AGRICULTURE- OPINIONS ET POINTS DE VUE-
CULTURE DE LA VIGNE- ARTICLE BACHIR CHARA(JUILLET 2020)
Cassons les tabous : réhabilitons la culture de la vigne en
Algérie
©Par Dr Bachir Chara(*)/Le Soir d’Algérie, 28/7/ 2020
J’ai longtemps hésité à écrire cet article, du fait que je suis musulman
pratiquant, qui craint, en cas de dérapage, le supplice du Tout-Puissant. Ce
qui me gênait, c’est le hadith attribué à notre prophète Mohamed, que le salut
soit sur lui, qui dit : «Il est interdit au musulman de vendre, de transporter
et de boire du vin.» Les théologiens disent qu’il y a des hadiths authentiques
et d’autres de portée faible. Laissant donc aux théologiens la décision de
statuer définitivement sur ce hadith. Moi en tant qu’Algérien soucieux du
devenir de l’économie de son pays, qui tend vers un avenir incertain et que son
patrimoine foncier agricole et son environnement sont mis en péril, je me
devais de casser un tabou qui freine le développement d’une spéculation
agricole qui pourrait fortement contribuer au budget de l’État, procurer un
nombre considérable d’emplois et constituer une manne en devises non
négligeable pour le pays, tout en mettant fin à un trafic maffieux dans le
domaine de la commercialisation du vin et la transformation des dérivés de la
vinification. Le médecin physiologiste français Claude Bernard a, dans une
citation, dit : «Celui qui ne sait pas est un imbécile, mais celui qui sait et
ne dit rien est un criminel.» Je ne suis ni l’un ni l’autre et c’est pour cela
que j’ai décidé d’éclairer mes concitoyens sur un sujet considéré comme tabou,
alors que ce n’est qu’une activité agricole, qui pourrait rendre d’énormes
services à l’environnement et à l’économie nationale. La décision de publier
cet article s’est renforcée dans mon esprit, quand je me suis référé à ce que
font d’autres pays musulmans en matière de production et de commercialisation
des vins, notamment nos voisins marocain et tunisien.
Les Algériens savent tous qu’actuellement l’économie du pays repose
essentiellement sur les ressources pétrolières et gazières, qui participent à
plus de 95% des exportations et des recettes en devises de l’Algérie. Alors que
tous les économistes disent haut et fort qu’il faut diversifier l’économie, on
est resté dans un immobilisme presque total, pour ce qui concerne les niches
économiques, pouvant ramener une importante plus-value et on s’est lancé dans
des créneaux bénéficiant beaucoup plus à leurs promoteurs et aux peuples des
pays tiers qu’à l’Algérie et son peuple. Maintenant, avec la chute des cours du
baril, qui dure depuis la seconde moitié de l’année 2013, et l’augmentation des
importations en équipements industriels, en produits manufacturés et en
produits alimentaires, le déficit de la balance commerciale ne fait que
s’accentuer d’année en année, réduisant les réserves de change à 51,7 milliards
de dollars en mai 2020 et vont probablement décroître encore pour se situer
autour de 44,2 milliards de dollars d’ici le mois de septembre prochain
(déclaration d’Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du
gouvernement, le 3 mai 2020, sur les ondes de la Radio nationale Chaîne I.
Quarante-quatre milliards deux cents millions de dollars ne représentent, pour
l’Algérie, qu’une année d’importation. À cette allure et avec la crise économique,
qui a fait suite à la pandémie de Covid-19, le pays se retrouvera en difficulté
financière d’ici 2022, cela d’autant plus si le cours du baril de pétrole
n’évolue pas de manière significative dans les prochains mois.
L’OMS prédit que cette pandémie de Covid-19 va s’installer dans la durée, donc
les difficultés économiques vont s’amplifier et devront conduire les États à
plus d’entrepreneuriat et d’initiatives économiques pour répondre aux besoins
de leurs peuples. La situation que nous vivons de nos jours, risque à l’avenir
de se renouveler plus souvent et si entre-temps l’Algérie n’aura pas développé
son économie, pour qu’elle devienne créatrice d’emplois et de richesses, le
peuple algérien se retrouvera alors dans des situations très compliquées. Pour
éviter de telles situations, il faut, sans attendre, engager le processus de
diversification de l’économie du pays. Cela d’autant plus en raison surtout de
la non-durabilité des réserves énergétiques fossiles et des alternatives à ces
énergies, que recherchent certains pays, depuis quelque temps déjà, qui
pourraient même hypothéquer à l’avenir l’utilisation des énergies
traditionnelles. Cette diversification doit s’articuler autour de toutes les
niches économiques à même de créer de la richesse et d’assurer une certaine
complémentarité dans le développement du pays. Parmi les secteurs-clés sur
lesquels l’Algérie doit s’appuyer, pour faire prospérer son économie :
l’agriculture. Cette dernière offre un important potentiel, faudrait-il qu’il
soit très bien exploité. Parmi les différentes cultures qui peuvent générer un
apport important en devises pour le pays, la viticulture.
