HISTOIRE – TÉMOIGNAGES-
« LES OUBLIES DE LA REVOLUTION ALGERIENNE »- ABDELKADER CHANEGRIHA
Un parcours hors du commun
©Par Ali Chérif Deroua/le
Soir d’Algérie, mardi 19 juillet 2020
Abdelkader Chanegriha : humilité, responsabilité,
discrétion et un parcours hors du commun. Fidèle au message du cher et regretté
Didouche Mourad, «si nous venions à mourir,
défendez nos mémoires» qu'aucun Algérien ne doit ignorer, si l'on veut laisser
à notre jeunesse comme héritage l'amour de notre chère Algérie.
Cette fois-ci, je vous présente un
combattant, dont très peu de monde entend parler, mais qui, au sein de la
Révolution, a forgé un parcours exceptionnel. Il doit être considéré,
incontestablement, comme l'un des plus dignes fils de la Révolution
algérienne.
Né le 20 juillet 1923 à El-Kantara, wilaya de Biskra, Abdelkader Chanegriha passe toute son adolescence dans sa ville
natale, au sein d'une famille relativement aisée. Militant du MTLD, en 1942, il
part sur Alger où, pour survivre, il prend déjà contact avec les soldats
américains qui avaient débarqué en Algérie et qui alimentaient le marché noir
durant cette période de misère due à la guerre 1939/1945. Il apprend par la
même occasion l'anglais qu'il pratiqua aisément dans le futur.
En 1955, il se trouve à Tanger et Tetouan. Il prend
contact avec un certain Si Ali, responsable du FLN, pour se mettre à la
disposition de la Révolution. Si Ali était tout simplement Mohamed Boudiaf
qu'il est inutile de présenter au peuple algérien. C'est le début d'une
aventure qui fera pâlir beaucoup de gens, qui refusent d'en parler, pour des
motifs faciles à comprendre. Au lecteur d'en tirer ses propres conclusions.
Ayant obtenu la confiance totale de Boudiaf, sa première responsabilité est la
recherche de filières d'achat d'armements à partir de Tanger, ville de statut
international, ville de tous les trafics et de tous les risques. Une bonne
partie des trafiquants en armements se trouve être de nationalité allemande,
dont certains étaient proches des thèses nazies. À ce titre, ils avaient un
vieux compte à régler avec la France victorieuse en 1945. Avec ces contacts, il
apprend facilement l'allemand pour pouvoir se mouvoir dans ce milieu, d'autant
plus qu'une filière de déserteurs de la Légion étrangère se crée avec un
certain Windfried Mustapha Muller.
Revenons à Abdelkader Chanegriha.
Boudiaf, souvent absent du Maroc, c'est la Zone 5, future Wilaya V qui prend en
charge Chanegriha devenu Monsieur Tchang.
En septembre 1956, la Révolution décide de créer le Croissant-Rouge algérien.
C'est ainsi que fut créé à Tanger le 29 décembre 1956 le
Croissant-Rouge algérien avec comme président Maître Boukli
Hassen. C'est Tchang qui prend en charge le nouvel
organisme, qui loue le local du siège et qui dépose les statuts le 7 janvier
1957 à Amalat Tanger pour officialiser
internationalement la création du Croissant-Rouge algérien, sans en faire
partie et pour cause, la discrétion et le secret sont les qualités premières
des hommes de l'ombre.
Avec le concours de Mustapha Muller, Autrichien de nationalité, Allemand de
naissance, qui s'installe à Tanger pour aider les déserteurs de la Légion
étrangère à se libérer, il crée une filière qui a à son actif la désertion de
plus de trois mille légionnaires dont 90% étaient allemands. Grâce à
cette filière, il devient une énigme, un danger et une cible pour les services
français et une vedette en Allemagne.
La Main rouge et les services français le ciblent en toute priorité. Avec ses
qualités de discrétion, de secret, d'audace, de mode de vie, il se joue de
toutes les filatures ou fuites.
