COMMUNICATION- PUBLICITE- GESTION ANEP- REVELATIONS PDG ,6/8/2020 (1/3)
© SAID RABIA, El Watan, jeudi 05
AOÛT 2020
Dans un
entretien qu’il a accordé à El Watan et à El Khabar, le PDG de l’anep, Larbi Ounoughi, a fait des révélations
fracassantes et donné des chiffres hallucinants sur la gestion passée et
scandaleuse de l’Agence nationale d’édition et de publicité.
Sans
mâcher ses mots, direct et incisif, l’ancien directeur de publication du
journal Ennasr à Constantine (et d’El
Massa) le dit sans ambages : «L’ANEP
a fait l’objet de monopole par des groupes d’influence au pouvoir qui ont fait
main basse sur l’ANEP». «Les services de l’ANEP étaient tellement dans une anarchie
indescriptible qu’il est difficile de savoir ce qui s’y est passé.»
On n’imaginait pas que la gabegie, la déliquescence, l’anarchie
pouvaient atteindre de telles proportions. La forteresse infranchissable,
gardée par une impénétrable muraille depuis des décades, l’Agence nationale de
l’édition et de la publicité (ANEP) cachait, on le devinait un peu,
l’innommable, la prévarication, la prédation et le vice.
L’ANEP
résume à elle seule le mal du pays. Lorsque son nouveau président directeur
général, Larbi Ouanoughi, nous en a ouvert les portes, on a découvert un champ
de ruines.
Une
véritable dévastation. «Quand on a
analysé la situation, on a trouvé que l’ANEP pouvait être tout sauf une
entreprise», a annoncé d’emblée le nouveau
patron de l’agence. «Cela ne
veut pas dire, défend-il, qu’elle ne recèle pas de compétences jeunes ; elles étaient
marginalisées.»
«C’est la
gestion politique qui l’a mise dans cet état, elle ressemble beaucoup plus à
une association caritative qu’à une entreprise économique et commerciale
soumise aux règles et aux normes du marché», affirme
Larbi Ouanoughi qui est vite allé dans le vif du sujet aussitôt qu’on a lancé
la discussion avec lui.
Sans
mâcher ses mots, direct et incisif, l’ancien directeur de publication du
journal Ennasr à Constantine le dit sans ambages : «L’ANEP a fait l’objet de monopole par des groupes d’influence au
pouvoir qui ont fait main basse sur l’ANEP. Ils en ont fait ce qu’ils
voulaient.»
«Nous avons
hérité d’une situation catastrophique avec de profonds dysfonctionnements de
gestion. L’ANEP est un géant aux pieds d’argile», avoue Larbi Ouanoughi en annonçant au passage une très mauvaise
nouvelle : «Les caisses de l’ANEP sont
vides». Pourquoi ? «Le cumul de la mauvaise gestion a fait que l’argent de l’agence
n’est pas dans ses caisses, il est à l’extérieur», explique notre interlocuteur qui est également conseiller du
ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Amar Belhimer.
Il révèle
que les créances de l’ANEP s’élèvent à plus de 4300 milliards de
centimes. «Il est regrettable, dit-il, qu’une aussi
florissante entreprise ne soit pas dans une dynamique de croissance». «La plupart des responsables
qui ont défilé à la tête de l’ANEP n’ont travaillé que pour leur compte, leur
clique et ceux qui les ont placés.
C’est clair,
net et précis», peste Larbi Ouanoughi qui est
clairement engagé à donner un véritable coup de pied dans la fourmilière.
Selon lui,
c’est la pandémie de la Covid -19 qui a retardé un peu son plan d’action. Bien
décidé à aller jusqu’au bout des choses «quoi que cela puisse lui en coûter»,
le patron de l’ANEP affirme avoir quatre appuis : «La volonté, la protection de Dieu, un conseil d’administration
très fort et le soutien indéfectible du président de la République qu’il lui
avait demandé à sa nomination de faire vite et bien et sans arbitraire».
