HISTOIRE- OPINIONS ET POINTS DE VUE-
« L’HISTOIRE « EN PANNE »
L’HISTOIRE
« EN PANNE »
©Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH.Le Quotidien d’Oran, J.26 janvier 2012
Entre 1990 et mi-2008, on pensait vraiment que la
cause de l’écriture de l’Histoire contemporaine du pays était désormais
entendue et le dossier bel et bien clos,
en ce sens que les historiens et les
chercheurs universitaires en premier
lieu et les autodidactes validés par leurs publications en second lieu,
allaient collecter ou regrouper ce qui se raconte ici et là , structurer,
analyser et commenter les faits librement , dans des cadres
méthodologiques précis et connus universellement, et qu’ils allaient s’en donner à cœur joie. D’autant
que le peuple , libéré des pesanteurs idéologiques du
parti et de la pensée uniques, cherchait,
de plus en plus, à « savoir » le pourquoi du comment et à
avoir des réponses à tous ses questionnements , principalement ceux
identitaires et politiques (en plus sur la façon dont ses sous, les sous du
pays, ont été et sont gérés). La
curiosité était d’autant plus aiguisée que la scène offrait, à partir de la
libération des champs politique et médiatique, à partir de fin 1988, un
spectacle de lutte sans règles et sans arbitre, les révélations et les
promesses de révélations, les insultes et les allusions gravissimes, les
mémoires ou les souvenirs et les racontars se succédant, s’empilant, se
télescopant se contredisant…Une véritable jungle au sein de laquelle seuls les
éditeurs (de livres et de presse) se sont retrouvés.
Il est vrai que l’Université et la Recherche
universitaire scientifique étaient
encore inorganisées et encore contraintes, par les habitudes
…historiques…. , « héritées » de l’ancien système, à ne pas trop se hasarder prudemment sur les
chemins de l’ Histoire-critique et à subir l’ Histoire-apologétique . Au maximum,
on avait de l’Histoire-inventaire, ce qui n’est pas, déjà, une mince affaire. Seuls quelques - rares - « découvreurs » se lancèrent à l’assaut des citadelles ( celle « ignorée » des périodes antique et
pré- coloniale excepté la période
arabo-musulmane, celle « réservée » de l’Histoire de la Guerre
de libération nationale et du mouvement national, celle « protégée »
de l’Histoire post- indépendance et
celle « quasi-interdite » de l’Histoire actuelle) et osèrent
la production de documents pour la plupart diffusés au compte-gouttes. Les plus
malins ou les plus méfiants , en tout cas les moins naïfs, surtout des
journalistes (ou des cinéastes pour ce
qui concerne l’audio-visuel) , quand ils ne se sont pas exilés pour
produire, ont contourné le problème en
abordant ces périodes par le biais du roman (ou du film) - réaliste , un
mélange de fiction et de réalités…..avec ,
bien souvent, des indications permettant de savoir aisément qui est
qui…mais sans jamais atteindre la rigueur scientifique et ce, quelle que soit
l’honnêteté et la formation de l’auteur ou du réalisateur.
Le premier coup d’arrêt est venu
, d’abord des habitudes héritées, le second de cette disposition des
textes sur la Réconciliation nationale qui , tout en ne l’interdisant pas formellement , limite le champ de la recherche
historique, et vous conseille fermement de ne pas (trop) vous appesantir sur
les agissements des protagonistes de la « tragédie nationale » des années
90, en tout cas ceux amnistiés. Comme la
plupart, sinon tous les acteurs et les
figurants l’ont été (amnistiés !) , on se
retrouve face à un champ de recherches vaste et riche ( ????) mais miné.
Une « interdiction » qui fait le bonheur des chercheurs étrangers.
Le troisième , dernier et fatal coup d’arrêt est venu de cette
disposition introduite ,dans la Constitution, concernant « les symboles de
la Révolution et les constantes nationales » (disposition renforcée par
l’article 6 de la nouvelle loi 11-03 du 17 février 2011 sur la
cinématographie qui impose une sorte
de « l’approbation gouvernementale
préalable » ) . Pas touche ! Sinon…. Sinon quoi ? On ne le
sait pas encore et on attend avec impatience le premier historien ou
journaliste « esté » en justice pour
irrespect de l’article 3 de la Constitution…qui demande au passage, à l’Etat,
de « promouvoir » l’écriture de l’histoire. On sait que la promotion
est toujours sous-tendue, en tout cas chez nous (certains pays
, dont notre ancien colonisateur, la France, ont adopté cette démarche) , par une
philosophie….parfois d’encouragement , mais souvent de freinage ou de rég
(p) ression.