Les services français avancent même une autre nationalité, le présentant comme
un Chinois au service de la Révolution, ce que lui-même encourage. Au point où
même au sein de la Révolution, cette rumeur circulait sans être démentie
jusqu'à l'indépendance.
Avec comme bagages ses qualités, sa connaissance des langues francaise, espagnole, allemande et arabe, une confiance
totale de la part de Si Mabrouk, Abdelhafith Boussouf, ses contacts personnels sélectionnés et
entretenus, il a réussi à lui seul à monter une opération unique dans les
annales des services secrets et que peu d'Algeriens
ou d'étrangers connaissent. Avec ses carnets de chèques auprès de
différentes banques de notoriété internationale telles que la Deutsche Bank
Frankfurt, avec ses contacts et son carnet d'adresses, au plus haut niveau au
Maroc, en Espagne et en Allemagne, il a réussi à acheter cinquante (50)
appareils de transmission militaires, ANGRC9, pour le compte de la Révolution,
une opération qui lui a pris deux mois de préparation pour la réussir.
C'étaient des appareils qu'aucune armée non membre de l'Otan ne possédait.
Obtenir des autorisations d'achat pour le compte du gouvernement marocain, il
faut le faire et savoir bien le faire ; convaincre ses relais américains
d'obtenir des dérogations d'achat étant donné que le matériel américain est
fabriqué en Allemagne ; se faire délivrer ce matériel immédiatement en payant
par chèque certifié de la Deutsche Bank, il faut le faire ; le faire
transporter tout en l'accompagnant par Iberia de Stuttgart (Allemagne),
Barcelone, Tetouan avec un chèque de la Hispano
Deutsche Bank Frankfurt de 341 820 deutsche marks, il faut le faire :
avouez, chers lecteurs, qu'il faut être un sacré monsieur pour réussir,
seul, un tel exploit. Lorsqu'il s'agit de deux cents colis, d'un poids total de
deux mille six cents kilos, on ne peut dire que chapeau ! Les experts
apprécieront à sa juste valeur une telle prouesse. Enfin, permettez-moi de vous
dire que ce Monsieur Tchang a vu passer entre ses mains, en tant qu'ordonateur, pendant notre lutte de libération, plus ou
moins quarante pour cent (40%) du budget de la Révolution.
Il était considéré comme le banquier de la Révolution et il l'était réellement.
A l'indépendance, il n'a pas pu se retrouver pour avoir été non partisan dans
la lutte pour le pouvoir à l'été 1962. Il s'est reconverti dans le commerce
pour survivre. En mai 1976, je le rencontre sur la rue Didouche-Mourad
et il m'expose son cas social que j'ai aidé à résoudre grâce à un
compagnon du Malg, Hadjadj
Mahfoud, qui était en ce temps-là le directeur général de la Sonelec, il a fait de lui un directeur commercial. Avec ce
salaire, il a vécu loin des feux de la rampe jusqu'à son décès le 18 février
1994, dans un appartement sis au 13, rue des Frères- Belhafid,
Hydra, Alger.
Pour moi, il est de ceux que je n'oublierai jamais, pour son humilité,
son sérieux, son apport à la Révolution, son empathie, son élégance, toujours
tiré à quatre épingles, son audace, son sang-froid, et surtout une voix de
conviction et un sourire malicieux qui forcent le respect et qui en disent long
sur son caractère.
Je remercie Dieu de m'avoir permis de côtoyer Monsieur Tchang pendant et après
la Révolution.
A cette jeunesse algérienne à la recherche de repères et d'exemples, je
lui recommande de ne pas oublier Abdelkader Chanegriha
connu dans la Révolution sous le nom de Monsieur Tchang et d'en faire une
référence.
Reposez en paix cher Si Abdelkader, il y a et il y aura toujours quelqu'un qui
rappellera votre nom au bon souvenir...