«C’est
incroyable ce qui s’est passé à l’ANEP», lance
son PDG qui parle d’«une transgression grave des
lois, d’un recrutement qui n’obéit à aucun critère de compétence et de rendement». «Le résultat est là», souligne Larbi Ouanoughi qui compare l’ANEP à «une casemate».
«Les
services de la gendarmerie et l’IGF enquêtent»
Selon
lui, «plusieurs services enquêtent depuis
plus deux mois sur les malversations qui s’y sont déroulées : les services de
la Gendarmerie nationale et l’Inspection générale des finances». «Nous, de notre côté, indique-t-il, on a
mis en place une commission d’enquête, un audit interne mené par des enfants de
l’entreprise appuyés par des experts extérieurs».
Les premiers
éléments et les premiers résultats sont effarants et effrayants. Les services
de la gendarmerie de Bab J’did ont commencé à convoquer les cadres qui sont
impliqués directement.
«Les
services de la gendarmerie m’ont surpris par leur connaissance du dossier et
les informations qui sont en leur possession. Ce qui veut dire que même au
temps de l’anarchie ils n’ont jamais cessé de travailler et gardaient les
dossiers». En effet, «la crise de l’ANEP est multiple», explique
M. Ouanoughi. «Commençons par l’affaire des
créances», dit-il.
Selon lui,
l’agence a des créances qui s’élèvent à 4300 milliards de centimes, plus ou
moins recouvrables. «Depuis ma
nomination, dit-il, j’ai constitué quatre groupes de travail de recouvrement, à l’Est,
à l’ouest, au Centre et au sud».
Le
président directeur général de l’ANEP souligne que dans un premier temps,
l’objectif est d’abord de faire un rapprochement entre les services de l’agence
et les clients. «Près de 5000 autres
milliards sont définitivement perdus parce que ce sont des créances anciennes», ajoute Larbi Ouanoughi qui affirme que celles-ci remontent à la
fin des années 90’.
Elles
sont, affirme-t-il, irrécouvrables pour avoir dépassé les délais de
prescription. Elles ont, selon lui, plus de 15 ans d’âge. «La régie publicitaire et recouvrement n’a pas fait son travail,
autant dire qu’elle n’a pas du tout fonctionné», indique notre interlocuteur.
Pourquoi
n’a-t-on pas relancé les créances en les maintenant en vie par un simple envoi
d’une demande de recouvrement ? S’agit-il juste le fait d’une mauvaise gestion,
d’un manque de suivi ou tout simplement d’une malversation ? «Des indices penchent vers la dernière probabilité.
On n’a pas
trouvé la trace des bons de commande qui ont disparu», affirme le premier responsable de l’ANEP, selon lequel les
premiers éléments des enquêtes démontrent que «les documents en question ont été sciemment et volontairement
détruits».
«Ce sont des
agissements graves», estime-t-il. C’est pour cette raison qu’on a installé une commission d’audit
pour remonter toute cette histoire de bons de commande», indique Larbi Ouanoughi selon lequel «il se peut même que le recouvrement ait été fait sans qu’on ne le
sache».
«L’ANEP
fonctionnait au téléphone»
«Les
services de l’ANEP étaient tellement dans une anarchie indescriptible qu’il est
difficile de savoir ce qui s’est passé avec ces créances», soutient M. Ouanoughi qui tranche : «L’ANEP fonctionnait au téléphone». «On est en train de chercher.
On ne sait pas qui est qui ou qui a fait quoi ?» s’interroge-t-il. «Beaucoup de
ses cadres ont payé le prix de leur refus de cautionner la corruption», affirme le nouveau PDG de l’ANEP qui dresse un état peu glorieux
de la gestion de ses prédécesseurs.
Ayant la
ferme conviction que «toute cette
anarchie a été prémédité», Larbi
Ouanoughi nourrit des doutes sur la possibilité de recouvrer la totalité des
créances. Mais s’il a tiré un trait sur les 4000 à 5000 autres milliards de
centimes tombés sous le coup de la prescription, il espère néanmoins récupérer
une partie des créances les plus récentes.
