CULTURE
– PERSONNALITES – TAHAR OUETTAR
© Mohamed Sari, mi-août 2020
Tahar Ouettar est décédé le
12 Août 2010, après une longue maladie, laissant derrière lui une œuvre qui n’a
laissé indifférents ni ses sympathisants ni ses détracteurs. C’est un écrivain
iconoclaste qui a marqué son temps par des romans aux sujets dérangeants et des
prises de position intellectuelles déroutantes. Né en 1936, à Sedrata dans l’Est algérien, dans un milieu rural pauvre,
une famille berbère Chaoui, qui peinait à subsister
dans cette fin des années trente où la société algérienne a connu ses pires
moments sous la domination coloniale avec le déclenchement de la 2° guerre
mondiale. A 14 ans, avec quelques rudiments d’Arabe et de sourates du Coran, la
famille l’envoie à l’institut Ibn Badis de
Constantine, puis de là vers la Zitouna de Tunis,
pour parfaire sa formation, comme c’était de tradition à l’époque.
La Tunisie venait d’acquérir son indépendance et recevait les algériens à bras
ouverts. La guerre de libération a aiguisé le désir de se débarrasser du joug
colonial. La Tunisie offrait aux jeunes étudiants algériens une tribune
inespérée à travers ses journaux pour s’exprimer et dire son ras-le-bol
comprimé et réprimé au pays. Le jeune Tahar Ouatar a
commencé sa vie intellectuelle et littéraire à Tunis, en publiant des
chroniques et des nouvelles, dont la plus connue est « Noua », adaptée au
cinéma. Cette intense activité littéraire a permis au jeune Ouatar
de publier un recueil de nouvelles (Fumée de mon cœur, 1961) et deux pièces de
théâtre insérées dans la revue « Fikr » (Tunis 1961).
A l’indépendance de l’Algérie, Ouettar retourne à
Constantine où il tente de créer son propre journal, puis vient s’installer à
Alger où il récidive dans la création de journaux. Mais l’euphorie de
l’indépendance passée, il retourne à sa passion première : la création
littéraire. Il écrit plusieurs nouvelles qu’il réunit dans un recueil intitulé
: « Les coups qui blessent (1971) ». Mais sa consécration littéraire ne
commence vraiment qu’en 1974, avec la publication de son 1° roman : L’as. Un
sujet tabou à l’époque : l’élimination physique des communistes par certains
extrémistes du FLN au maquis ; en plus de la structure et du style moderne du
roman, les phrases hachées, les dialogues émouvants dans une langue qui
investit beaucoup dans le langage populaire et ses proverbes qui résument la
sagesse des ancêtres. En 1976, il assoit sa notoriété d’écrivain avec son
nouveau roman « Ezilzal (le séisme), roman moderne au
sens propre du terme, dans sa structure et son style à la polyphonie
diversifiée selon le type de personnages et leurs appartenances idéologiques.
A partir de cette date, Tahar Ouatar est l’écrivain
algérien arabophone par excellence, avec Abbelhamid Benhadouga. Ses romans sont publiés à Beyrouth (Noces de
mulet, le pêcheur et le palais, les martyrs reviennent cette semaine…) et les
lecteurs du Moyen-orient découvrent une autre facette
de la littérature algérienne, un autre nom que les fondateurs du roman
algérien, tous d’expression française : Kateb Yacine, Dib, Mammeri, Féraoun, Malek Hadad, Assia Djebar. Le roman d’expression arabe est né et se fait une
place au soleil de la littérature arabe dominée par les écrivains du
Moyen-Orient, et cela grâce à Tahar Ouatar.
Tahar Ouettar est aussi un acteur culturel et
intellectuel incontournable durant de longues années, surtout dans la dernière
décennie du 20° siècle. Après les émeutes d’Octobre 88, et l’ouverture
démocratique qui s’ensuivit, il créa, avec d’autres écrivains, en majorité
arabophone, l’association El Djahidhia en 1989, qu’il
domicilia chez lui, faute d’avoir un siège public. Entre temps, l’écrivain,
haut fonctionnaire du FLN, fut mis à la retraite anticipée à l’âge de 47 ans,
avec l’arrivée au pouvoir de Chadli, et le revirement à droite du parti. Ce qui
permit à Ouatar de se consacrer à plein temps pour
gérer son association, et faire les démarches nécessaires pour avoir un siège
autre que sa maison. Usant de ses anciennes relations au sein du sérail, il put
décrocher un siège au centre d’Alger, un ancien centre culturel, qui est devenu
en quelques années un carrefour de rencontre des hommes et des amoureux de la
culture et de la littérature. L’association, grâce à son président volontaire
et bénévole, est ouverte au public comme une administration, de 9 h à 17h. Ouatar initie des rencontres hebdomadaires culturelles,
édite des revues littéraires et des livres, crée un prix maghrébin de poésie
(prix Moufdi Zakaria), un prix du premier roman… Une
véritable ruche sur la place d’Alger, mais aussi avec des antennes dans les
villes intérieures qui activent tant bien que mal, selon le bon désir des
autorités locales aident ou freinent les activités culturelles.
Tahar Ouettar a vraiment marqué son époque par ses
œuvres littéraires de qualité, mais aussi par son intense activité à donner vie
à la culture algérienne, dans des moments cruciaux de son histoire.