En 1959, l’Algérie disposait d’un très important potentiel viticole. 349 670
hectares de vignes de cuve répartis à travers le territoire algérien,
notamment au niveau des régions semi-arides, recevant une pluviométrie annuelle
comprise entre 250 et 500 mm par an. Il se trouve que ces régions sont
localisées à l’ouest du pays. Sur les 349 670 hectares de vignobles, les
wilayas de l’Ouest occupaient une place prépondérante avec 70,40% de la
superficie totale, soit 246 152 hectares ; viennent ensuite les wilayas du
Centre avec 24,92%, soit 87 152 ha, suivies des wilayas de l’Est avec seulement
4,68%, soit 16 366 hectares (Edgar Scotti, Petite histoire du vignoble en
Algérie 1830-1962). Certaines sources affirment même qu’en 1962 la superficie
viticole algérienne avait atteint 396 000 hectares.
La répartition dans l’espace des superficies viticoles obéissait à la
décroissance pluviométrique qui allait d’est en ouest, du fait que les
vignobles destinés à la production de vins soient peu exigeants en eau, 350 mm
par an suffisent pour obtenir une bonne récolte, et demandent beaucoup de
soleil, durant la période de maturation, pour l’accumulation de sucre dans le
raisin.
Ces vignobles assuraient une production totale de vins qui avait atteint, en
1962, 18 600 000 hectolitres (Edgar Scotti, Petite histoire du vignoble en
Algérie 1830-1962). Ce qui revient à dire qu’une telle production serait
évaluée, aujourd’hui, avec un prix moyen à l’exportation de 5 euros la
bouteille de 75 cl, à 11 milliards 625 millions d’euros. Il faut signaler que
certains crus algériens peuvent se négocier sur le marché international jusqu’à
11 euros les 75 cl. À ces revenus pouvaient s’additionner ce que procurent les
sous-produits qu’engendre la vinification, à savoir : l’alcool (alcool de
Bouche, industrie chimique, carburation) ; les vinasses viticoles (engrais
organiques pour les viticulteurs et les agriculteurs) ; les biogaz (utilisation
énergétique : électricité et vapeur) ; les tartres (acidification des vins,
conservateurs naturels pour les industries alimentaires, retardateurs dans le
plâtre) ; des anthocyanes, tanins et des pépins polyphénoliques (industries
alimentaires, colorants naturels) ; l’huile de pépins (huileries) ; pulpe
(alimentation du bétail, engrais organiques, biocombustibles), ; et du compost
des serments de vigne (amendements organiques des sols). Toute cette panoplie
de sous-produits viticoles s’obtient grâce à la distillation des marcs, des
lies et des bourbes et la taille des vignobles.
L’Office national de commercialisation du vin (ONCV) pourrait donner des
indications précises sur ce que peut rapporter comme moyens financiers la
commercialisation de ces différents sous-produits.
Après l’indépendance, en 1962, les vins algériens étaient principalement
écoulés en France et dans certains pays d’Europe de l’Ouest, où ils étaient
utilisés comme vins de coupage en raison de leur fort taux d’alcool qui atteignait
parfois 16 degrés. Dans les accords conclus en 1964 avec la France, l’Algérie
devait exporter vers ce pays 7 250 000 hl par an. En 1966, elle a même exporté
8 355 641 hl (H. Iznar, 1969 : L’Algérie ou la décolonisation difficile,
Méditerranée vol. 10 n°3 p. 325-340). Les importations françaises de vins
algériens ont commencé à décliner à partir de 1967, année durant laquelle elles
ont atteint 3 510 334 hl, jusqu’à leur suspension complète en 1970, à la suite
de la nationalisation des hydrocarbures par l’Algérie.