«On a ramené
un bureau d’études qui va les identifier, les classer par tranches d’âge, par
montant et par secteur», a-t-il affirmé. 50 à 60%
concernent le secteur public, les collectivités locales, les directions exécutives. «D’ailleurs, j’ai eu une rencontre au ministère de l’Intérieur
mercredi dernier et on leur a présenté le dossier des créances de l’ANEP», déclare le PDG de l’ANEP qui pense avoir trouvé de l’écoute du
côté du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales.
«Des
instructions seront données pour récupérer les créances qu’il est toujours
possible de recouvrer», souligne Larbi Ouanoughi
qui cite aussi les secteurs de la santé, des travaux publics et des transports
ainsi que celui de l’habitat à travers les OPGI et les DUCH : «Je ne pense pas que ce soient eux les mauvais payeurs, le
problème, c’est l’ANEP qui n’a pas fait de démarches pour récupérer ses
créances».
Comment
l’ANEP assurait-elle l’équilibre de ses finances ? «Il y avait beaucoup d’argent durant les années de pillage», lâche Larbi Ouanoughi selon lequel «même les cadres n’ont pas bénéficié de cette aisance».
«Des
responsables n’avaient pas de primes de responsables, et tout ce qui se faisait
obéissait à la logique de l’allégeance aux directeurs, aux ministres et autres», peste le PDG de l’ANEP qui révèle qu’en arrivant, il a découvert
que plus de 40 journaux sortaient sous des prête-noms.
Leurs
propriétaires n’ont aucune relation avec la presse. Pourtant, la loi est claire
en définissant qui a le droit de créer un journal et
qui ne l’a pas, dit-il. L’ANEP est devenue, par les jeux d’influences,
d’allégeances, de cupidité, de prédation, une vache à traire.
Les conflits
d’intérêts et la villa d’El Biar
La manière dont a été gérée l’ANEP lui a engendré d’énormes pertes au
niveau de ses filiales qui ont contracté des marchés avec Le Métro d’Alger,
Condor et Iris, indique son le PDG qui évoque encore le problème récurrent de
l’absence de bons commande pour les prestations accomplies.
Ce dossier
fait aussi l’objet d’une enquête menée par les services de la gendarmerie. Pour
Larbi Ouanoughi, l’Agence était une niche de la corruption et de la gabegie.
Les dossiers son lourds, lâche-t-il, en soulignant que
d’anciens directeurs ont pris des décisions impensables.
Le symbole
de cette gabegie, indique-t-il encore, est la villa louée par l’ANEP à El Biar
pour 30 millions de centimes par mois pendant deux ans, sans qu’on n’en
connaisse le bénéficiaire.
Pour se
défendre, les anciens responsables disent tous qu’ils ont reçu des
instructions. «De qui ? De Saïd Bouteflika,
le frère cadet de l’ex-Président ? Du ministre de la Communication ?
D’Ali
Haddad ? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est que tout ce beau monde
gérait l’ANEP», soutient Larbi Ouanoughi, révélant
que l’ancien ministre de la Communication, Djamel Kaouane, figure dans le
registre de commerce du groupe Le Temps de Ali Haddad.
«Le conflit
d’intérêts est flagrant», estime le
PDG de l’ANEP. Selon lui, le ministre en question était en même temps dans la
fonction publique et dans une entreprise économique privée.
Même la
fameuse villa d’El Biar, c’était en son temps, précise Larbi Ouanoughi qui
souligne que «les cadres de l’ANEP sont des
victimes».
Il y en a
eu, révèle-t-il, ceux qui étaient nommés avec effet rétroactif. Notre
interlocuteur parle également d’un autre cas de conflit d’intérêts.
Il s’agit de
l’ancien DG de l’ANEP, Amine Ichikr, dont l’épouse est propriétaire du journal
Reporter qui a bénéficié entre 2016 et 2019 d’une manne publicitaire de 54
milliards de centimes.