l’Iliade de l’Algérie ».
L’auteur de
l’hymne national a toujours été, avant son décès, oublié, ignoré, alors que c’est
un patriote qui a tout apporté au pays et à l’Afrique du Nord. On a même du
temps de Chadli décidé d’enlever un vers où il est question de la France
coloniale, comme pour faire plaisir à Mitterrand. Maintenant, il serait temps
de regrouper tous les textes inédits de ce grand militant et poète et les
éditer, ce qui serait le moindre homme que son pays devrait lui rendre. Il y
aurait encore des manuscrits non édités « Lumières sur la vallée du M’Zab », «
le Livre blanc, Histoire de la presse arabe en Algérie », « La Grande
Révolution » (pièces de théâtre), la « Littérature arabe en Algérie à travers
l’histoire ».
Je suis vraiment
curieux de lire ces textes, cet homme mérite tous les hommes. Chaque fois que
nous entonnons Kassaman, son nom est présent.
Moufdi Zakaria marche, va vers Tunis, puis
Casablanca, rencontre Kateb Yacine qui rit, tout en clamant si bellement que
les oiseaux se mettent à écouter : Ici est la rue des Vandales. C’est une rue
d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca.
Ils poursuivent leur chemin…