Au lieu de chercher d’autres marchés, comme celui de l’Union soviétique de
l’époque, des États-Unis et autres pays consommateurs de vins, les décideurs
algériens ont pris une décision politique, qui ne s’est référée à aucun avis
technique, ni économique, et qui répondait plutôt à un saut d’orgueil
politico-religieux et populiste, conduisant à l’arrachage de centaines de
milliers d’hectares de vignobles de cuve, pour les reconvertir dans la
céréaliculture, les cultures fourragères pour la production laitière et
l’arboriculture fruitière.
Comme la grande majorité des sols précédemment occupés par les vignobles de
cuve étaient installés sur des terres marginales qui ne pouvaient répondre aux
besoins de la culture des céréales ni à celle des cultures fourragères, qui se
conduisent en irrigué, cette reconversion a très vite montré ses limites, car
cultiver ces cultures spéculatives sur de tels sols ne pouvait répondre aux
objectifs recherchés. L’absence d’eau et les rendements insignifiants obtenus pour
les blés, moins de 5 quintaux par hectare, ont très vite conduit les
agriculteurs à abandonner la culture des céréales et laisser les terres en
friche, les exposants à une importante érosion éolienne, qui les conduira, avec
le temps, à la désertification. Les exemples du plateau de Mostaganem, des
piémonts de Berkeche, Hassasna, Aoublil, des terres d’El Maleh (ex- Rio Salado)
de la wilaya de Aïn-Témouchent et les coteaux et piémonts de la wilaya de
Mascara sont édifiants. Cela n’écarte pas également les autres terres occupées
antérieurement par le vignoble de cuve dans les autres wilayas de l’ouest, du
centre et de l’est du pays.
Dans les wilayas de l’Ouest algérien, la politique de reconversion des
vignobles s’est révélée infructueuse, voire ruineuse. Au niveau des wilayas du
centre et de l’est du pays, les conditions pluviométriques aidant, la
reconversion a été plus ou moins réussie, sans pour autant répondre aux
objectifs qui lui étaient assignés. Certains viticulteurs n’ayant d’expérience
que dans la culture de la vigne ont, en lieu et place des raisins de cuve,
planté du raisin de table ou des cultures maraîchères à revenus lucratifs comme
le melon et la pastèque.
La céréaliculture n’a donc pas trouvé une grande place dans cette politique
d’arrachage des vignobles de cuve en raison des caprices du climat
méditerranéen (faiblesse et irrégularité des pluies), le manque, voire
l’absence d’eau pour l’irrigation d’appoint et les faibles revenus qu’elle
procure.
Avec cette politique mal inspirée, s’en sont suivies la désarticulation et la
déliquescence de toute une profession et un savoir-faire viticole. Le
patrimoine de vinification, constitué de 1 000 caves et leurs dépendances,
qu’abritait le territoire algérien à l’indépendance (source : un ex-cadre de l’ONCV)
a, dans sa très grande majorité, si ce n’est en totalité, été vandalisé, par
méconnaissance de son importance, par fanatisme ou encore par intérêt
personnel, sans se soucier de l’intérêt national. A titre indicatif, les
experts œnologues estiment, actuellement, la construction d’une cave de
vinification à un milliard de dinars. La remise en état d’une cave par l’ONCV
et sa modernisation a coûté la bagatelle de 220 millions de dinars. Voilà
brièvement les pertes sèches induites par la politique d’arrachage des
vignobles algériens sans compter celles liées aux pertes de qualifications dans
les domaines de la production viticole, la vinification et la distillation des
sous-produits ainsi que les désastres provoqués à l’environnement.
Ne persistaient à la fin des années 1990 que quelques dizaines de milliers
d’hectares comme superficie viticole destinée à la production de vins. Au début
des années 2000, avec le Programme national de développement agricole (PNDA),
des tentatives de réhabilitation du vignoble de cuve ont été menées par l’ONCV,
ce qui a permis aux viticulteurs de certaines wilayas de l’Ouest algérien de
reprendre timidement cette activité pour arriver en 2017 à une superficie de 75
000 hectares au niveau national (Nabila Caïd et al, Analyse spatiale
diachronique de l’occupation du vignoble algérien depuis 60 ans : cas de la
wilaya de Mostaganem, Physio-Géo vol. 13 -2019), dont 24 909 hectares dans la
wilaya de Aïn-Témouchent qui comptait
56 000 hectares de 1961 (Saïd Mouas, «La vigne n’a plus sa place d’antan», le
Quotidien d’Oran, 22/09/2018) et 6 190 ha dans la wilaya de Mostaganem où
existaient 43 003 hectares en 1958.
