COMMUNICATION – ETUDES ET ANALYSES
– JOURNALISME- STATUT DU
JOURNALISTE- ETUDE 2003, A.DJABALLAH
BELKACEM
(Communication présentée lors des Journées
d’études régionales sur le pré avant-projet de Loi organique
relative à l’Information (Ghardaia, Oran et
Annaba) - 10 ,
17 , 24 avril 2003 . Publié in Liberté,
5 mai 2003)
Il
faut que cela soit dit d’entrée afin que ce point essentiel ne soit pas perdu
de vue et, surtout, totalement dillué dans d’autres
questions certes importantes mais pas aussi primordiales.
Ce
point concerne la profession et le statut du journaliste professionnel.
Ils
sont, et depuis la naissance du journalisme moderne, « au cœur de
l’exercice de la liberté d’information et d’opinion ainsi que du droit à
l’information ».
Le
journaliste est, donc, au cœur de toute notre problématique car c’est lui qui,
en principe (et les principes, en matière de bon journalisme, sont importants),
donne (ou ne donne pas) de la consistance, de la valeur, de la crédibilité, de
la force, de la pérennité au contenu (quelle que soit sa source) et à
l’entreprise (quels que soient ses moyens).
Oublier
le journaliste ou se contenter de traiter son cas en quelques articles
généraux, c’est à mon sens vider la fonction et ses missions de tout ce qui
peut leur apporter – plus que pour tous les autres citoyens – comme force
intellectuelle et comme responsabilité sociale.
Et,
comme ces dernières années nous entendons parler (ou critiquer) de plus en plus
de ces critères, il est temps, aujourd’hui
à travers la débat et les textes qui doivent être produits, non pas de
« mettre les points sur les i » mais de « remettre à
niveau » les choses.
« Remettre
à niveau » est bien le terme approprié car, il ne faut pas l’oublier,
avant 1990, avant la libéralisation du secteur et la libération de
« l’esprit d ‘entreprise », le journaliste avait un statut, un
statut orienté, mais tout de même un statut.
Un
statut certes orienté (et contraignant, transformant le journaliste en
« fonctionnaire de la liberté ») au service d’un système monopartisan politiquement, étatique économiquement et
corporatiste professionnellement…. ce qui n’a pas empêché beaucoup de
journalistes et de rédactions d’être libres ou de refuser les tutelles
exagérées.
Il
y avait l’Ordonnance n°68-525 du 9 septembre 1968 avec 37 articles portant
statut des journalistes professionnels, et aussi la décision ministérielle du 5
avril 1973 fixant la grille des salaires, le barême
des indemnités et le régime social des journalistes professionnels….ainsi qu’un
arrêté du 20 janvier 1969 portant création de la Commission de classement des
journalistes professionnels.
Par
la suite, dans les années 80, on eut des textes ministériels d’application
issus du Sgt et des conventions collectives ou règlements intérieurs multiples
qui permettaient un suivi des carrières. Juste avant octobre 1988, en
février-mai 1988, sous le ministère Bachir Rouis, le mouvement de contestation
des journalistes (ancêtre du Mja) a permis, par un
forcing qui a duré de février à
mai, et par son unité, de « décrocher » bien d’autres avantages dont
le reclassement en fonction d’un plan de carrière et d’une grille des salaires
améliorés (les commissions paritaires de reclassement, gelées depuis 1984
furent ré-activées) ainsi que des avantages divers.
Le
statut du journaliste est au cœur de la problématique de la liberté de la
presse ….et, on le voit bien, actuellement, la libéralisation servant
d’ «alibi», avec, depuis 1990, une « exploitation sans
pitié et quasi-généralisée » des compétences : Absence de convention
(s) collective (s), sous-paiement ou pas de paiement du tout, contrats à durée
déterminée institués en règle et rarement renouvelés, nomadisme, insécurité des
situations, instabilité, sous-encadrement….Ici, on citera seulement le dernier
exemple des
26 journalistes et 20 techniciens du bureau d’Alger de KTV et
de K News qui se retrouvent (début avril 2003, suite à la
« crise » du groupe propriétaire) brutalement sans salaires…et sans
défense sérieuse …car, ils n’avaient même pas de contrat de travail.
C’est pour cela que la future loi doit se pencher de
façon précise et non simplement indicative sur les grandes lignes du statut du
journaliste professionnel.