Bien sûr , les
protestations n’ont pas manqué , à chaque fois, pour protester contre les
barrages plus idéologiques que technocratiques et encore moins scientifiques
…surtout de la part des journalistes qui connaissent déjà le prix à payer
lorsque la réalité ( de « l’histoire au quotidien ») est recherchée
pour être diffusée. Des continuels « empêcheurs de tourner en rond » !
Les historiens universitaires et autres
ont été rares à le faire, mis à part quelques exilés. Il est vrai qu’ils
sont déjà si peu nombreux à mériter le titre. La bureaucratie a en a profité
pour « enfoncer le clou » avec une disposition contenue dans la loi
sur la cinématographie qui « nationalise » en quelque sorte le champ.
Le plus (d) étonnant est venu des politiques,
surtout d’anciens décideurs…..aujourd’hui écartés du pouvoir mais les pieds
dans de chaudes « pantoufles » …et n’ayant pas encore livré leurs
mémoires.
Certains estiment que « que l’Histoire doit être écrite par
des historiens, les vrais, en faisant preuve de neutralité et
d’objectivité » (vrais ! neutralité ! objectivité ! encore
des adjectifs castrateurs). Tout en
déversant brusquement certaines de leurs
vérités « historiques ». Coup de pub avant la sortie de mémoires ou rancune tenace à l’encontre de
ceux qui les ont « diffamés », insultés même ou
brocardés dès son « sortie » du pouvoir. Qui sait…pour
l’instant ?
Un autre a demandé à ce que « l’Histoire ne
soit pas sous une tutelle politique »….lui qui n’a encore rien livré (dans
un ouvrage) sur ce qu’il a vu, vécu, entendu, fait.
La ministre des Moudjahidine, lui, s’en est tenu , comme d’habitude ,
à « l’apport de preuves »…tout en sachant qu’une grande partie
des faits révolutionnaires se sont déroulés , action clandestine obligeait,
dans le secret et l’oralité.
En définitive,
et en attendant que les archives coloniales ouvrent leurs portes à la
consultation (et, ce n’est pas demain la veille !), c’est parole contre
parole, c’est mythes transformés
en constantes ou constantes mythifiées contre analyses démysthificatrices.
Heureusement , quelques personnalités ont
réagi. Comme le Pr. Z. Ihaddadène ( universitaire, chercheur,
ancien haut-fonctionnaire… retraité…moudjahid… arabisant ….francophone…amazighophone … honnête homme comme on n’en rencontre
presque plus en ce bas monde ) , qui a mis les points, début décembre
2008, sur les i lors d’un débat sur l’écriture de l’Histoire:
« L’Histoire est l’affaire des historiens ». La cause est (en
principe) entendue !
De ce fait, à mon sens, elle ne peut être faite ni
par les Appareils de l’Etat, ni par des organisations para- étatiques et encore bien moins par des personnes qui
l’ont vécu directement. Les premiers doivent promouvoir par des facilités multiformes et sans
interférences (et des aides financières , matérielles ou morales comme cela a été généreusement fait pour le
dernier film de Ahmed Rachedi sur Mostefa Ben Boulaid et comme cela va être fait, certainement, très généreusement, pour le prochain film
de Lakhdar Hamina (?????) sur l’Emir Abdelkader…et comme cela ne
se fera peut-être pas pour le projet de
film sur Ben M’hidi de Mourad Bourboune
et Bachir Derais ) . Les secondes
(pour ce qui concerne l‘Histoire du Mouvement national et de la Guerre
de libération nationale….et de l’Histoire post -indépendance
) doivent rapidement et aussi honnêtement que possible
(objectivement ? pas facile. Aussi exactement que possible, pourquoi
pas ?) mettre en forme leur (s) histoire (s) et la (les) livrer aux
publics. Tout le reste - séparer le bon grain de l’ivraie, le mensonge des élucubrations, les
faits avérés des règlements de compte
- est une libre affaire d’universitaires
et de chercheurs spécialisés en
Histoire. Le plus tôt vaut le mieux. Car, avec les ruines préhistoriques et
antiques qui disparaissent, les monuments historiques qui tombent en ruine, les
vieilles mémoires qui s’ « alzeimérisent »
et les corps qui dépérissent ou disparaissent, on n’aura plus, dans nos oueds
déjà souvent assez desséchés , que des pierres sans
histoires.