Les efforts de l’ONCV, rebaptisé, à tort, Société de
transformation des produits viticoles (Sotravit), ont commencé à donner quelques
résultats, plus de 16 500 hectares réalisés dans le cadre du PNDA, non sans
problèmes, liés à la déperdition des connaissances vitivinicoles au sein de la
profession, notamment en matière de choix des cépages plantés, dont certains
ont une faible valeur vinicole. Selon un expert de la défunte ONCV, dont je
continue à utiliser le nom, car il représente un label, connu à travers le
monde et reconnu pour la grande qualité des produits qu’il commercialisait,
seuls 10 000 à 15 000 hectares sont, aujourd’hui, exploitables pour la
vinification.
Ajouter aux aspects techniques, qui doivent être résolus par les institutions
spécialisées comme l’Institut de la vigne et du vin (IVV), les nombreux
blocages qui freinent la réhabilitation du vignoble de cuve et le peu d’intérêt
accordé au secteur viticole par les organismes de tutelle, à l’instar du fonds
de participation du secteur de l’agroalimentaire. La question qu’on peut se
poser est : à quoi répond un tel blocage, qui met en péril une niche d’une très
grande importance pour la diversification de l’économie algérienne
post-hydrocarbures ? Est-ce qu’il s’agit de croyances religieuses ou
existe-t-il des intérêts cachés qui profitent à une catégorie de personnes qui
freinent le redémarrage de cette filière agricole, qui pourrait faire nourrir
des centaines de milliers d’Algériens, tout en procurant des ressources
financières conséquentes pour le Trésor public et en protégeant l’environnement
?
Ces deux hypothèses ont joué un rôle non négligeable dans cette inertie qui
bloque le développement de la viticulture dans le pays. L’importation des vins
et leur commercialisation en Algérie représentent un marché très juteux qui
profite à certaines personnes, qui utilisent tous les moyens pour conserver
leurs privilèges. Le problème de la viticulture est à l’image de ce qui
caractérise les autres secteurs d’activités économiques en Algérie.
L’import-import est devenue une tradition, que veulent faire perdurer certains
charognards, partisans du gain facile au détriment de l’économie nationale, et
ce depuis 1990.
En effet, après les réformes engagées par les gouvernements successifs, en
matière de libération des importations et des prix à la consommation, sous
prétexte qu’il fallait faire jouer la loi de l’offre et de la demande, il est
devenu plus lucratif d’investir dans l’import-import que de mobiliser des
moyens financiers pour produire localement ce qu’ils pouvaient importer, sans
prendre des risques qui peuvent être liés au climat et/ou à l’environnement de
l’activité de production. C’est peut-être celles-là les causes qui freinent la
réhabilitation de la viticulture dans le pays, et ce, malgré son importance sur
le plan social, économique et écologique. Le changement de nom de l’ONCV
n’entre-t-il pas dans cette opération de déstabilisation d’une filière qui
était soutenue par un organisme de l’État, afin de mettre en avant les nouveaux
intervenants privés ?
L’Algérie qui était dans un passé pas lointain le quatrième producteur mondial
et le premier exportateur africain de vins est devenue importatrice de ce
produit. La production nationale en vins est passée de 18,6 millions
d’hectolitres en 1962 à 500 000 hectolitres actuellement, qui ne suffisent même
pas à couvrir la consommation interne. Donc on a recours à l’importation des
vins pour combler le déficit. Selon l’Association des producteurs algériens de
boissons (Apab), la consommation moyenne de vin par habitant est de 1,4 litre
(Fahim Djebara, en Algérie les autorités encouragent la production locale, sauf
celle du vin, journal le Monde du 14 juin 2017). Soit un total annuel de 560
000 hectolitres. Ce chiffre est très en deçà de la réalité. Selon le même
auteur, les services algériens des Douanes ont constaté un trafic dans
l’importation de moûts de raisin pour la production du jus, qui finit sa
destination dans les caves où il est transformé en vins. Il faut noter qu’un
litre de jus de raisin est commercialisé entre 80 et 100 DA, alors que le prix
d’une bouteille de vin de 75 cl est vendue entre 800 et 1 000 DA.