Bien
sûr, dans le plus récent pré avant –projet( année 2002, celui de Khalida Toumi), le titre V
consacre 19 articles (du 55 au 73) à l’exercice de la profession, et la loi de
1990 (toujours en vigueur en 2005) lui consacre en son titre III, 13 articles
(du 28 au 40) mais la problématique réside moins dans le nombre d’articles que
dans leur contenu, une loi organique devant aller à l’essentiel et poser des
balises aux rajouts et amendements et aux textes d’application qui
s’ensuivront.
Le
contenu doit rompre définitivement avec le passé, sans le renier totalement car
il avait ses aspects positifs, et doit se mouler au nouveau visage du secteur
en étant le plus prospectif et le plus
ouvert possibles. Car, le secteur de la communication en général et celui de la
presse en particulier évoluent très , très vite.
En
1984, il n’y avait que 700 à 800 journalistes professionnels pour une
cinquantaine d’organes de presse, le gros lot se trouvant dans les médias
lourds comme la radio, la télévision et l’Aps.
En
1990, il y avait à peu près 1500 journalistes professionnels (recensés en juin
par le Csi lors de la préparation des élections au
Conseil)
Aujourd’hui,
il y en a certainement 2500 à 3000
journalistes professionnels et assimilés travaillant dans près de 250 organes de presse (dont les médias lourds du
secteur public qui sont toujours les mêmes bien qu’ils se soient déployés plus
largement avec, entres autres, les radios locales). Au total, le secteur de la
presse, simplement avec ses imprimeurs et ses diffuseurs ,
doit occuper de 6 000 à 7 000 personnes. Et, si l’on tient compte de toutes les
activités périphériques, il est devenu une véritable industrie. Ce n’est pas
encore une industrie lourde, mais ce n’est plus une industrie légère.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir l’émergence de nouvelles stratégies de groupe et
non plus d’individus, des stratégies de redéploiement, de confortement ou
d’accaparement menées par des entrepreneurs autres que journalistes et venus,
avec leur argent , d’autres secteurs…….surtout commerciaux, la « nouvelle
économie nationale » faisant
surtout dans « la grosse épicerie ».
Avec
des visées politiques ? Avec des visées financières ? On le sait, les
stratégies contemporaines de communication ne connaissent pas de frontières
précises ; les visées
politiques menant toujours aux autres et
vice-versa….soutenues par le travail d’ « information ».
Cette
nouvelle étape – tant pour le secteur privé qui a déjà beaucoup investi, que
pour le secteur public qui est en train, je crois, et je l’espère, sinon de
revoir sa stratégie, du moins de re-fonder –
nécessite donc que l’on veille beaucoup plus que par le passé, sur l’énergie
vitale de la presse, en l’occurrence le journaliste professionnel.
Cinq (5) grandes questions doivent, à mon sens, recevoir , dans la future loi ou autre réglementation , des
réponses de principe claires, et renvoyer à un ou plusieurs textes plus
pratiques.
. 1 / - Une définition aussi complète que
possible et une reconnaissance large et franche de la qualité de journaliste
professionnel et assimilé, c’est-à- dire les collaborateurs directs des
rédactions à l’exclusion des occasionnels.
Ici, il faut insister sur le caractère intellectuel de
l’activité, de sa permanence, du niveau de formation (paramètre nouveau à
introduire), et sur le fait que cette qualité constitue la principale source de
revenus.
Il ne s’agit pas de fermer la profession, mais il
s’agit de l’ « ordonner ». La formule est à trouver ! Les
expériences, ici même ou à l’étranger, ne manquent pas. Il faut seulement ne
pas perdre de vue le fait que le journalisme moderne est, d’abord, et
désormais, un métier et une profession.
. 2/ - L’attribution et la détention obligatoire d’une
carte d’identité professionnelle nationale avec laquelle le journaliste peut se
prévaloir de la qualité de professionnel et lui ouvrant l’accès à l’information
, tout particulièrement publique et administrative.
Le système de délivrance et de retrait de la
dite-carte peut être (donc très provisoirement) être géré par l’Administration
(avec , bien sûr, et obligatoirement des possibilités
de recours judiciaires et non administratifs) mais doit l’être rapidement par
une Commission interprofessionnelle ou/et paritaire.
A signaler qu’en 1991-1992, la Commission de
l’Organisation professionnelle du CSI (créé par la loi d’avril 1990) que je
présidais, avait délivré les premières cartes de l’après-88 et ce après avoir
adopté, le 7 avril 1991, un texte de 28
articles ayant trait aux « conditions et modalités de délivrance de la
carte professionnelle de journaliste »…. publié au J.O. L’opération a
connu un immense succès.
