HABITAT- OPINIONS ET POINTS DE VUE- SÉISME MILA AOÛT 2020- OPINON BOUDAOUD
Abdelhamid Boudaoud. Président du Collège national des experts
architectes (CNEA) : «Nous n’avons pas appris les leçons des différentes
catastrophes»
© El waTAN- Nabila Amir, dimanche 09
AOÛT 2020
– Un
tremblement de terre d’une magnitude de 4,9 sur l’échelle de Richter a secoué
la ville de Mila et provoqué d’énormes dégâts. Des fissures dans des maisons et
sur des routes. Un immeuble de 5 étages s’est écroulé… Est-ce que les normes de
construction antisismique sont respectées aujourd’hui en Algérie ?
Non, pas
du tout ! La plupart des Algériens ne respectent pas les lois. Nous avons
pourtant des critères qui couvrent tout le territoire national en matière de
règles de construction, mais les gens ne respectent pas ces normes dès lors
qu’ils n’ont pas la culture de la construction.
Rares sont les Algériens qui respectent les normes de construction
de manière générale et antisismique particulièrement. La majorité n’ont pas une idée de la construction, ils croient qu’avec
leur argent, ils peuvent construire ce qu’ils veulent et faire comme ils veulent.
Certes, les constructeurs font appel aux architectes pour avoir
une étude et un plan comme l’exige la loi. Seulement, une fois l’avis de
l’architecte exprimé en bonne et due forme et le permis de construction tant
attendu livré, le constructeur tourne le dos à l’architecte.
Il ne consulte plus jamais et se rabat uniquement sur
l’entreprise. Pourquoi ? Parce qu’en Algérie nous n’avons pas d’entreprises
balises. Donc le constructeur donne des directives à l’entreprise et modifie
comme bon lui semble le plan initial approuvé par l’architecte.
Ce qui s’est passé à Mila est un exemple concret. Une bâtisse de
cinq étages qui s’écroule comme un château de cartes. Il est évident que le
propriétaire n’a pas respecté les règles le plus élémentaires.
Sinon, pourquoi l’immeuble d’à côté n’a pas subi de dégât ?
Pire, il y a le barrage de Beni Haroun, qui présente
des fissures depuis sa construction et, si par malheur, il est touché par
d’autres plus grandes, ce sera l’hécatombe !
– Mais où est l’Etat dans tout ça ? Qui a les
prérogatives pour contrôler ces constructions ?
Lorsque vous avez des incompétents à la tête des Assemblées
communales, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait un contrôle rigoureux et
un suivi.
Certes, les règles antisismiques ne sont pas respectées, alors
qu’il y a effectivement la loi 04/05 qui dit que pour toute construction il
faut qu’il y ait un ingénieur qui supervise et dirige les travaux. La loi dit
aussi que le président d’APC est souverain dans sa commune, et il est la
colonne vertébrale de la République.
C’est à lui que revient la mission de vérifier et de contrôler si
les constructions dans sa commune répondent aux normes édictées par la loi ou
pas. Donc, en plus de l’absence de la culture de la construction, il y a aussi
l’absence de contrôle.
La loi 90/29 dans son article 73 dit que le président d’APC, le wali ou le
technicien de l’APC ou de la wilaya demandent systématiquement les plans pour
voir si le constructeur respecte les normes de construction conformément aux
lois.
Il y a aussi la loi 04/05 qui stipule que le président et le
technicien de l’APC doivent observer la même démarche, mais ces articles n’ont
jamais été respectés.
D’ailleurs, c’est pour cela que l’on se retrouve aujourd’hui avec
2 200 000 constructions inachevées et illicites. Selon la loi, le
président d’APC est le souverain dans sa commune. Dans tous les pays qui se
respectent, avant l’entame d’une construction, le maire donne son avis sur
celle-ci.
Chez nous, le président d’APC ne connaît rien au mode de
construction, d’où toute la problématique ! Pourquoi ?
Parce qu’en Algérie, on élit les présidents d’APC qui arrangent
«certains clans». Mieux, chez nous, nous n’avons jamais vu un député faire de
remarque dans ce sens au président d’APC.
Pour le Collège national des architectes, nous espérons que dans
la nouvelle République, le directeur technique de l’APC soit nommé par le
ministère de l’Habitat à qui il doit obligatoirement rendre des comptes, comme
c’est le cas pour le receveur qui s’occupe des recettes des contributions, qui
est nommé par le ministère des Finances et qui ne risque pas de commettre des
infractions, du moment qu’il rend systématiquement des comptes à sa tutelle.
– Selon vous, nous n’avons pas appris les leçons
des différentes expériences ?
Non, malheureusement. Chacun fait ce qu’il veut. La loi est
bafouée au vu et au su de tout le monde. La République pond des lois qui ne
sont pas respectées. L’architecte respecte convenablement les lois, mais les
constructions ou les réalisations sont faites de manière anarchique.
Dernièrement, le président de la République a fait appel à
certains directeurs pour mener des enquêtes sur les 200 logements de Aïn Sefra,
qui présentaient des malfaçons.
Si ces constructions avaient été réalisées suivant un contrat et
s’il y avait eu un suivi et un contrôle de la construction, il n’y aurait pas
eu toutes ces anomalies. Je vous révèle qu’en Algérie, presque toutes les
constructions ne répondent pas aux normes.
La grande université de Bab Ezzouar a été construite sans permis de construire, ni acte
ni conformité. Tous les hôpitaux, tous les lycées et établissements scolaires,
toutes les universités n’ont ni acte ni conformité. Où va-t-on ?
L’université de Bab Ezzouar
est une bonne construction, mais elle renferme des failles.
Avant de construire, il faut inévitablement faire appel à un
géologue. Ce qui ne se fait pas chez nous. Si demain nous sommes confrontés à
un fort séisme, ce sera la catastrophe, nous avons tiré à plusieurs reprises la
sonnette d’alarme, en vain.