Une fraude caractérisée, qui échappe au contrôle de l’État. Il faut signaler
que la circulation d’une bouteille de vin produite par l’ONCV procure à l’État
75 DA de taxes, alors que celle produite frauduleusement par des opérateurs
privés avec les moûts importés, en affichant sur les bouteilles les labels des
vins algériens, ce qui constitue un deuxième acte condamnable, car c’est une
tricherie qui conduit à la dévaluation des labels, qui étaient mondialement
connus. Les vins VAOG sont des labels protégés par la loi et nul ne peut se les
approprier car ils sont propriété de l’ONCV donc de l’État algérien. C’est un
autre coup porté à l’économie nationale par ces charognards sans scrupules.
Le développement du tourisme en Algérie reste tributaire de la disponibilité d’une
gamme variée de vins au niveau de la restauration et de l’hôtellerie. Un
étranger de confession autre que musulmane voudrait, lors de ses repas, boire
du vin aux lieu et place des boissons sucrées.
Il cherche à consommer local et pas les vins d’importation. Les investisseurs
étrangers dans le domaine du tourisme n’engageraient certainement pas leurs
moyens financiers, dans un pays où ils ne peuvent mettre à la disposition de
leurs clients les produits du terroir qu’ils recherchent.
La fermeture des bars, sur des pressions citoyennes, par les walis, en plus de
la mise au chômage de dizaines de milliers d’Algériens qui y travaillaient à
temps plein, tout en impactant le tourisme, a été à l’origine, dans certaines
wilayas, si ce n’est dans tout le territoire national d’un grand problème
écologique. On s’en rend compte en roulant dans les sentiers même éloignés des
villes, les bouteilles de vin vides et les canettes de bière jonchent les
bordures des routes.
Du fait qu’il y a des Algériens consommateurs de vin, n’est-il pas plus
judicieux que ces derniers goûtent à leur plaisir dans des endroits contrôlés,
soumis à l’impôt, où les contenants seront ramassés et recyclés au lieu d’être
jetés en pleine nature, mettant les citoyens et le patrimoine forestier et agricole
en péril. Les services de la Protection civile ont très probablement des
statistiques sur les feux de forêt, de cultures de céréales ou de broussailles
déclenchés à partir de bouteilles en verre laissées dans ces milieux par des
citoyens indélicats qui consomment le vin en cachette. Se plier à un diktat
d’ultras fanatiques n’a jamais servi les intérêts d’une nation. La liberté des
uns doit s’arrêter là où commence celle des autres, chaque être humain est
libre de boire, manger et s’habiller comme il l’entend, sans, bien sûr, heurter
la sensibilité des autres. N’est-il pas individuellement responsable de ses
actes devant Dieu ? Alors pourquoi des êtres humains veulent-ils remplacer le
Miséricordieux sur terre et punir ceux d’entre eux qui ne partagent pas leurs
convictions et leur façon de vivre ? Sont-ils Ses dépositaires sur terre ?
L’État doit-il se plier aux desiderata des uns au détriment des autres même
s’ils sont minoritaires ? Où est la tolérance qui permet à un peuple de vivre
en harmonie avec ses valeurs ? Cessant d’être hypocrites et privilégiant le bon
sens pour faire profiter notre pays d’une manne que le Bon Dieu nous a donnée.
Un climat favorable et des sols tout indiqués pour la production viticole.
Questionnez les agriculteurs des wilayas de Mostaganem, Aïn-Témouchent,
Mascara, Oran, Alger, Médéa, Bouira et autres wilayas, ils vous diront que
certains sols ne peuvent être rentables qu’avec la production de raisin de cuve
; c’est ce qui a incité, en partie, les anciens colons à les utiliser pour la
viticulture. Un hectare de vigne peut produire, dans une bonne année, entre 50
et 100 hl de vin, ce qui rapporterait entre 31 250 et 62 500 euros. Les revenus
d’un (01) hectare de vignoble de cuve permettent, par conséquent, l’acquisition
sur le marché international, à raison de 183 euros la tonne de blé, de 171 à
342 tonnes, ce qui représente, avec une production moyenne de blé de 15
quintaux par hectare, l’équivalent de 114 à 228 hectares.
En viticulture, un hectare de vigne nécessite en moyenne 260 jours de travail
par an, soit pour 349 670 hectares 249 080 emplois liés à la production de
raisin.