1321 cartes au total avaient été délivrées
, 21 dossiers avaient été rejetés et des réserves avaient été émises à
l’encontre de 146 dossiers , régularisés par la
suite. D’où un total de 1467 cartes distribués pour un total approximatif de
1500 à 1600 journalistes professionnels et assimilés .
Le CSI avait aussi préparé ,
dès fin 1991, une décision prévoyant la constitution d’une Commission paritaire
de représentants élus des journalistes professionnels et des organes
employeurs, chargée de la délivrance de la carte et prenant ainsi en charge le
dossier géré provisoirement par la Cop/Csi.
. 3 / - Le journaliste professionnel n’est ni un
citoyen ordinaire (ce serait alors faire preuve d’une démagogie politicienne
et populiste qui a, déjà, causé beaucoup
de dégâts) , ni un citoyen hors du commun. C’est tout
de même un salarié atypique dont les règles d’exercice ne sauraient relever
totalement du domaine du droit positif ou de simples clauses contractuelles.
Assurant des fonctions particulières conjuguant
Liberté et Responsabilité, il faudrait que toutes les législations à venir
prévoient des dispositions spéciales de nature à concilier les impératifs liés
à son indépendance et à un libre exercice de sa
professionnel, et les obligations le liant à l’organe employeur.
Ici donc, et chez nous plus qu’ailleurs, la
sécurisation du journaliste professionnel doit être une préoccupation
majeure :
-
Sur
le plan physique ,dans l’exercice de ses fonctions de chercheur de
nouvelles, de rédacteur et de diffuseur d’informations et de commentaires.
-
Sur
le plan moral , sa Charte de l’éthique et de la déontologie (il
peut y avoir plusieurs Codes d'honneur particuliers) ne doit jamais être perdue
de vue….par tous
-
Sur
le plan professionnel , avec la nécessité d’imposer une ou plusieurs
Conventions collectives qui feront ressortir la spécificité du métier. Et,
c’est là le gros travail des syndicats qui ne doivent pas se suffire de la
seule loi 90-11 relative aux relations de travail qui, d’ailleurs, ne ferme pas
le champ à la réglementation des activités spécifiques. A noter, ici, qu’en
1990-1991, le Csi avait commencé, avec l’aide du
ministère du Travail, à réfléchir sur un projet global de Convention collective
nationale applicable aux journalistes professionnels et assimilés .Tous les
éditeurs avaient été alors saisis pour avis. Et, le Csi,
il faut bien le rappeler, n’avait cessé d’encourager les professionnels à se
regrouper dans le cadre d’organisations strictement professionnelles et de
concertation.
.
4 / - Le droit au secret professionnel, conditionnant l’exercice de l’activité
est un autre aspect du statut spécifique.
Les
exceptions doivent être rares sinon inexistantes. La Loi de 90 (art.37) le
définit comme un droit et un devoir et le projet reprend le concept en n’en
citant que 4 (sur les 5 habituels), mais en élargissant le secret stratégique
qui n’est plus simplement économique (art.65). Mais, elle doit obliger à
détailler rapidement, dans d’autres textes, avec les parties les plus
concernées et en s’appuyant sur l’avis du Conseil constitutionnel, les cas dits de protection de l’Etat et de
l’ordre social. Ceci afin d’éviter les interprétations fantaisistes tant des
plaignants et des juges que des
journalistes eux-mêmes.
.
5 / - Enfin, il y a le renforcement de la clause de conscience (art. 34 de la
loi de 90) en cas de changement d’orientation du titre ou de sa cession ou même
de sa cessation brusque due tout particulièrement à une mauvaise gestion avérée
préméditée, et les cas ne manquent pas
….Ceci est d’autant plus urgent et vital que le processus de
reconfiguration économique et aussi politique du secteur de la communication et
de la presse a déjà commencé et est même en train de s’accélérer.
Pour conclure, je reviens sur ce que j’ai toujours défendu :
Une loi organique basée sur un énoncé de principes et sur un renvoi à des
textes sous-sectoriels d’application tenant compte d’un postulat de
base :la presse et le journalisme ne sont pas de simples faits de société
,conjoncturels, « banals » ,faciles à diaboliser et à désorganiser,
taillables et corvéables à merci, mais des faits civilisationnels
universels qui, malgré toutes les dérives et tous les dérapages déontologiques,sont bien moins tragiques que les comportements politiques dictatoriaux ou
économiques mafieux.. Et, c’est cette permanence et cette importance qu’il faut
comprendre avec intelligence et traiter avec sérieux et gravité.