Quant au personnel que mobilisera la vinification et la mise en bouteille des
vins, la distillation des sous-produits, la production du jus de raisin, le
compostage des sarments de vigne, le transport et la commercialisation de tous
les produits et dérivés viticoles pourraient également se chiffrer en plusieurs
centaines de milliers d’emplois. Cette activité agricole peut donc participer
de manière importante à la réduction du chômage, notamment au sein des
populations rurales, en les fixant au niveau des campagnes, réduisant par là
même l’exode vers les milieux urbains.
Conduits en sec, sur des sols le plus souvent marginaux, de texture légère et de
structure-grumeleuse, les vignobles, grâce à la technique de leur plantation,
leur mode de conduite, leur important volume foliaire en plein développement
végétatif, qui s’accomplit de mars à fin août, correspond à la période où
l’activité éolienne est intense, font du vignoble un excellent fixateur des
sols en réduisant très fortement leur érosion par le vent.
En outre, par leur enracinement très développé et plus ou moins
superficiel, les ceps de vigne plantés dans des terrains accidentés et avec une
importante densité de plants par hectare (3 000 à 4 000) maintiennent le sol en
place et évitent qu’il soit emporté par les eaux de ruissellement des pluies
parfois torrentielles en climat méditerranéen. De ce fait, ils jouent un rôle
écologique considérable au niveau des bassins versants, en évitant notamment
l’envasement des barrages qui pourraient s’y trouver en aval.
Au vu de ce qui précède, il apparaît nécessaire pour le pays de reconstituer le
vignoble, en utilisant les sols qu’il a occupés auparavant. L’erreur est
humaine, ce qui est condamnable c’est de persister et de ne pas la corriger. Ce
qui faisait la renommée des vins algériens, ce sont les mélanges entre les
variétés de raisin de terroir et les cépages européens.
La reconstitution du vignoble doit donc réintroduire cette diversité de cépages
en renforçant avec d’autres, pour produire des vins de qualité. L’ITASV doit
s’impliquer de manière active dans ce programme de redéploiement de la vigne de
cuve, en sélectionnant les cépages qui doivent être replantés, en délimitant
les vignobles de pieds-mères, en contrôlant les pépinières de production de
plants et en les encadrant. Enfin, les facultés et les écoles supérieures
d’agronomie doivent réhabiliter la spécialité œnologie dans les cursus de formation
et les CFPA reprendre la formation de maîtres tailleurs pour encadrer la
filière viticole. Un soutien de l’État aux viticulteurs est vivement souhaité
pour les encourager à s’investir dans la production de raisin de cuve.
En outre, on ne cesse de rappeler le rôle combien important que doivent jouer
nos représentations diplomatiques à l’étranger, pour promouvoir le produit
Algérie. Il ne s’agit pas seulement de distribuer gracieusement aux dirigeants
des pays où elles se trouvent des paquets de dattes Deglet nour et des cartons
de vins Mascara, Cuvée du président, Coteaux de Tlemcen, Dahra…
Il faudrait vulgariser la qualité de ces produits dans les pays où elles se
trouvent en organisant par exemple des journées de dégustation des vins
algériens. Pour ce faire, des économistes spécialisés dans le marketing doivent
intégrer nos ambassades, où existent des marchés potentiels comme la Russie, la
Chine, l’Inde et les pays européens. Les diplomates ne peuvent, à eux seuls,
gérer toutes les activités, surtout économiques, et ne doivent en aucune
manière s’approprier tous les domaines de représentation de l’Algérie au niveau
international, que les spécialistes des filières techniques maîtrisent mieux ;
on doit donc chercher l’efficacité pour promouvoir nos produits. Il est clair
que l’État ne peut supporter, en cette période de crise économique, les lourds
investissements que cela nécessite, notamment ceux relatifs à la réhabilitation
et/ou la réalisation de caves pour la vinification, ou de distilleries pour le
traitement des acres et autres dérivés de la vinification. Des investisseurs
nationaux et étrangers peuvent s’impliquer dans ce programme, faudrait-il que
l’État l’avalise et donne, pour ce seul objectif, en concession les terres qui
sont recommandées aux vignobles de cuve, qui relèvent de son patrimoine privé.
B.
C.
(*)
Ex-vice-président de l’Assemblée populaire nationale. Ex-président de la
Commission permanente de l’économie rurale, l’agriculture, les ressources
naturelles et de l’environnement et du Parlement panafricain.